Rudyard Kipling (Louis Fabulet et Robert d'Humières, trad.) : Un Congrès des Puissances, 289
Robert d'Humières : Voyage, 311
Frédéric Nietzsche (Henri Albert, trad.) : Saint Janvier, 315
Comte de Comminges : Chansons pour les enfants, 363
Pierre Quillard : Préfaces aux « Mimes d'Hérondas » , 367
Charles-Henri Hirsch : La Guirlande à Tanagra , 377
Saint-Pol-Roux : La Rose et les Epines du Chemin , 384
J. Drexelius : La chair humaine comme remède en Chine , 397
Maurice Beaubourg : La rue Amoureuse,roman (suite), 405

REVUE DU MOIS

Remy de Gourmont : Epilogues , 452
Emile Verhaeren : Chronique de l'Exposition, 458
Pierre Quillard : Les Poèmes , 465
Rachilde : Les Romans , 472
Louis Dumur : Théâtre, 483
Robert de Souza : Littérature , 490
Charles Merki : Archéologie, Voyages , 496
J. Drexelius : Romania, Folklore , 502
Jacques Brieu : Esotérisme et Spiritisme , 507
L. Bélugou : Chronique universitaire, 512
Charles-Henri Hirsch : Les Revues , 517
R. de Bury : Les Journaux, 523
A.-Ferdinand Herold : Les Théâtres , 529
Pierre de Bréville : Musique , 535
André Fontainas : Art moderne , 540
Yvanohé Rambosson : Publications d'Art, 547
Henry-D. Davray : Lettres anglaises
, 553
Ephrem Vincent : Lettres espagnoles
, 559
Peer Eketrae : Lettres scandinaves
, 564
Mercure : Publications récentes, 571

Echos, 573


THEATRE

Saint-Pol-Roux : La Dame à la Faulx, Mercure de France, 3.5o. — Georges Duval : La Vie véridique de William Shakespeare, Ollendorff, 3.5o. — Emile Legouis : Pages choisies de Shakespeare, Colin, 3.5o. — Eugène Morand et Marcel Schwob : La tragique histoire d'Hamlet, prince de Danemark, traduction nouvelle, Fasquelle, 3. 5o. — Jean Thorel : Le chemin des ruines, Flammarion, 4 fr. — Henri Mazel : Les Amants d'Arles, Mercure de France, 2 fr. — J. et M. Dieulafoy : Le Théâtre dans l'intimité, Ollendorff, 4 fr. — Maurice Pottecher : Chacun cherche son trésor, Ollendorff. — Félix Henneguy : Le Sphinx, Alcan, 3.5o. — Emile Verhaeren : Le Cloître, Bruxelles, Deman. — Jules Renard : Poil de Carotte, comédie, Ollendorff, 2 fr. — Revue d'Art dramatique.

Je viens de relire, après plusieurs mois, la Dame à la Faulx et j'ai retrouvé, sans un cerne, l'impression extrêmement brillante que m'avait laissée ma première lecture. Je n'éprouverai donc aucune gêne à ôter toute sourdine à mon admiration pour cette belle œuvre, et à reconnaître que l'homme qui a conçu et surtout qui a exécuté cet extraordinaire « morceau de bravoure » me paraît être un rare et puissant poète, un magnifique poète, puisqu'il a bien voulu choisir lui-même l'épithète qui convient le mieux à son talent.

M. Saint-Pol-Roux est un magicien de l'image. Il a le don, violent comme un instinct, de transformer l'univers en un grouillement prodigieux de phantasmes significatifs. A sa voix, tout s'anime, tout prend corps ; les monstres surgissent de partout, apocalyptiques, hurlant chacun son symbole ; la nature inanimée se gonfle, se tord et, prise d'enfantement, accouche d'une création horrifique ; on s'effare ; on roule de cauchemar en cauchemar ; on se croit dans une autre planète ; et, tout à coup, au brusque déclic d'une métaphore, à un détour de phrase, à un mot, on s'aperçoit qu'il s'agit au fond de choses très simples dans le décor de l'éternelle poésie. L'homme s'appelle Magnus ; la femme, identifiée avec la vie, n'est autre que Divine ; Elle, c'est la mort, la Dame à la faux. Le drame se joue entre ces trois entités, grandiose, hallucinant, mais sans autre complexité essentielle que celle qu'on imagine de suite à la seule énonciation des personnages. Magnus aime Divine et va s'unir à elle ; survient la terrible Dame, qui le voit, le veut, l'envoûte par la séduction de ses divers avatars, et finalement... le fauche. C'est le drame de la mort, et par conséquent, si l'on veut, celui de la vie, mais de la vie toujours en face de la mort, donc seulement celui de la mort, quoi qu'en dise M. Saint-Pol-Roux dans sa préface.

