20 décembre 1910 — n° 1277 — vol. LXII, p. 934

Edison et « l'Eve future » de Villiers de l'Isle-Adam (LXII, 787). C'est méconnaître du tout au tout l'esprit de l'Eve future que de croire y retrouver : « l'époque où quelques esprits émerveillés un peu béatement par le téléphone, le télégraphe, etc., ont cru que l'électricité était l'âme du monde. » Villiers a voulu au contraire marquer dans ce roman les limites de la science et indiquer que, poussées à leur extrême, ses applications demeureraient vaines pour le bonheur de l'homme et ne serviraient qu'à exalter sa folie. Celui qui a écrit (Fragments inédits de l'Eve future, Mercure de France, II, p. 3) :

La boîte à joujoux de la science lui a fait l'effet de l'ivresse. Elle est ivre-morte du progrès.

était peu apte à devenir dupe même de ses propres fantasmagories scientifiques. Il traitait ces questions par l'ironie. Tout le monde ne comprend pas l'ironie. Il y faut une tradition. Et encore ! Voyez Don Quichotte écrit pour bafouer l'idéal chevaleresque et où la médiocrité humanitaire voit maintenant l'apothéose du dévouement inutile à une idée généreuse. Je n'espère pas préserver l'Eve future d'un revirement aussi fâcheux. Si le livre dure, il le subira. Les œuvres ne sont pas ce qu'elles sont, elles sont ce que les hommes désirent qu'elles soient. Je le sais. Mais je défendrai quand même contre les mauvaises interprétation l'idée originelle de l'auteur, que j'ai connue avec certitude.

REMY DE GOURMONT.


20 janvier 1911 — n° 1280 — vol. LXIII, p. 92-94

Edison et « l'Eve future » de Villiers de l'Isle Adam (LXII, 787, 934). Je crois, en effet, comme M. Remy de Gourmont, qu'il faut une certaine tradition pour comprendre l'ironie ; je suis persuadé qu'il en faut davantage pour soutenir avec courtoisie une discussion littéraire et éviter le fâcheux travers si fréquent aujourd'hui d'y chercher prétexte à un petit couplet de « self-admiration » et à cette affirmation à peine voilée, que tous ceux qui ne pensent pas comme vous sont des imbéciles.

Maintenant je dois faire un aveu à M. R. de G ; j'hésite un peu, car la chose lui paraîtra tellement énorme qu'il aura bien de la peine à y croire ; enfin je me risque : eh bien... j'avais compris.

Quelque chagrin que puisse en éprouver M. R. de G., je ne crois pas trop m'avancer en affirmant que point n'est besoin d'être Grand Maître des Epilogues pour sentir la part d'ironie et même d'amertume de l'« Eve Future ».

Il reste que, soit pour les railler, soit pour tout autre motif, ce roman est rempli d'élucubrations scientifiques concernant l'électricité : c'est là un fait matériel ; or j'ai dit simplement, et je maintiens que si l'auteur leur a donné une si large place (dans quelque intention que ce soit) c'est ou bien qu'il y attachait lui-même une certaine importance, ou que les gens de son époque éprouvaient pour ces nouveautés scientifiques l'admiration béate dont j'ai parlé.

Précisément parce que « Villiers de l'Isle Adam a voulu marquer dans ce roman la limite des sciences », il a dû choisir celle qui « emballait » le plus ses contemporains.

Je lui reproche, non pas, comme M. R. de G. m'en accuse en déformant complètement ma pensée, d'avoir partagé cette folie, mais de s'être donné la peine de combattre un enthousiasme un peu niais pour quelques découvertes récentes, au lieu de se borner à montrer les limites philosophiques et morales de la science.

Au fond, et bien que cette hypothèse ait une allure de paradoxe, ce n'est pas tellement différent : quand on se donne tant de mal pour détruire une croyance c'est qu'on n'est pas très éloigné soi-même de lui reconnaître une réelle puissance.

L'ironie de ce livre — quoi qu'en puisse penser M. R. de G. — je l'ai sentie, au point même qu'elle m'a paru un peu trop facile.

Je reste persuadé que la partie morale, profondément originale et émouvante, de l'« Eve Future » aurait gagné en intensité si l'auteur avait, pour ainsi dire, posé le problème technique comme résolu, en laissant un peu dans les mystères les détails d'adaptation pratique, au lieu de se répandre en minutieuses descriptions d'une si puérile invraisemblance scientifique que la critique même de la science s'en trouve diminuée.

