Je crois bien que M. Haraucourt a raison et que c'est un peu simplifier la question que de présenter la race française formée des trois seuls éléments celtique, latin et germanique, ce qui suppose l'unité parfaite d'origine chez les habitants de la Gaule, tels qu'on les prend à l'époque de César. Mais si on ne simplifiait rien on ne comprendrait jamais rien, tant les problèmes sont complexes. C'est pour cela que plus on étudie ces grandes questions vagues, et moins on arrive à les résoudre, car on les voit à mesure se décomposer en une multitude de questions secondaires et souvent contradictoires. Je n'en retiens pas moins que les trois éléments nommés restent de quoi s'est, pour la plus grande part, formée notre race, le mélange, selon les régions, ayant été variable en des proportions difficiles à déterminer. Nous avons, au surplus, de ces faits, une connaissance historique. Maintenant quelle était la pureté de ces trois éléments et d'abord y a-t-il, et même y a-t-il jamais eu des races pures, et l'idée même de race est-elle légitime ? Il n'est pas aisé de répondre à tout cela, d'autant plus qu'il s'y est mêlé beaucoup de préjugés linguistiques et autres. Un peuple qui parle une langue d'origine latine n'est pas nécessairement un peuple latin. Les Prussiens, pour nous type de l'Allemand, sont en réalité des Slaves. L'antinomie de la race et de la langue se retrouve partout et tout le monde sait qu'un autre pays allemand, l'Autriche, contient fort peu d'Allemands, que l'Angleterre compte trois grandes régions celtiques, etc. Cependant, quand un peuple parle une langue qui n'est pas originairement la sienne, c'est qu'il s'est fortement mêlé au peuple qui lui a communiqué cette langue. Un métissage, quelque restreint qu'il ait été, est toujours très probable. Il ne faut donc pas dire que la langue ne signifie rien dans la formation des races. Mais elle signifie beaucoup moins que le vulgaire ne s'imagine et rien dans la question d'origine. A la seconde question, s'il y a des races pures, et cela résoudra en principe la première, je répondrais volontiers que la situation de l'Europe a toujours été à peu près pareille à ce qu'elle est aujourd'hui. Pour qu'il y ait des races pures il faudrait supposer que les anciens peuples vivaient rigoureusement enfermés dans leurs frontières. Or rien ne permet de le croire. On a même des preuves que, dès l'âge de la pierre polie, ils avaient des relations les uns avec les autres. Puis, dans les temps primitifs, il y avait des migrations en masse. Les maisons n'attachaient pas l'homme au sol, il se déplaçait volontiers et souvent de très loin. Cependant, la formation de races distinctes ne s'explique que par le long séjour en un même lieu de groupes plus ou moins stables, longtemps nourris par un même sol. C'est en effet le sol qui forme les races, qu'il s'agisse des hommes ou qu'il s'agisse des animaux. Tous sont fils de la terre. Leur composition est pareille à celle de la terre même qui les nourrit et c'est d'elle qu'ils tirent nécessairement non pas seulement leurs forces physiques, mais toutes les puissances de la spiritualité : les âmes, tout ce que l'on groupe sous ce mot, l'intelligence, la volonté, le caractère, sont, au même titre que les muscles, composées de l'essence de la terre. Et c'est pour cela même qu'un montagnard diffère d'un habitant des plaines, un indigène des pays granitiques d'un fils des sols calcaires ou des terrains d'alluvion. Mais l'homme n'est pas qu'un produit chimique de la terre ; il est aussi un produit physique, et après la nature du sol, c'est la nature du climat qui a sur son développement l'influence la plus certaine. Celle-ci est même mieux connue, parce qu'elle a des effets extérieurs plus évidents. Il ne fallait pas une observation très aiguë pour s'apercevoir que les mœurs dépendent en grande partie du chaud et du froid, que leur équilibre, d'où naît la civilisation, ne se rencontre guère que dans les régions tempérées. Le climat détermine la forme de l'activité. Il ne dépend pas des habitants d'un plateau sec de se livrer à l'agriculture ou à l'élevage des troupeaux. L'agriculture leur est défendue, tandis qu'elle s'empare de l'activité de l'habitant des plaines. Les riverains d'un grand fleuve ou de la mer sont naturellement portés au commerce avec les peuples lointains. De là de nouveaux caractères qui sont sous la dépendance de la géographie. Dans les vastes plaines de l'Asie, les peuples sont sédentaires ou nomades, selon que le sol s'épuise plus ou moins rapidement. Il en est de même en Afrique.

