Un petit livre vient de paraître, que je considère comme des plus importants. On y trouvera à la fois une leçon de méthode et une leçon de bon sens. Les phénomènes de magnétisme et de spiritisme y sont dépouillés de leur apparence mystérieuse, présentés à nu, expliqués, démontés avec une adresse et une science parfaites. La lecture achevée, on classe aussitôt les adeptes de l'occultisme en deux catégories : les naïfs et les fourbes. Tel médium illustre prend place parmi les fourbes. Tel savant, féru de « métapsychique », se range parmi les naïfs. Et l'on a la satisfaction rare, en lisant attentivement ces pages pleines de faits et d'idées de converser avec un auteur qui ne fait jamais appel qu'à la raison et au raisonnement, qui ne laisse jamais le sentiment, sous quelque forme que ce soit, intervenir et troubler le cours logique de la discussion. Il ne s'agit pas pour M. Danville d'opposer une conviction à une autre conviction, une croyance à une autre croyance, de nier ou d'admettre les faits selon cette sorte de bon plaisir que s'arrogent trop souvent les esprits dénués de véritable sens critique, ni surtout de conclure d'après des principes d'utilité ou de sentimentalité. Nous restons avec lui dans le pur domaine scientifique et nous l'accompagnons au cours de sa brève promenade critique avec la plus entière confiance.

Il commence bravement par le commencement. Voici Swedenborg, qui se croyait en communication à la fois avec les anges et avec les âmes des défunts. Ce mystique scandinave fonda une véritable religion qui a encore des adeptes, une église qui a encore des succursales dans le monde entier. L'adresse de l'église swedenborgienne de Paris est au Bottin. Tout comme Allan-Kardec et les spirites modernes, Swedenborg admettait les phénomènes de matérialisation, que les aventures du professeur Richet ont popularisés. Comme eux, il croyait à la télépathie, à la vision à distance, à toutes les imaginations des simples qui se réunissent maintenant autour des sympathiques guéridons. Swedenborg, nous avons eu le même spectacle, avait commencé par être un homme de science. Quand la tête lui tourna, quand, hanté par ses premières hallucinations, il commença de prêcher sa doctrine de la Nouvelle-Jérusalem, sa réputation scientifique donna à ses rêveries une autorité immédiate. L'Europe entière le consultait. Le grand philosophe Kant écrivit contre lui un opuscule d'une raillerie assez lourde, « De la superstition et de ses remèdes ». Cela se passait à la fin du dix-huitième siècle, pendant les années même où se déroulait la Révolution française. Swedenborg ne doit pas cependant être considéré comme le créateur du spiritisme. Sa doctrine lui fournit plus tard quelques éléments, mais le spiritisme eut une origine toute différente. C'est ainsi que le christianisme, qui s'incorpora dans la suite les éléments de la doctrine de Platon, n'est aucunement né, quoi qu'en ait pensé M. Havet, sous l'influence platonicienne. Il y a des moments dans l'histoire de l'humanité où les mêmes idées, les mêmes folies, surgissent de toutes parts pour venir se rejoindre en un même centre. Le christianisme hérita de cinq ou six sectes païennes : il unifia sous sa maîtrise les fidèles inquiets de Bacchus, d'Adonis, d'Isis, de Mithra, et tous communièrent bientôt dans le rêve de la vie future, idée tout à fait étrangère au dogme indécis des premiers judéo-chrétiens. Nous ne connaissons pas encore toutes les manifestations spirites antérieures au spiritisme classique, celui qui vit aujourd'hui sous les règles d'Allan-Kardec, celui qui réunit, dit-on, près de quatre millions de croyants répandus dans le monde entier et surtout dans l'Amérique du Nord, berceau des premiers apôtres de la foi nouvelle.