Il y a parmi les demi-scientifiques dont je parlais deux groupes ; les uns croient bonassement que la science peut tout, les autres plus cultivés mais guère moins naïfs se figurent que « les savants » croient eux que la science peut tout.

Qu'il me soit permis enfin d'exprimer un regret : M. R. de G. qui sait tant de choses et qui joint à un culte de la tradition un peu inattendu chez lui un sens si aigu de la vie moderne, n'a négligé qu'un point dans sa réponse... c'est de répondre à la seule question que j'avais posée :

« Edison a-t-il exprimé son opinion sur l'Eve Future ». J'ai des raisons de penser que la solution de ce petit problème serait assez piquante.

Je soupçonne d'ailleurs que si M. R. de G. m'a fait l'honneur de tourner un instant contre moi son ironie si délicate, ce n'est pas tant à cause de la légère critique que j'ai ébauchée à propos de « l'Eve Future » (critique qu'il a d'ailleurs comprise à rebours), que parce que je me suis permis de dire que je considérais ce livre comme une passionnante étude psychologique.

Oser admirer Villiers de l'Isle Adam, et cela sans m'occuper de l'interprétation, de la tradition Gourmont, voilà le crime impardonnable.

M. R. de G. qui affirme connaître la pensée de l'auteur fait entendre que celui-ci doit m'être inintelligible et que par conséquent j'ai tort de l'admirer : il est de ses amis, je ne puis que m'incliner.

Laissant de côté la personnalité de M. R. de G. dont je suis le premier à admirer souvent les critiques littéraires car — au risque de le froisser — je crois comprendre... même ses œuvres, qu'il me soit permis de signaler et de regretter une mode fâcheuse qui, depuis quelque temps, s'est introduite dans le monde des lettres : presque tous les poètes, romanciers, musiciens sont peu à peu confisqués par quelques personnes qui se sont donné à elles-mêmes la mission de veiller sur la gloire d'un défunt illustre... qu'en général d'ailleurs elles n'ont pas connu.

Le plus amusant, c'est qu'elles sont plus féroces encore pour ceux qui se permettent de l'admirer que pour des adversaires déclarés. Il y aurait à ce sujet une bien curieuse étude à faire.

C. B.


20 janvier 1911 — n° 1280 — vol. LXIII, np

Bibliographie – Rémy de Gourmont. – Nouveaux Dialogues des Amateurs sur les choses du temps 1907-1910. Epilogues, Ve série. Mercure de France 3 fr. 50. Sur toutes choses, avec sa profondeur de philosophe, sa liberté d'artiste, son art de grand lettré, M. Rémy de Gourmont converse. Son interlocuteur imaginaire lui permet de montrer les multiples aspects des choses. En ces dialogues incisifs, d'un bon sens aigu qui pénètre, d'une sagesse si haute et si indépendante, les idées, les opinions, les formes de ce temps sont fixées. Et j'imagine qu'on aura à écouter ces voix, plus tard, le même projet qu'aux propos du Neveu de Rameau, et le même plaisir encore que la folie outrancière et pittoresque du paradoxe en soit absente. Mais c'est si bien nos [mot pris dans la reliure], pile ou face !


10 mars 1911 — n° 1285 — vol. LXIII, p. 301-302

Madame Récamier. Que signifie cette phrase du Dr Poumiès de la Siboutie (Souvenirs d'un médecin de Paris, p. 275) :

M. Lenormand a épousé la nièce ou plutôt la fille de Mme Récamier...

Lucina sine concubitu, alors ?