Il n'en est que plus beau, pour être moins complet, moins cyclique que ne le croit et ne le voulait l'auteur. L'impression qui se dégage est effrayamment une et hantante. Dès les premières pages et jusqu'au farouche geste final, aussi bien sous la symphonie des baisers que derrière les tentures des salles de fête, au milieu des bruits de la campagne ou dans l'orgie d'une ville en joie, on entend grincer la faux et cliqueter les osselets. C'est la danse macabre dans tout le déchaînement de sa pittoresque hideur. Mais les effets que le poète a su tirer de ce thème toujours persistant sont innombrables et d'une déroutante variété. Le jeu miroitant des comparses, aux noms affolants et baroques, depuis l'« Androgyne aux haillons de pourpre » jusqu'à la « Procession aux joues roses », en passant par le « Très vieil astrologue », la « Truie », l'« Arc-en-ciel de Gilles » et la kyrielle des nains, le nain « Temps d'Orage », le nain « Fumier », le nain « Pustules de crapaud », le nain « Chair de noyé », etc., etc., — il y en a une centaine comme cela, — savamment disposés autour du tragique trio, sont comme les multiples facettes d'un seul et énorme diamant noir.

Et il se trouve, chose curieuse, toute à la gloire du poète et à l'avantage du livre, que ce drame de la Mort, malgré son sujet, est l'œuvre la plus divertissante qui soit. On éprouve à sa lecture un amusement considérable. La truculence des images, l'inattendu des répliques, le galop échevelé de l'action, ne laissent ni une minute d'ennui, ni une once de mélancolie. Cette kermesse du charnier, c'est le cas de le dire, dériderait un mort. Aussi j'estime que ce livre, une fois brisé le cercle d'indifférence qui s'attache comme une barbare ceinture de chasteté aux drames non joués — il y faudrait deux millions, des acteurs-protées et toute une machinerie cinématographique que la science n'a pas encore mise à l'usage des théâtres — et, circonstance aggravante, aux drames en vers — celui-ci est du reste en vers libres, très libres — j'estime donc qu'une fois les premiers lecteurs conquis, rien ne s'oppose à ce que tout un public suive, qui fera à ce volume, plus captivant qu'un roman, le durable et légitime succès qu'il mérite.

J'aurais voulu citer, énumérer au moins quelques-unes des trouvailles épiques du scénario, dans l'ample moisson des mots et des tropes glaner une gerbée de ces fameuses antithèses « à la Saint-Pol-Roux » qui frisent un instant le ridicule pour s'épanouir aussitôt dans la gloire ; mais une fois parti, je ne saurais m'arrêter, tout y passerait, tant il y a dans ce cimetière somptueux de cortèges flamboyants, de croix historiées, de fantômes en folie et de squelettes fantasques, tant la larve y est foisonnante, tant le rictus y est large, tant il y règne d'épouvantable gaieté. J'aime mieux m'abstenir que de tronquer, et je dirai seulement à ceux qu'étonna déjà la verve estomirante de l'auteur des Reposoirs de la Procession : lisez la Dame à la Faulx, c'est de beaucoup ce qu'il a fait de plus fort. M. Saint-Pol-Roux est le dernier des grands romantiques, soignons-le. Burger, le poète de la ballade de Lenore, saluerait en lui son plus authentique disciple, qui le dépasse d'ailleurs de cent coudées — ou plutôt, pour rester dans la note, de cent cubitus.

LOUIS DUMUR.


LES JOURNAUX

Les Galeries de l'Odéon (Gaulois, 26 mars). – Quelques supercheries littéraires (Gazette de France, 27 mars). – Quelques exigences féminines (Journal, 1er avril). – Les amours d'un chien et d'une louve (Temps, 27 mars).– La Coopération des Idées, n° 1 et 2. – Une phrase de roman-feuilleton.