La folie swedenborgienne s'épanouit durant la Révolution française. Le spiritisme naquit pendant la Révolution de 1848. Ne croirait-on pas à quelque commotion cosmique frappant l'humanité et produisant selon les races les résultats les plus opposés ? Mais revenons à la sage méthode de M. Danville. En 1848, donc, à Hydesville, dans l'Etat de New-York, vivait la famille Fox, John Fox, sa femme et deux filles. Elle habitait une maison dont le précédent locataire avait dû fuir, effrayé de coups frappés la nuit à sa porte, sans qu'il eût jamais pu en découvrir l'auteur. « Or, un soir, dit M. Danville, vers la fin de mars 1848, on perçut, non plus des coups frappés à la porte de l'immeuble, mais des bruits de meubles remués, qui semblaient provenir de l'étage supérieur. » Le lendemain, même tapage. Les jeunes filles émettent l'idée qu'il pourrait être produit par l'esprit d'un locataire précédent, mort dans la maison. Pour s'en assurer, l'aînée imagine un procédé de communication qui devait faire rapidement fortune. S'adressant à l'invisible, en frappant dans ses mains des coups distincts, elle le prie de l'imiter. « Comptez un, deux, trois, quatre ! » Immédiatement un, deux, trois coups se font entendre, et la jeune fille se trouve mal. Le spiritisme était né. La plus jeune des petites Fox avoua bien plus tard, que c'était elle qui, de l'étage supérieur, avait répondu aux coups frappés par sa sœur ; on n'en tint pas compte. Et d'ailleurs, il était trop tard. L'Amérique entière, en quelques années, était devenue spirite. Un homme ingénieux avait imaginé la table autour de laquelle des fidèles réunissent leurs mains, et les tables, partout, tournaient avec frénésie. On a calculé qu'en 1854 il y avait aux Etats-Unis plus de soixante mille médiums ! Philadelphie, à elle seule, abritait, trois cents sociétés spirites. C'est vers cette époque que la France fut contaminée. La société du second Empire s'adonna passionnément au jeu des tables tournantes. Des hommes distingués s'y laissèrent prendre. Elles consolaient même les exilés à Bruxelles et à Guernesey ; Victor Hugo évoquait les esprits ! Seul, au milieu de l'universelle démence, le savant Chevreul, gardant son bon sens, se montra observateur. Il regarda, analysa et posa son principe de la tendance au mouvement et de l'accélération progressive des mouvements inconscients. Taine expliqua fort bien également ce qu'on a appelé l'écriture médianimique et qui n'est qu'un phénomène anormal d'activité mentale inconsciente. Quant aux faits plus compliqués, tels que les apports de fleurs, qui tout à coup apparaissent, les fantômes qui surgissent ou semblent se former lentement dans l'ombre, donnant l'illusion d'une fantastique « incarnation », ce sont de simples jeux de prestidigitation. Les femmes, grâce à leurs jupes et à leur pudeur que l'on n'ose troubler par de trop précises fouilles, réussissent particulièrement les apports de fleurs. Un médium à incarnations opérait assis sur une chaise en tapisserie de l'aspect le plus honnête et qu'il laissait d'ailleurs palper aux spectateurs soupçonneux. Or, un jour, un malin découvrit le secret, et l'on trouva, dans un minuscule compartiment bien dissimulé : une tête avec un masque couleur chair, six pièces de belle soie blanche de la Chine, deux pièces de drap noir très fin, trois barbes de formes différentes, deux perruques, une blanche et une grise, une petite lampe électrique avec quatre mètres de fil, et plusieurs autres accessoires des plus propres, bien maniés, à faire surgir le fantôme attendu. La célèbre Eusapia Paladino, qui a trompé tous les savants d'Europe, a fini par se faire prendre en flagrant délit de truquage par le docteur Sollier. Le spiritisme est en train, au regard des gens sérieux, d'agoniser dans l'escamotage.

Le petit livre dont je parle contient aussi une histoire du magnétisme, depuis Mesmer qui fut beaucoup moins charlatan que l'on ne croit, jusqu'à Charcot, aux mains duquel il se transforma en suggestion. Le fluide magnétique est une illusion. Il faut aussi craindre beaucoup, en ce dernier genre de phénomènes, les fraudeurs et les simulateurs. Un des sujets de M. de Rochas disait : « M. de Rochas désire que je voie des effluves lumineux. Pour un louis la séance, j'en vois tant qu'il le désire. » C'est avec une telle méthode que l'excellent colonel a écrit ces livres fantastiques sur l'extériorisation de la sensibilité et de la motricité, sur la lévitation, qui furent pris au sérieux il y a une dizaine d'années.

En somme, du magnétisme et du spiritisme, il ne reste actuellement devant la science que quelques faits élémentaires d'automatisme ou de suggestion lesquels, grossis par l'état nerveux de certains médiums, donnent au public l'illusion de faits merveilleux. Bien analysés, ils ne sont plus rien. On trouvera peut-être que c'est dommage. Un peu de mystère nous amuserait. Que l'on se rassure. Le mystère reste. Il est en nous, dans la vie même.

REMY DE GOURMONT.

[texte communiqué par Mikaël Lugan]