R. G.


20 septembre 1912 — n° 1340 — vol. LXVI, np

Bibliographie. Il faut bien croire que depuis le temps qu'il y a des hommes et des femmes et qui se rapprochent, ils ne se sont pas encore compris, puisqu'on ouvre partout des enquêtes pour savoir qu'est-ce que c'est que l'homme qui comprend les femmes ou la femme qui comprend les hommes. Les sexes sont-ils encore si étrangers l'un à l'autre qu'ils en sont à toujours chercher par où ils se pourraient rencontrer sans duperies, ni blessures. M. Octave Uzanne était allé au-devant de cette enquête, avec Le Célibat et l'amour, traité de vie passionnelle et de dilection féminine (Mercure de France). C'est un code d'observations et d'expériences, qui a le mérite de la plus extrême franchise. Où donc M. Octave Uzanne a-t-il appris tout cela ? Il se confesse lui-même, c'est entendu, mais il y fait aussi la confession des autres. M. Rémy de Gourmont, que ce livre enthousiasme, lui a donné une préface, qui est de ses pages les plus audacieusement limpides. M. Rémy de Gourmont ne croit pas à l'amour dans le mariage : « L'amour est passager et le mariage est permanent ». Le mariage a d'autres buts et d'autres mérites... D'ailleurs ce n'est pas sur ces mérites que M. Octave Uzanne se prononce. Il cherche à définir l'amour pour l'amour, et il est aussi objectif que possible. C'est un livre de chevet pour les méditations spirituelles d'un célibat un peu égoïste dans les rez-de-chaussée parisiens.


30 septembre 1912 — n° 1341 — vol. LXVI p. 419

La Fontaine et M. de Gourmont. — M. Rémy de Gourmont ajoute à sa dernière « Promenade littéraire » du Temps, ce post-scriptum :

P.S. : Privé momentanément de mes livres, j'ai fait quelques attributions et citations inexactes, dans mon article sur le Caractère de La Fontaine. Le vers « tenir entre ses bras... » figure non dans les Fables, mais dans les Poésies diverses. Il faut lire non « Et les sombres attraits... » mais :

Jusqu'aux sombres plaisirs d'un cœur mélancolique,

ce qui exige un remaniement de la phrase. J'ai déjà eu l'occasion de communiquer ces rectifications à l'Intermédiaire des chercheurs et curieux. — R.G.

Nous avons adressé à M. de Gourmont la lettre de celui de nos collaborateurs qui avait fait cette remarque. M. de Gourmont y a répondu avec son obligeance coutumière, et nous avons envoyé la réponse à l'auteur de la question sans la poser.

On sait assez quel est le souci d'exactitude de ce parfait lettré, pour deviner qu'il serait le premier à corriger ce lapsus, et combien ils sont rares sous sa plume !


20 octobre 1912 — n° 1343 — vol. LXVI, p. 484

Crottus. Quelqu'un pourrait-il donner des renseignements sur Elius Julius Crottus, poète latin érotique moderne, dont on trouve des morceaux dans Erotopaegnion sir e Priapeia Veterum et Recensiorum, Paris, 1798. Je sais seulement que c'était un italien.

R. G.


30 octobre 1912 — n° 1344 — vol. LXVI, p. 568

Tejé (LXVI, 394, 518). Nauticus qui sait tant de choses et les répand dans nos colonnes, avec une libéralité si généreuse, pouvait bien ignorer ce que tejé veut dire. Nous l'ignorions, nous aussi, qui avons laissé passer sa question. M. Remy de Gourmont, dans le charmant petit entrefilet qu'il a consacré à ce sujet, s'en est aperçu avec indulgence, et nous connaissons trop M. Paupe, stendhalien fervent et passionné, pour avoir attaché à la rectification qu'il a faite et qui nous atteint de surcroît, comme éditeur responsable, un sens désobligeant qui n'est pas dans sa manière. C'est dans cet esprit que le Mercure de France, qui est le miroir le plus fidèle des idées depuis vingt-trois ans, en France, et qui ne cesse de nous prodiguer les marques de sa précieuse confraternité a souligné cette petite polémique. [Elle a eu, du moins, l'avantage de répandre dans le public – car la presse s'en est emparée – ce tejé signifiant mystérieusement jésuite et qui était peut-être une anagramme tout de même pour Stendhal].


20 janvier 1913 — n° 1352 — vol. LXVII, np

Bibliographie. Dans cette série d'une si grande richesse d'expressions et d'idées, si prodigue en nuances, que sont les Promenades littéraires de M. Rémy de Gourmont, voici que s'ajoutent quelques nouvelles pages : Souvenirs du Symbolisme et autres études. Ce sont des conversations à propos de tout ce qui peut arrêter l'esprit d'un lettré subtil, indépendant et délicieusement philosophe : Mme de Staël, Boileau, ceci ou cela dans Flaubert, la sensibilité romantique ; et dont la curiosité très instruite va de Paul Fort à Lamartine et de Sainte-Beuve à Octave Uzanne. Tout est prétexte, à ce parfait écrivain, à disserter avec [fin du paragraphe, en grande partie, effacée] d'un Père de la Littérature.