On lira avec plaisir quelques passages du trop bref article où M. Flammarion, le libraire-éditeur, a raconté l'histoire anecdotique des Galeries de l'Odéon. C'est un des lieux du monde les plus célèbres et l'un des plus chers aux littérateurs, aux étudiants, aux amateurs de lecture. Ces Galeries tiennent de la librairie et de l'étalage du bouquiniste ; on y passe de bons moments, quand les courants d'air y sont modérés, car c'est le seul inconvénient de ces arcades qu'on y attrape un rhume aussi facilement que des notions variées de science et de littérature. Mais cela ne décourage personne, le théâtre gratuit, l'amour gratuit et la lecture gratuite étant les trois grandes passions des Parisiens. La prospérité de cette librairie ne date guère que de vingt-cinq ans :

« Quand je me suis associé avec Charles Marpon en 1873, un de ses frères, qu'on appelait le major, était installé dans la petite guérite qui servait de caisse, bureau, comptabilité, etc. Il faut ajouter que cette dernière ne se composait que d'un seul registre et que, l'hiver, les inscriptions devaient se faire au crayon, l'encre étant gelée dans l'encrier. Le major était un ancien sergent des grenadiers de la garde, qui avait eu l'honneur d'apprendre les premiers maniements du chassepot au petit prince, le fils de Napoléon III.

Nous avions comme voisin et confrère le brave père Hurtau, de qui nous devions reprendre le fonds quelques années plus tard. C'était un amoureux du livre et il collectionnait tellement que l'achat de son stock nous a effrayés au premier abord.

Brasseur louait déjà depuis longtemps les journaux dans un cabinet de lecture d'au moins quatre mètres de surface, où une dizaine de lecteurs se sentaient les coudes. Le journal à un sou a tué cette industrie.

Notre librairie se composait alors de trois arcades seulement et c'était un continuel casse-tête de placer dans un aussi petit espace la quintessence d'une bonne librairie d'assortiment.. .

Le matin, les effluves odorants du Luxembourg se changeaient parfois en bourrasques qui faisaient voltiger les livraisons de la Géographie de Reclus, de la Nature et de l'Astronomie populaire, dont les trois grandes piles formaient l'avant garde des séries illustrées.

A dix heures, Marpon arrivait du Voltaire, dont il était administrateur, et m'apportait le dernier mot de Scholl à son ami Camille Eliévant. Un des premiers visiteurs quotidiens était M. de Bullemont, secrétaire général de la Préfecture de police, souscripteur fidèle à la Bibliothèque littéraire de Lemerre et à la collection artistique de Jouaust, dont les premiers volumes faisaient prime aussitôt leur apparition. Puis c'était Asseline, se rendant à une commission du conseil municipal installé au Sénat pendant l'exil des deux Chambres à Versailles ; Larroumet, qui faisait son cours de rhétorique au lycée Henri IV ; O. Sainsère, Joanne, allant chez Hachette corriger les épreuves de ses Guides ; Théodore de Banville, qui venait fouiller dans les boîtes de livres d'occasion .

A midi je descendais déjeuner dans la petite boutique de la rue Rotrou où le gazouillement de ma fille — depuis Mme Monprofit — effaçait les soucis de la matinée. Cette boutique était placée entre le grand café Tabourey, qui faisait le coin de la rue Vaugirard, où Barbey d'Aurevilly et François Coppée prenaient leur apéritif, et la brasserie Schaller, où André Gill et Jules Vallès se faisaient un malin plaisir de terrifier les consommateurs par l'annonce d'une nouvelle Commune !

A deux heures apparaissait la silhouette majestueuse de Leconte de Lisle faisant sa promenade quotidienne des galeries, puis Bourget venant recommander la bonne exposition de son premier né : la Vie inquiète ; Léon Bourgeois, Savary, futur sous-secrétaire d'Etat, disparu aussi vite qu'il était monté dans les sphères gouvernementales ; Alphonse Daudet et son éditeur et ami Georges Charpentier, dont j'ai conservé la photographie prise à leur insu devant l'étalage de livres ; Paul Meurice, avec qui nous étions en affaire d'édition pour les volumes in 18 de l'Homme qui rit et des Travailleurs de la Mer, de Victor Hugo...

Vers six heures, nous nous égayions des rendez-vous discrets dont les seuls habitués reconnaissaient les favorisés. Cela était si commode d'attendre le bien-aimé en feuilletant les nouveautés ! A la même heure, Verlaine montait à l'Académie — celle de la rue Saint-Jacques ; Camille Flammarion se dirigeait vers l'Observatoire, en revenant de chez Gauthier-Villars, où il publiait alors la suite des Etudes et Lectures de l'illustre Babinet.

Le soir, le Parnasse nous apparaissait avec Albert Mérat et Mendès débordant d'enthousiasme, avec ce bon sourire des yeux que nous retrouvons toujours chez ce bon Catulle ; Richepin, suivi de son fidèle Raoul Ponchon ; Octave Uzanne et son ami Rochard, tenant en laisse un superbe chien ; Paul Arène, Brunetière, Jules Roche et Pichon, le petit Pichon, comme on l'appelait ; il est actuellement le représentant de la France à Pékin...

