On s'inquiète beaucoup en ce moment de découvrir les tendances des nouvelles générations. Jamais la jeunesse n'a été flattée comme aujourd'hui et jamais, non plus, le présent n'a eu pour certains esprits, moins de valeur. On s'occupe de la jeunesse, parce qu'elle est l'avenir. Elle ne fait rien, mais elle fixe quelque chose de très important, plus tard, demain ou après-demain. Et, chose curieuse, chaque enquêteur découvre une jeunesse dont les tendances ressemblent excessivement aux siennes. Ainsi, pour M. Agathon « elle est sportive, réaliste, chaste et apte aux luttes économiques ». En un autre chapitre, il la déclare encline au catholicisme et cela représente assez bien les aspirations du milieu où il évolue, mais ce milieu, qui est très connu, est tout simplement une des nuances de l'opinion réactionnaire. On en apprendrait tout autant en lisant les journaux de l'opposition cléricale, c'est-à-dire les journaux mondains de Paris et ceux qui voudraient bien l'être, parce que rien n'est plus profitable. On a comparé plaisamment les conclusions de l'enquête agathonique à un prospectus d'eaux minérales qui promettent les bienfaits les plus opposés. Je trouve cela dans la petite revue de M. André Germain, qui a été frappé comme moi et comme d'autres de l'incohérence de ces jeunes gens qui cultivent à la fois la chasteté et le réalisme, la boxe et l'économie politique, l'internationalisme catholique et le patriotisme ! Mais c'est un livre tout à fait de second ordre ; on s'en est déjà occupé ici. Passons. En voici un qui m'intéresse davantage et qui peut prêter à quelques réflexions générales. Celui d'Agathon n'était guère qu'un pamphlet politique ; celui-ci se présente dans un aspect plus loyal. Les opinions variées qu'il renferme n'ont pas été inventées dans le salon de M. Barrès ou dans la salle de rédaction d'une gazette mondaine ; il n'y est question que de littérature et ce sont des esprits de la valeur de Verhaeren ou de Paul Adam qui tâchent de démêler ce qu'elle est, vers quelles réalisations elle tend. Les jeunes gens qui ont entrepris cette enquête « sur les tendances présentes de la littérature française » sont venus me voir et il se trouve qu'ils ont rapporté assez fidèlement notre conversation, qui n'eut pas un intérêt immense, parce que je me prête assez mal aux enquêtes de ce genre. Toutefois, n'ont-ils pas éprouvé le besoin de me faire dire ce qu'ils pensaient, eux. Et c'est assez rare pour que j'aie confiance en ce qu'ils rapportent de la pensée des autres. La principale de leurs questions se formulait ainsi : « Dans quelle mesure la littérature actuelle, dans son ensemble, continue-t-elle, à votre avis, ou transforme-t-elle les grands courants littéraires qui se sont partagés le XIXe siècle : romantisme, naturalisme, parnasse et symbolisme ; dans quelle mesure s'y oppose-t-elle ? Croyez-vous, d'autre part, que la nouvelle génération littéraire apporte des idées originales ? » Cette question, qui est d'ailleurs un peu complexe, paraîtra obscure à qui ne sait pas que les écoles littéraires, qui se sont accumulées avec une certaine rapidité depuis une trentaine d'années, et qui ne parviennent pas toutes à la connaissance du public, ont toujours eu la prétention de renouveler le fonds littéraire et de contredire les aspirations antérieures. Mais il arrive aussi qu'elles n'y réussissent pas très bien et que, croyant faire du nouveau, elles prennent la suite tout simplement. Parmi les poètes symbolistes, il y en avait quelques-uns qui faisaient leurs vers selon la formule du Parnasse et qui pourtant n'en étaient pas moins symbolistes. Parmi les poètes nouveaux d'aujourd'hui, il en est bien peu qui ne se rattachent pas au symbolisme par quelque côté. Quoi que l'on fasse, on subit toujours plus ou moins l'influence de ses devanciers immédiats. Il est cependant quelques jeunes écrivains qui ont franchement répudié cette influence et cherché à s'en dégager complètement. Ce sont ceux qui s'appellent eux-mêmes des néo-classiques et qui voudraient ne dépendre que du dix-septième siècle, soit comme esprit, soit même comme forme. Mais c'est un mouvement purement critique et qui n'a produit aucune œuvre originale, ce qui serait d'ailleurs la négation de leurs principes. Les néo-quelque chose sont toujours des imitateurs et de la pire race, de celle des imitateurs volontaires. S'ils s'essayaient à des œuvres, ils se hausseraient difficilement au-dessus du niveau littéraire du XVIIIe siècle : la tragédie de Voltaire est ou serait, malgré eux-mêmes, leur idéal et le but de leurs efforts. Mais à le considérer comme un mouvement purement critique, le néo-classicisme n'est pas méprisable et n'est pas inutile. Il contient nombre d'esprits distingués et même pénétrants, qui jugent avec sang-froid. Ils ont remis en honneur le vieux bon sens, et c'est bien quelque chose.