On aime la forte logique, l'équité, la science, la sagacité de toutes ces pages d'une écriture si pleine et si harmonieuse, telles surtout nous retiennent, qui nous plongent au temps du symbolisme : Mallarmé, Moréas, Villiers de l'Isle Adam, et les premiers jours du Mercure de France. Elles nous conduisent dans un monde d'âmes déjà si loin. Il n'est jusqu'à Baju, Anatole Baju, le créateur de la Vogue, dont la silhouette falote ne ressuscite exactement esquissée.


20 février 1913 — n° 1355 — vol. LXVII, p. 191

Haut-le-pied. Ne se trouve pas, à ma connaissance, dans les dictionnaires ordinaires. Les seuls exemples que je connaisse sont : 1° Une danseuse haut-le-pied, 2° une locomotive haut-le-pied ; officier d'équipage (Manoury, Dictionnaire, 1818) ; u. m. person. having no fixed residence ; scamp (vagabond), dans Spiers, Dict. fr.-anglais. Connaît-on d'autres sens, d'autres exemples ?

R. G.


10 mars 1913 — n° 1357 — vol. LXVII, p. 283

Hoche et l'idéalisme historique. Je lis dans les Epilogues de Remy de Gourmont, 1895-1898, p. 168 :

Concussionnaire, affirme-t-on, délateur et traître à sa parole, Hoche n'en est pas moins vénéré... Il était à prévoir que, soldat heureux, favori de tous les gouvernements, il avait eu le genre de vertus nécessaires à son état : de la bravoure et aucun scrupule. Les archives ont parlé, malheur modéré puisque la parole des Archives n'a aucune influence sur l'opinion publique.

... Il faut donc laisser Hoche en possession de sa renommée : si elle est fausse, elle ne s'accorde que mieux avec le ton général de l'Histoire.

Quelqu'un de l'Intermédiaire pourrait-il me renseigner sur « cette parole des Archives » ; je l'en remercie d'avance.

ED. MARTIN.


10 mai 1913 — n° 1363 — vol. LXVII, p. 592-593

Albert Glatigny. Lettre inédite sur la mort de Baudelaire (LXVII, 376). Nous avions cru devoir supprimer une phrase gaillarde dans une lettre d'Albert Glatigny.

Le Mercure de France (1er mai 1913), protestant contre cette pudibonderie qui nous fait reculer devant certaines expressions – reproduit la phrase supprimée.

En nous renvoyant le texte intégral, que nous avions été heureux de lui communiquer, M. Remy de Gourmont nous adressa ce spirituel billet :

Merci, mon cher confrère, de votre aimable communication. Vous trouverez la phrase gaillarde au prochain Mercure. Il faut réagir contre la pudibonderie verbale.

« Pourquoi aurais-je honte de nommer, disait Saint Clément d'Alexandrie, ce que Dieu n'a pas eu honte de créer ? »

Et certes, Albert Glatigny n'avait pas honte, au contraire.

Avec toutes mes sympathies,

REMY DE GOURMONT.


10 juin 1913 — n° 1366 — vol. LXVII, p. 720

Oiseau royal. On lit dans la Vie de Henri Brulard, de Stendhal (édition Champion, t. I, p. 193) :

Je lorgnais la boutique de Falcon, qui avait un grand toupet « à l'œil au royal », parfaitement poudré...

Ne faut-il pas lire : « à l'oiseau royal » ? Il me semble bien connaître cette dernière expression. La première, au contraire, m'a l'air d'un non sens. Qu'en pense-t-on ? Qu'était-ce que la coiffure ou la perruque « à l'oiseau royal » ?

R. G.


10 juin 1913 — n° 1366 — vol. LXVII, np

Bibliographie – Critiques et contes. Remy de Gourmont est un autre philosophe profondément lettré, pour qui tout est matière à notation. Il vit très haut, dans une sorte de tour d'ivoire, non pour s'abstraire, mais pour dominer. Il veut à la fois beaucoup d'horizon et beaucoup d'indépendance. Il est seul et pense pour tous. Et il a toujours le courage de ses opinions – et même des nôtres. L'ensemble de son œuvre est considérable. C'est le tableau des mœurs de ce temps en petites touches très justes. Elles ne perdent rien au recul, au contraire. Epilogues (au Mercure de France) en est la preuve : il y a là des réflexions sur la vie, certaines sont vieilles de près de dix ans, mais assez riches en pensée, elles ont supporté le voyage.