Quelques habitués le dimanche matin, MM. Guieysse, qui devait être ministre de la marine ; Trouillot, également au pouvoir depuis ; Huysmans s'informant de la vente de Marthe et de Sœurs Vatard, ses deux premières œuvres. Le colonel Niox, maintenant général, s'intéressant à ses Géographies militaires qui lui ont acquis une si grande situation dans l'état-major de notre armée; Isidore Liseux, l'éditeur des raretés bibliographiques devenues introuvables...

On n'avait donc pas le temps de s'ennuyer sous les galeries de l'Odéon. Qu'on demande à nos vieux employés, à Casseux, à Georges, qui depuis plus de trente ans y sont en permanence.

Vaillant dira plus tard, à son tour, le plaisir qu'on éprouve dans un milieu aussi agréable. D'autres générations sont venues et se suivent ; Hanotaux, Poincaré, Félix Herbert, toujours à la piste d'un document sur Paris.

Mais il a fallu organiser la librairie administrativement. Les trois arcades se sont étendues sur les deux côtés du monument. Malgré cela, l'avalanche des nouveautés a relégué dans les réserves toute une série de bons livres qui étaient constamment sous les yeux du public. Un amateur peu fortuné m'a avoué qu'il avait lu entièrement à l'étalage l'Origine des espèces, de Darwin. Quelquefois, des lecteurs peu scrupuleux coupaient les feuillets avec leurs doigts. Mais, qu'y faire ? Ils n'avaient pas le sou, et le désir de s'instruire surmontait leur délicatesse...

Le bon temps, où il paraissait à peine en une semaine ce qui sort maintenant en une journée — 20 volumes tous les jours ! — La mémoire des libraires ne peut plus y suffire ... »

§

Quelques exigences féminines (Journal, 1er avril). Les femmes n'ont pu arriver à se faire représenter au Comité de la Société des gens de lettres ; Madame Daniel Lesueur a échoué, comme jadis George Sand, mais peut-être pour d'autres motifs. M. Mirbeau a pris thème de cette anecdote pour insister sur le vrai rôle de la femme, qui ne peut et ne doit être que purement sexuel, avec tout ce que ce mot comporte de beauté et de grandeur humaines. Résumant l'histoire de la création de la femme, telle qu'elle est contée dans Lilith, il conclut en ces termes :

« La genèse symbolique de la femme, interprétée par Rémy de Gourmont, concorde exactement avec les conclusions de la science anthropologique. La femme n'est pas un cerveau : elle est un sexe et c'est bien plus beau. Elle n'a qu'un rôle dans l'univers, mais grandiose : faire l'amour, c'est-à-dire perpétuer l'espèce. Selon les lois infrangibles de la nature, dont nous sentons mieux l'implacable et douloureuse harmonie que nous ne la raisonnons, la femme est inapte à tout ce qui n'est ni l'amour ni la maternité. Quelques femmes – exceptions très rares – ont pu donner, soit dans l'art, soit dans la littérature, l'illusion d'une force créatrice. Mais ce sont ou des êtres anormaux, en état de révolte contre la nature, ou de simples reflets du mâle dont elles ont gardé, par le sexe, l'empreinte. Et j'aime mieux ce qu'on appelle les prostituées, car elles sont, celles-là, dans l'harmonie de l'univers.

Le jour où les femmes auront conquis ce qu'elles demandent, le jour où elles seront tout, sauf des femmes, c'en sera fait de l'équilibre de la vie humaine. Et Lilith reparaîtra, avec son ventre à jamais stérile, dans un monde vaincu... »


PUBLICATIONS D'ART

Remy de Gourmont vient de publier à petit nombre et avec un rare souci de bibliophile quelques strophes amères, tourmentées et d'une sorte de perversité sacrilège, intitulées Oraisons mauvaises. La présentation de ces vers me permet de signaler cette plaquette sous la présente rubrique.


ECHOS

Le Cloître. — Publications du Mercure de France. — Une fusion. — A La Plume. — Musique. — Errata.

Une fusion.La Vogue et L'Anthologie-Revue viennent de fusionner. M. Tristan Klingsor reste Directeur de la revue ; MM. Edward Sansot-Orland et Roger Le Brun en deviennent Secrétaires généraux.

§

A « La Plume ». — M. Karl Boës a pris la Direction de La Plume ; M. Paul Fort est Secrétaire de la Rédaction. — M. Paul Redonnel a donné sa démission de Rédacteur en chef pour fonder La Maison d'Art (publication d'art, monographies artistiques, littéraires et scientifiques. Paris, 23,rue de Vaugirard).