L'homme a toujours été essentiellement esclave de la terre qui détermine de la façon la plus stricte les formes élémentaires de son activité, et la civilisation mécanique a changé peu de choses à cela, parce que l'homme ne peut s'éloigner que pour un temps très bref du sol qui le nourrit et dont il dépend, comme un nouveau-né du sein de sa mère. Mais, si maintenant, il peut s'en écarter, aux temps primitifs, avant les chemins, avant les pistes même, il ne le pouvait que dans des conditions fort précaires : cela mieux que tout explique les fonctions des races.

Maintenant, comment se sont-elles pénétrées les unes les autres dès les temps les plus anciens ? Par les grandes voies naturelles formées par les dispositions géographiques et qui sont les larges vallées dessinées par les fleuves. D'Orient en Gaule, par exemple, le Danube est une voie très sûre qui, avec la vallée du Rhône, peut même mener jusqu'à la Méditerranée ; ce fut celle que prirent les Huns et certainement aux temps préhistoriques, bien d'autres peuples. Ce serait par là que seraient venus les Celtes qui s'établirent partout, jusqu'en Italie et en Espagne et qui franchirent peut-être le détroit de Gibraltar. Il y en a encore deux autres, l'une plus au Nord, l'autre plus au Sud et toutes les trois aboutissent nécessairement à la Gaule ou la traversent. Il est donc extrêmement probable que les populations primitives de notre pays fussent d'origine diverse. Reste à savoir si les Celtes n'y étaient pas de beaucoup les plus nombreux ou s'ils n'avaient pas, au moment où les prend l'histoire, fait dans ce pays un séjour assez prolongé pour être arrivés à un certain degré d'homogénéité assez analogue à celui de la population actuelle. C'est ce que nous ne savons pas précisément et ce qu'il nous plait d'affirmer, car il faut bien affirmer quelque chose de temps en temps.

S'il y avait une sorte d'unité dans la race celtique, il se peut fort bien qu'elle ait été le produit de métissages. C'est comme cela que se sont formées nombre de races secondaires, des composés auquel le lien politique a donné leur stabilité. Du métissage innombrable et continu, dit un ethnographe, tend naturellement à sortir un type nouveau, synthèse et résumé de tous ceux qui ont concouru à sa formation. Ce type moyen, où certains caractères prédominent suivant la nature des milieux, n'est pas cependant le produit exact de toutes les variétés humaines qui l'ont déterminé ; dans une région donnée, il tend toujours à retourner vers son type primitif, selon la grande loi du retour à l'unité, ou lutte contre la variation, qui est la négation même des imaginations de Darwin. Cette lutte contre la variation est le grand fait biologique de ces dernières années. Elle explique la constance des types, ou du moins leurs faibles oscillations. Le type grec est constant en Grèce, malgré invasions et conquêtes ; il en est de même du type fellah en Egypte, du type ibère en Espagne, du type romain en Italie, du type celtique en France. Mais, pour ce dernier, nous sommes trop frappés par ses variétés pour en bien connaître l'unité. Ses types régionaux et locaux sont trop présents à nos yeux et à notre esprit ; nos connaissances historiques sont trop précises pour que nous puissions faire abstraction des différences. Elles doivent être beaucoup moins sensibles de l'extérieur. Quel que soient les métissages qu'il ait subis avant et depuis César, le type celtique, malgré maintes oscillations, garde sa force dominatrice. Il a toujours été et demeure le noyau de la cristallisation sur notre sol.

REMY DE GOURMONT.

[texte communiqué par Mikaël Lugan]