C'est Remy de Gourmont qui préface les effrayantes effigies révélatrices d'André Rouveyre, « Visages des contemporains, portraits dessinés d'après le vif 1908-1913 » (Mercure de France). Quel art cruel, parce que sans doute il est vrai. « Cette figure vue par lui, dit Remy de Gourmont, ne l'a été que par lui seul. Il s'est arrêté non pas objectif, mais œil intelligent. Avant de la dessiner, il a voulu la comprendre... Rien dans les figures de Rouveyre qui ne soit symbolique d'un état intérieur ».

N'y allons pas par quatre chemins, mon Dieu oui, nous, c'est ça !


30 août 1913 — n° 1372 — vol. LXVIII, pp. 177-178

Oiseau royal (LXVII ; LXVIII, 34). Une lecture vient de rafraîchir et corroborer mes souvenirs. C'est bien la coiffure à l'oiseau royal et non à l'œil au royal (!) qu'a écrit Stendhal, homme précis. C'était le nom d'une coiffure qui avait été en vogue sous Louis XVI. Je voulais savoir si je n'avais pas la berlue. Je ne l'ai pas. L'article Coiffure de la Grande Encyclopédie me l'a prouvé.

R. G.


10 octobre 1913 — n° 1378 — vol. LXVIII, p. 464-465

La Ligue de la bonne encre (LXVIII, 231, 327, 417). De la France, 3 octobre 1913, cette spirituelle note de M. Remy de Gourmont :

Un correspondant de l'Intermédiaire demande la fondation de la Ligue de la bonne Encre, une ligue terriblement réactionnaire qui voudrait faire revivre la coutume des encres faites à mesure d'après des formules surannées, mais efficaces. « L'encre, dit le promoteur de cette ligue, se faisait, il y a encore un demi-siècle, avec de la noix de galle suivant une tradition de l'antiquité classique conservée et transmise par les monastères. » Hélas ! on a trouvé plus simple, plus propre aussi, de l'acheter par petites bouteilles chez le marchand, qui nous en fournit de toutes les couleurs, et fort bonnes, du moins pour ce que nous voulons en faire. Nous ne lui demandons plus, en effet, d'être indélébile et traverser les siècles. Comme nous n'écrivons plus sur du parchemin, mais sur du fugitif papier, de l'encre à la noirceur temporaire nous suffit très bien. Il paraît que l'encre à stylographe est encore moins solide que l'encre des écoliers. C'est encore bien suffisant et cela répond à merveille aux préoccupations de notre temps, qui sont plutôt de faire vite les choses que de les faire très bien et en vue de la postérité la plus reculée. Je ne m'arrange pas volontiers du stylographe et je le regrette modérément, car je crois que cette invention est tout à fait transitoire. Je rêve à un certain crayon encre dont il y a des essais qui deviendront peut-être satisfaisants. Non vraiment, je ne suis pas de ceux qui regrettent la plume d'oie, la plume que, je ne sais pourquoi, on cueillait sur l'oie vivante, et que l'on taillait soi-même. C'était une manière, paraît-il, de réfléchir à ce qu'on allait écrire. L'invention de la plume métallique a porté un coup à la littérature sérieuse. Je recommande cette question à la Ligue de la bonne Encre : elles se tiennent.

EMILE GOURMONT.


30 novembre 1913 — n° 1383 — vol. LXVIII, p. 706-708

La ligue de la bonne encre (LXVIII, 231, 327, 417, 464, 517, 594). L'auteur de la question demandait une recette pour faire de la bonne encre. On lui sert, à la place (dans l'Intermédiaire) un article de M. Rémy de Gourmont (de La France) en nous prévenant (prudemment) que cet article est spirituel (1). Un grain de mil aurait mieux fait l'affaire. J'en apporte un sous les espèces des deux formules ci-dessous, dont la première est le type de l'encre jadis fabriquée et employée par les moines.

Malheureusement pour lui, M. de Gourmont ne s'est point servi d'une plume d'oie pour écrire son article, plumes qui, suivant lui, ont la propriété de forcer à réfléchir sur ce que l'on écrit, ce qui est cause qu'il a commis plusieurs erreurs.

