Aux Etats-Unis, beaucoup d'écoles, assez semblables aux externats de nos lycées et collèges, font passer à leurs élèves un examen d'information générale. On estime avec raison que c'est le meilleur moyen de savoir où en est l'intelligence de l'enfant ou de l'adolescent et quelle est sa position devant la vie, comment il la comprend, en quelle mesure il s'y intéresse. Là-bas, le but de l'éducation est beaucoup moins de pourvoir les enfants d'un diplôme ou d'un certificat d'études que de former des hommes et des femmes aptes à l'activité sociale. On n'a jamais l'idée de les cloîtrer, comme on fait en Europe. Au contraire, ils sont avertis de se mêler au monde extérieur, de regarder ce qui se passe, de le commenter au besoin ou, du moins, d'écouter les conversations de leur entourage. L'instruction qu'on donne aux deux sexes n'est pas faite que de choses mortes, la vie contemporaine y tient une place importante et, quoique les cours y soient très variés, on ne considère pas qu'ils suffisent à la formation des jeunes intelligences : il faut y faire entrer aussi tout ce qui ne peut prendre place dans un programme d'études, si développé qu'il soit, tout ce qu'il est impossible d'enseigner et qui, pourtant, n'est pas moins important que le reste. Le but de cet examen est aussi d'éveiller ce désir général de savoir qui n'est pas très vif chez tous les enfants, de faire appel plutôt au bon sens qu'à la mémoire, à la curiosité plutôt qu'à la docilité de l'esprit. Les élèves, garçons et filles, s'intéressent prodigieusement à cet examen qui les stimule plus que les études régulières, avec lesquelles il n'est pas d'ailleurs en contradiction, puisqu'il les suppose et puisqu'il les amalgame d'une façon souvent inattendue. Je vais en traduire un certain nombre d'articles pour montrer dans quel esprit cet examen est conçu, en donnant une tournure française ou européenne à quelques questions trop spécialement américaines.

Nommez :

Le président de la République.

Le vice-président.

Deux sénateurs, deux députés.

Le préfet de votre département, celui du Rhône.

Le maire de votre ville.

Une grande colonie française.

Deux Etats balkaniques.

Le défunt fondateur de l'Armée du Salut.

Deux grands établissements industriels européens.

Deux savants français.

Dites :

Le nom d'une planète qui a des anneaux et celui d'une planète qui a des satellites.

La date d'un équinoxe.

Dans quel Océan ouvrira le canal de Panama à son point terminus oriental.

Qui a inventé le thermomètre centigrade.

Si la houille est de la matière organique ou inorganique.

Quelles sont, selon leur ordre, les couleurs de l'arc-en-ciel.

De quelle partie de l'animal sont faites les baleines.

Quelles sont les limites de votre département.

Comment on soigne un évanouissement.

Comment un sauveteur peut se protéger contre la fumée dans un incendie.

Quelle heure est-il à Saint-Pétersbourg quand il est midi à Paris ?

Quelle est la meilleure couleur pour les murs d'une école ? Pour ceux d'un hôpital ?

Qu'est-ce qui confère sa valeur à un billet de banque ?

Comment les écoliers s'abîment le plus souvent la vue ?

Mentionnez quelque fait (récent, si possible) concernant :

Achille, Amundsen, Lloyd-George, le capitaine Scott, Murillo, Poincaré, le Rubicon, Wagner, etc.

Situez : (ici des noms géographiques que l'on peut varier à l'infini).

Expliquez telle ou telle locution, et on voit citées, parmi quelques locutions anglaises assez ambiguës, la fameuse expression diplomatique : « l'homme malade », et l'expression française : « Raison d'être ». Si on opérait sur de jeunes Français, on pourrait facilement trouver des expressions françaises, constamment citées et souvent mal comprises.

Faites la distinction entre : martyre, suicide, assassinat ; entre hydraulique et pneumatique ; entre métropolite et métropolitain ; contrefaçon et imitation ; entre allusion et illusion ; entre draguer et creuser, etc.

Quel capital faut-il, à cinq pour cent, pour produire un revenu de deux francs cinquante par semaine ?

Dites quelles furent les deux dernières améliorations postales ; quelle fut la dernière loi sociale ; quelles sont les lignes de chemin de fer importantes en construction ou en projet ; quel est le grand désastre maritime de l'an 1912 ; les aiguilles d'une horloge marquant 8 h 8 m, quelle heure serait-il si la grande et la petite aiguille changeaient de place entre elles ? Suivent quelques problèmes d'arithmétique pittoresque.

Quels sont les auteurs des phrases suivantes ou de quel ouvrage sont-elles tirées ? Suivent des citations anglaises que je ne saurais toutes identifier, mais dont l'une est de Shakespeare, dont une autre est tirée d'une poésie populaire, une autre d'un poème moderne.

Qui a écrit : Les actes des apôtres ? Le Roi Lear ? Faust ? Le Cid ? L'Odyssée ? Les Misérables ? L'Encyclopédie ? L'Enéide ? Germinal ? La Chartreuse de Parme ? Dominique ? La Légende des siècles ? La Guerre et la Paix ? Enfin, cet interrogatoire se termine par un petit problème philologique qui suppose une culture littéraire assez étendue : Indiquez la langue dans laquelle sont écrites chacune des citations suivantes et traduisez-les, si vous pouvez ; les citations sont en anglo-saxon, en grec, en français, en latin, en italien, en vieil anglais, en allemand.

On voit que ce questionnaire a été calculé de façon à ce que l'élève qui répondrait à chacune des questions devrait être considéré comme non seulement ayant reçu une instruction très complète et très variée, mais comme doué d'une vive intelligence, au courant de beaucoup de problèmes. J'ai, comme je l'ai dit, remplacé les données trop américaines ou anglo-saxonnes par des formules d'un intérêt français et, tel quel, il pourrait être essayé par un maître soucieux de pouvoir jauger l'esprit de ses élèves autrement que par des interrogatoires se rapportant directement aux programmes scolaires. Il provient originairement d'un collège de Philadelphie où les deux sexes reçoivent le même enseignement, et il est assez curieux de constater que c'est une jeune fille qui a fourni le plus grand nombre de bonnes réponses, la moyenne la plus élevée demeurant toutefois du côté des garçons et aucun d'eux n'ayant donné autant de réponses faibles, surtout dans les classes au-dessous de la troisième. Il y a eu, comme dans tout interrogatoire de ce genre, des réponses comiques : Hydraulique, qui contient de l'hydrogène ; pneumatique, qui concerne la pneumonie ou sujet à la pneumonie ; les couleurs de l'arc-en-ciel sont le lilas, la lavande, le vert et le bleu ; Lloyd-George a été l'un des « rescapés » du Titanic ; l'Enéide de Virgile a été écrite par Homère, Horace et Æneas ; « Raison d'être » est un gâteau à raisin. On a remarqué que les meilleures réponses à cet examen d'« information générale » provenaient d'élèves appartenant à des familles intelligentes, ayant le souci de l'éducation de leurs enfants, se faisant leurs collaborateurs de tous les instants, participant étroitement, conclut l'auteur américain, à leur vie scolaire.

REMY DE GOURMONT.

[texte communiqué par Mikaël Lugan]