En opposition avec cette école critique, il y a les paroxystes, dont le poète Nicolas Bauduin [sic] est le meilleur représentant. Ce sont des lyriques exaspérés qui ont d'ailleurs de grandes ambitions. Il y a encore les unanimistes pour qui la foule des êtres et des choses ne sont pas seulement des aspects mais des centres d'influence. M. Jules Romains a écrit selon cette formule deux romans qui sont ce qu'il a paru de plus original ces dernières années ; ils sont même un peu extraordinaires. Sa poésie est un peu sèche ; elle ne ressemble non plus à rien de connu. Je ne vois guère dans le reste de la jeune littérature, où les talents abondent d'ailleurs, qu'une continuation des mouvements antérieurs. C'est peut-être au théâtre, dont les symbolistes se désintéressèrent, que la littérature nouvelle se manifestera le plus sûrement. Il y a, du même Jules Romains et du poète Georges Duhamel (qui est aussi un critique et un savant) des œuvres dramatiques jouées par Antoine à l'Odéon, qui sont d'une valeur certaine. Voilà un aperçu de ce que j'ai vu dans l'enquête de Jean Muller et de Gaston Picard et aussi dans mes lectures quotidiennes à travers les œuvres nouvelles.

REMY DE GOURMONT.

P.S. — A propos du grec et des origines de la langue française, la direction de la Dépêche a reçu une lettre ou note qui montre bien la nécessité de mon dernier article, auquel elle est antérieure. Ce correspondant a été ébloui par les affirmations naïves de M. Daran et il a voulu les renforcer par les observations suivantes : « D'après des recherches rapides et sommaires, je crois pouvoir annoncer ici aux lecteurs de ce journal qui s'intéressent à la philologie nationale et régionale qu'il est facile de relever dans le patois limousin (qui m'est assez familier) des mots portant la marque d'une telle origine (c'est-à-dire grecque). J'en citerai quelques-uns : tuter, frapper, de tuptain ; si paoser, s'arrêter, de pansai ; breser, couvrir, de bressô ; essart, abrast, bois, de alsos ; pétasser, ajouter une pièce d'étoffe, d'une forme du verbe petanummi ; érèlo, rampe d'appui, de ereidô. » Je me garderai bien de réfuter de telles étymologies. Je me bornerai à faire remarquer à ce correspondant lettré, trop lettré, que paoser est une prononciation limousine, et aussi normande, de poser (latin pansare) ; que, sans aller plus loin, il aurait trouvé l'origine de pétasser dans le français populaire rapetasser. On peut lui dire encore que tuter qui, en ancien français, comporte un s, tuster, ne peut pas venir d'un mot qui n'en possède pas ; que l'étymologie de essart est archiconnue, latin sartum, mot qui se trouve maintes fois dans les textes mérovingiens : qu'une ressemblance entre deux mots ne signifie rien, qu'on crut longtemps que le mot paresse était le grec paresis, qui a le même sens, mais qu'une meilleure analyse a prouvé qu'il est le latin pigritia. Enfin, je ne puis m'empêcher de répéter que tout cela est connu, qu'on n'a qu'à se renseigner aux bonnes sources, que la science (l'étymologie en est une très précise) ne se devine pas, mais s'apprend, et avec cela demande du temps, de l'application et quelques dispositions.

R.G.

[texte communiqué par Mikaël Lugan]