1° Il prétend que l'on veut faire revivre l'encre à la noix de Galles. Or, celle-ci n'a jamais cessé d'exister, car on en trouve chez tous les marchands, à côté de la mauvaise encre, et, comme celle-ci, en bouteilles de toutes dimensions. Il ne s'agit que de savoir discerner les marques.

2° Cette encre se vendait, depuis un temps immémorial. Il est donc inexact de dire que la vente en petites bouteilles de la mauvaise encre constitue un progrès comme propreté et simplicité, puisque cette vente n'a rien innové du tout, si ce n'est de mettre une mauvaise marchandise en concurrence avec une meilleure, autrement dit, changer pour faire plus mal, comme il est de règle par le temps qui court.

3° M. de Gourmont prétend que les préoccupations de notre temps sont plutôt de faire vite les choses que de les faire très bien. Les encres modernes suffisent en effet pour cette besogne, c'est pourquoi elles conviennent à beaucoup de gens, à beaucoup trop, hélas ! Mais il ne faut pas généraliser, car il existe encore des gens consciencieux qui travaillent pour la postérité ; ce sont ceux-là qui réclament de la bonne encre, et que M. de Gourmont qualifie de réactionnaires. L'Etat lui-même a donné l'exemple. Malgré la séparation de l'Eglise et de l'Etat, non seulement il n'a pas proscrit les encres dont se servaient les moines, mais il a défendu aux notaires et autres officiers ministériels, ainsi qu'à ses administrations, d'en employer d'autres, pour la raison que les encres modernes, qui sont à base d'aniline ou de carmin d'indigo, n'ont qu'une durée éphémère, en sorte que ce sont celles-ci qui, en réalité, sont devenues surannées. Un de mes diplômes, qui date de 1866, est devenu presque illisible, ayant été écrit à une époque où florissait l'emballement pour les couleurs d'aniline.

4° Il n'est pas exact non plus de dire que l'on n'écrit plus sur parchemin, car les diplômes, dont le nombre va sans cesse en augmentant, sont écrits (ô ironie ?) sur de la peau d'âne ; il est vrai que ce n'est plus avec des plumes d'oie, ce qui est regrettable au point de vue réflexion, et cause sans doute qu'on les prodigue un peu légèrement.

Voici les formules annoncées : [...]

O. D.

(1) Une faute d'impression de la signature Emile pour Rémy a été corrigée par nos lecteurs. Quant à l'épithète « spirituel » elle n'était que l'expression du plaisir que je prends à lire les articles de ce remarquable écrivain. G. M.


28 février 1914 — n° 1392 — vol. LXIX, p. 237

Stendhaliana. Pourrait-on donner quelques renseignements précis sur Auguste Bussières, qui publia sur Stendhal, dans la Revue des Deux Mondes de 1843, une étude, après tant d'autres, demeurée sans égale ?

R. G.


30 mars 1914 — n° 1395 — vol. LXIX, p. 424

Allocution de M. Georges Montorgueil au banquet de l'Intermédiaire. [...] Que de remerciements ne devons-nous pas à (...) M. Rémy de Gourmont, au Mercure de France, représenté ce soir par M. André Billy...


20 mai 1914 — n° 1400 — vol. LXIX, p. 650

Le mot boufre. Quelle est sa signification exacte et son origine ? Je ne l'ai trouvé dans aucun dictionnaire, mais l'ai rencontré chez plusieurs très bons écrivains : parmi ceux-ci Rémy de Gourmont. GEORGES CORNET.


10 juin 1914 — n° 1492 — vol. LXIX, p. 776

Le Stendhal-Club (LX). Voici, à la date d'avril 1914, la liste des membres de cette confrérie, dont l'existence a été si souvent mise en doute :

MEMBRES

Fondateurs :
Maurice Barrès,
Léon Bélugou,
Paul Bourget,
Francis Chevassu,
André Maurel,
Casimir Stryienski +,
Jean de Mitty +.

Président :
Remy de Gourmont.

Vice-Président :
Paul Guillemin.

Membres :
Paul Arbelet.
André Billy.
Samuel Chabert.
Edouard Champion, éditeur.
Henry Debraye.
Gustave Geffroy.
Jean de Gourmont.
Doris Gunnell.
Emile Henriot.
Paul Léautaud.
Henri Martineau.
Daniel Muller.
Lucien Pinvert.
Paul Signac.
Casimir de Woznicki.
Emile Zavie.

Archiviste-Trésorier :
Adolphe Paupe.

