Lettre-circulaire :
L'HUMANITE NOUVELLE,
Revue internationale mensuelle. — Sciences et arts.
Directeur : A. HAMON, 3, boulevard Berthier, Paris, XVIIe.

Monsieur,

Les événements récents qui ont troublé le monde ont appelé à nouveau l'attention sur les questions de la guerre et du militarisme. Leur gravité ne vous a certes point échappé.

Il nous a paru intéressant de recueillir, sur ces importantes questions, l'opinion de ceux qui, dans les sciences, les lettres, les arts, la politique, etc., occupent une place éminente. Dans ce but, nous adressons aux personnalités les plus en vue le questionnaire suivant :

1° La guerre parmi les nations civilisées est-elle encore nécessitée par les conditions historiques, par le droit, par le progrès ?

2° Quels sont les effets intellectuels, moraux, physiques, économiques, politiques du militarisme ?

3° Quelles sont les solutions qu'il convient de donner, dans l'intérêt de l'avenir de la civilisation mondiale, aux graves problèmes de la guerre et du militarisme ?

4° Quels sont les moyens conduisant le plus rapidement possible à ces solutions ?

RÉMY DE GOURMONT. — Français. Homme de lettres. Auteur de : Sixtine ; Le latin mystique, etc.

Votre questionnaire est un peu effrayant pour un homme qui se sent tout à fait pauvre en affirmations. Je n'y puis donc répondre comme il le faudrait, mais :

1° Je crois que dans l'état actuel de la civilisation la guerre est toujours possible ; elle plane, elle guette ; elle est la puissance qui, même occulte, régit la vie ;

2° Déplorables, les effets du militarisme. Il engendre la grossièreté, la paresse, le fanatisme de l'obéissance ; il est corrupteur ;

3° L'utopie du recrutement volontaire (qui fut une réalité) me séduirait assez. Provisoirement, et même pour très longtemps, cela serait un progrès énorme ;

4° Faire connaître par tous les moyens, aux hommes de tous les pays civilisés, à la fois, que nul ne doit le service militaire.

Voilà. Mais sous toutes réserves, car il est bien entendu que mon opinion profonde déclare la question insoluble, — comme d'ailleurs à peu près toutes les questions humaines ; c'est ce qui permet de les discuter avec tant de passion.

RÉMY DE GOURMONT.