1. C.M.S[avarit], « Les livres : Le Pèlerin du Silence », L'Aube, n°3, ? juin 1896 ? pp. 47-48

Le Pèlerin du Silence, de RÉMY DE GOURMONT. (Librairie du Mercure de France). — C'est la réunion de quelques-unes des ̹uvres bien connues de l'érudit et difficile écrivain. Ces ̹uvres tous ceux qui ont souci des lettres les connaissent déjà : Phénissa, le Fantôme, le Château Singulier, Litanies. — L'auteur leur adjoint Théâtre muet et le Pèlerin du Silence.

Nous avons peu à revenir sur ce style où les naïvetés voulues s'allient harmonieusement à des recherches aussi détaillées que sont profondes les pensées qu'elles vêtent. Le symbole semble ici s'enfler de la vie puissante de sa primitive patrie : celle de l'Isis voilée ; et venir s'habiller les grandes lignes simples qu'il conquit au bord du Nil, des étoffes et des matières précieusement ouvrées qui jaillirent à Byzance de cette délicate agonie qu'on nomma le Bas-Empire. Le mysticisme, cette autre agonie : — celle des sens mourants dans le sentiment en quête d'une fin qui le dépasse — comme de reflets diamantins charge encore cette complexité.

Phénissa, la jeune vierge, symbolise la vie nouvelle — le futur — née du passé : Phéna et Phébor, et à chaque moment du monde égorgée par eux. Et c'est aussi le symbole de toutes les institutions établies, de tous les dogmes et de toutes les réalisations qui, à peine fondées, se considèrent comme définitives et tentent d'anéantir l'avenir.

Le fantôme, symbole de la femme, qui n'est que comme génératrice et aussi comme amante : Voici comment on peut me connaître et pas autrement (p. 109). Quoique vous vouliez ce n'est que vous que vous mettez en elle de supérieur ; alors à quoi bon cette dispersion ? Laissez-la et vous la verrez redevenir le fantôme qu'elles sont toutes (p. 157).

J'admettrai pourtant difficilement des affirmations comme celle-ci : L'essence est essentielle et la forme est formelle, mais la forme est la formalité de l'essence. La forme est aussi essentielle que l'essence, ce que veut dire ensuite l'auteur dans : mais la forme n'est que celle de l'essence.

Dans le Château Singulier, la vie idéale, Elade, ne devient complète que par l'actification, mais rien ne peut rendre complète la vie de la nécessité : Vitalis ; elle reste ce qu'elle est : la servitude, tandis que la vie idéale est devenue libre. Et c'est là une des plus hautes conceptions de la liberté.

Ce sont des questions que l'on n'a guère l'habitude de traiter — surtout avec tant d'aisance — en nos jours, et que la dernière : Le Pèlerin du Silence, appel à la vie intérieure, à la connaissance de soi : Regarde en toi-même et tais-toi termine bien. Plus que jamais sous le flot d'insanités qui coulent de toutes parts, le silence et la connaissance de soi deviennent pressants.

C.M.S[avarit].

[texte entoilé par Mikaël Lugan]

A consulter : Le Pèlerin du silence