Imprimeur :
F Paillart.

Et nunc erudimini.

A. P.


2e semestre 1915 — 51e année — vol. 72 — n° 1425 — p. 159-160

Vauban. De la France :

On sait que Vauban n'était pas seulement un constructeur de citadelles, un architecte militaire, mais aussi un réformateur, un de ceux que les hommes appellent utopistes, tant que leurs idées restent dans l'ombre. Mais c'était encore un philosophe et un connaisseur d'hommes et de peuples. Il s'intéressait aux mœurs et à l'esprit des différentes nations et aurait bien voulu faire profiter ses compatriotes des attitudes utiles qu'il avait relevées chez les plus lointains. Il avait donc été frappé, en étudiant le détail des guerres, de l'habitude que montraient plusieurs peuples de se retrancher pour combattre, tels que les Turcs, les Polonais, les Bohèmes et même les Allemands de Wallenstein, ce qui fit qu'ils infligèrent sous Nuremberg un grand échec à Gustave Adolphe. Une lettre bien curieuse que publie M. Camille Pitollet dans l'Intermédiaire, nous le montre rassemblant force documents sur ce sujet des tranchées, pour lequel il met à contribution l'obligeance de ses amis. « Ce sont des fragments historiques que je voudrais avoir, où les lieux, les temps et les personnes fussent marquées et les choses un peu en détail. Je vous demande donc par charité de vouloir m'assister de ceux que vous pourrez découvrir tant des guerres anciennes que des modernes ; car, quoique je connaisse très bien le mérite des camps retranchés, j'ai besoin de l'autorité de tous les grands hommes pour les persuader à notre follette nation qui croit qu'il faut toujours se battre comme on se trouve, en ne se donnant d'autre inquiétude là-dessus que de bien frapper. » On voit que Vauban aurait eu peu de choses à apprendre pour se trouver au courant des méthodes modernes de guerre, et il connaissait bien le caractère de notre nation. Elle l'eût écouté, comme elle a écouté l'expérience.

RÉMY DE GOURMONT.


2e semestre 1915 — 51e année — vol. 72 — n° 1425 — p. 183-184

Nécrologie

M. RÉMY DE GOURMONT

C'est avec un profond regret que nous avons appris la mort de M. Rémy de Gourmont. Il nous a fait le précieux honneur d'une collaboration attentive et fidèle. Il signait R.G. Il servait nos controverses auxquelles il aimait à se mêler avec attention et sympathie. Dans ses divers journaux et au Mercure de France, il en parlait volontiers. Dans ce numéro, nos lecteurs trouveront précisément sa dernière note sur Vauban, inspirée d'une communication d'un de nos collaborateurs.

Car il est mort, la plume à la main, foudroyé sur sa tâche, dans sa cellule de bénédictin laïque, où il a tant lu, tant écrit, tant pensé, tant répandu, dans une langue impeccable, la science et la philosophie d'un esprit indépendant.

Nous n'adressons jamais à ceux qui nous quittent qu'un court adieu : nous ne saurions en quelques lignes émues, même résumer et encore moins apprécier l'œuvre diverse et considérable de celui que la jeunesse littéraire considérait comme un de ses guides.

Le puriste, amoureux d'un style exact, a écrit l'Esthétique de la langue française, Le Latin mystique ; le conteur : Sixtine, les Chevaux de Diomède, le Songe d'une femme, Un Cœur original [sic], Couleurs ; le poète, les Saints [sic] du Paradis, Lilith, Théobaldt [sic], Simonne [sic] ; le philosophe, ses Promenades, ses Lettres à l'amazone.

Le Mercure de France lui a dû une collaboration assidue, qui contribua à son éclat.

Comme tant d'autres, il avait erré dans les dédales du symbolisme ; il avait été touché par le dilettantisme anarchiste et les envieux plus encore que les irrités lui avaient fait cruellement expier une boutade dont les temps présents lui avaient donné le remords. Il revenait aux traditions qui sont le fondement de toute société ordonnée, qui veut vivre, et à ce titre, il restera comme un document testamentaire, ce recueil Pendant l'orage que MM. Champion ont publié pour honorer la mémoire d'un jeune écrivain tombé au champ d'honneur.

M. Rémy de Gourmont laisse un fils d'un talent très distingué, M. Jean de Gourmont qui perpétuera son nom dans les lettres de France.

[entoilé par Mikaël Lugan]