On recommence à beaucoup parler du spiritisme et des spirites ou médiums, de ces hommes ou femmes, surtout femmes, qui prétendent déplacer les objets sans contact, par la seule force de leur volonté, faire du plafond tomber des fleurs, évoquer les morts, des morts que M. le professeur Richet prétend avoir vus, dont il a constaté la respiration ! A la vérité, M. Charles Richet s'est fait quelque tort dans l'esprit des gens sérieux et lui-même, à l'heure actuelle, regrette probablement d'avoir oublié que les mots incarnation, désincarnation, réincarnation ne représentent pas autre chose que des jeux d'esprit, de fantasmagoriques images, par quoi hiérophantes, prêtres et jongleurs abusent des âmes simples. La question des apports de fleurs semble tout à fait élucidée. Ce sont généralement les médiums féminins qui se livrent à cette gracieuse expérience. Or, quoi de plus facile que de dissimuler un bouquet dans un corsage, sous une jupe ? Plus d'une fut prise en flagrant délit de maladresse, et les plus crédules furent réduits à constater la fraude. Mais que les hommes sont singuliers ! Etait-il vraiment besoin de tant d'apprêts pour démontrer que des roses ne peuvent provenir que d'un rosier, qu'elles ne peuvent avoir été cueillies que par une main humaine, mises sur la table par une main humaine, et que si elles tombent du plafond, c'est qu'on a organisé un truc plus ou moins neuf et adroit ? Les prestidigitateurs font couramment de ces tours, dont quelques-uns sont très jolis, sans que l'on ait jamais songé à leur donner une valeur surnaturelle. Tout cela est enfantin.

Reste la question des objets déplacés sans contact, ce qu'on appelle plus brièvement lévitation. Elle n'est pas tranchée. Il n'y a peut-être là qu'un tour d'adresse d'une qualité supérieure. Il s'agit peut-être aussi d'un problème nouveau de physique animale. Sa forme la plus humble est la table tournante. J'ai assisté plusieurs fois à de tels exercices et j'ai pu constater, au moins une fois, dans un appartement qui certes n'était pas truqué, les curieuses évolutions d'un guéridon. Mis en train, mis en chaleur, pour ainsi dire, par le contact de plusieurs paires de mains, quelqu'un ayant sifflé un air de gigue, le guéridon nous échappa et se mit à tourner autour de la pièce, mêlant la valse à la gigue, d'abord soutenu par un des doigts du siffleur, puis absolument libre, la main ne faisant plus, comme un maître de danse, que marquer le rythme et le mouvement. Nous sommes bien ici dans la question du déplacement des objets sans contact. Ce déplacement se faisait même en des conditions particulièrement intéressantes. L'un des témoins et acteurs innocents de la scène était Huysmans, qui en fut très frappé et y gagna peut-être la maladie du surnaturel dont il souffrit le reste de sa vie. Le lendemain, il confessait à un de ses amis, M. E. D..., qui me l'a raconté depuis, le trouble profond où l'avait jeté cette soirée. Il me fit à moi-même la même confidence, peu de jours après, et nous eûmes une discussion dont je n'ai gardé que cette impression : que l'auteur de Là-Bas, alors en train, n'était pas loin de voir là l'intervention du diable.

Le diable ! En disant cela, Huysmans se rangeait à l'interprétation de l'Eglise. Les spirites orthodoxes, ceux qui ont gardé la bonne tradition d'Allan Kardec, y voient l'intervention des esprits, c'est-à-dire des défunts, des désincarnés continuant à vivre dans l'espace autour de nous, à se mêler aux affaires de ce monde, et dociles à répondre à l'appel de tous ceux qui savent les interroger. On peut parler de cela, en passant. Il n'y a pas, en effet, répandus sur la terre, en Europe et en Amérique principalement, moins de quatre ou cinq millions de spirites convaincus, en relations les uns avec les autres, par de nombreux journaux, formant une véritable religion universelle qui gagne tous les jours des adeptes aux dépens des anciens cultes chrétiens. Un philosophe me disait l'autre jour qu'il la croyait destinée à supplanter peu à peu le christianisme devenu trop dur pour la sensibilité moderne, trop rigide en face du besoin croissant de liberté qui caractérise l'humanité d'aujourd'hui. Il faut dire cependant que presque tous les spirites étant des évadés du christianisme, ils portent dans la nouvelle secte l'esprit chrétien.

Parmi ceux qui ne sont ni chrétiens ni spiritualistes ou qui, du moins, savent même au sein d'une croyance traditionnelle, conserver leur présence d'esprit, le phénomène des tables tournantes et de la lévitation, tous les phénomènes analogues, quels qu'ils soient, et s'ils existent vraiment, se rangent à l'intérieur d'une science fort connue, la physique. Bacon le disait déjà, il y a trois cents ans : il n'y a qu'une science, la physique. Mais, pour qu'un phénomène mérite d'être étudié en tant que phénomène physique, il faut qu'il soit bien avéré ; il faut qu'en un bon laboratoire, on puisse le reproduire, sinon à son gré, du moins en des conditions normales et faciles à déterminer. Quelques-unes des manifestations de l'électricité naturelle, de la foudre, par exemple, semblent encore moins échapper à la méthode expérimentale, mais on sent bien qu'elles s'y accommoderont un jour ou l'autre. Il en est de même du magnétisme humain, s'il est une force réelle et autre chose qu'une illusion des sens. On doit arriver à pouvoir en reproduire expérimentalement les principaux phénomènes ; ceux qui se montreront rebelles seront classés à part et étudié jusqu'à ce qu'ils aient livré leur secret. Pour le moment, des savants, tels que le docteur Gustave Le Bon, portent leur attention sur le phénomène de lévitation. Une somme de 2,000 francs, et qui peut s'augmenter, a été réunie. Elle sera remise au médium, à l'individu doué de la force qu'on appelle provisoirement psychique, qui aura réussi à déplacer sans contact, en pleine lumière, un objet placé sur une table, à le faire, par exemple, passer sur une autre table. Pour éviter les troubles possibles de l'auto-suggestion, de l'hypnotisme, on devra pouvoir prendre une photographie instantanée de l'opération. Si cela réussit, la physique se sera enrichie d'un chapitre nouveau, et personne de sérieux ne sera vraiment étonné, car on aura seulement prouvé que l'animal humain est pareil à une sorte de poste de télégraphie sans fil. Le diable et les esprits s'évanouiront définitivement, on créera à la Sorbonne une chaire d'électricité humaine, on n'y nommera pas M. le professeur Richet, qui d'ailleurs, maintenant, fait des tragédies, et l'on trouvera peut-être, pour cette force nouvelle, des applications intéressantes. Oui, comme nous sommes arrivés par l'électricité à transmettre un mouvement à distance, sans intermédiaire, sans autre conducteur que l'air, peut-être arriverons-nous à remuer à distance, dans les mêmes conditions, les objets qu'il nous plaira de remuer. Et ce ne sera ni de la psychique, ni de la métapsychique, ni rien de surnaturel, ce sera de la physique, de la bonne, claire, simple et sainte physique.

REMY DE GOURMONT.

[texte communiqué par Mikaël Lugan]