SOMMAIRE

Charles Morice : Edouard Dubus.
Ernest Raynaud : Consolation à Maurice du Plessys.
Remy de Gourmont : Litanies de la rose.
Pierre Quillard : L'Offrande funéraire à Hymnis.
Théodore Randal : Pathologie du Devoir.
A.-Ferdinand Herold : Le Vitrail des Saintes : Ursula.- Beatrix. - Odilis. - Suzanna. - Bertilla. - Agatha.
Jules Renard : Cocotes en papier : A grandes Guides. - Qu'est-ce que c'est ?
Julien Leclercq : A la Seule.
Raoul Minhar : Pages quiètes : Le Vieux dans sa barbe.
Charles Merki : Simples notes : La Boutique d'histoire naturelle.
Gaston Danville : Contes d'Au-delà : Le Rêve de la Mort.
Louis Dumur : Petits aphorismes : Sur la sensibilité.
Saint-Pol-Roux : L'Enfer familial.
R. G. : Les Premiers Salons : Indépendants. – Rose Croix. – Exposition de Mme Jacquemin.
Hermès : Boèce au moyen-âge.
Jean Court : Théâtre d'Art : Les Noces de Sathan. – Vercingétorix. – Le Premier chant de l'Iliade.
Mercure :Les Livres .

R. G. : Le faux et le vrai Positivisme.
R. G. : L'Anarchie littéraire.

Journaux et Revues.

R. G. : La Fortnightly Review (mars 1892) contient une étude d'Arthur Symons sur J -K. Huysmans ; en voici la traduction partielle, le début et la fin : [...].

A. V. : Les Entretiens Politiques et Littéraires (avril 1892) sont particulièrement intéressants, avec un sommaire composé de MM. Remy de Gourmont, Pierre Quillard, Edmond Cousturier, Henri de Régnier, F. Vielé-Griffin et Bernard Lazare. Tout serait à citer - et une bonne partie à discuter - de ce numéro substantiel, qui contient plus d'idées en lui seul que tel grand quotidien en l'année entière [...].

R. G. : Le Don Marzio, de Naples .

Choses d'Art.

Echos divers et Communications.

Le Latin Mystique.

Petite Tribune des Collectionneurs.

Il a été tiré, pour être offerte à nos abonnés avec le présent numéro, une eau-forte de La Fin du Jour, pastel de Mme Jeanne Jacquemin (A.-M. Lauzet sc).


LES PREMIERS SALONS

Indépendants. - Rose + Croix. - Exposition de Mme Jeanne Jacquemin.

"Dans le beau, la forme sensible
n'est rien sans l'idée."
Esthétique de HEGEL.

I

Incontestablement, le salon de la Rose + Croix, dû au dévouement de M. de La Rochefoucauld pour l'art, aura été, par ses tendances, la grande manifestation de l'année ; si l'on y joint, en pensée, quelques-unes des cimaises vues aux Indépendants et presque toute l'Exposition permanente de la rue Le Peletier,- cet ensemble représentera un admirable effort vers le nouveau, vers un art synthétique, idéaliste, symétrique, vers un art de signification et de volonté. Ce mouvement a été secret, s'est élaboré loin des écoles et des salons autorisés, et son origine première est moins picturale, peut-être, que littéraire. - C'est-à-dire que les poètes et les esthètes l'ont influencé davantage que les artistes eux-mêmes, fussent-ils les Chassériau ou les Gustave Moreau, les Primitifs ou les Japonais. Non seulement le public, toujours si mal renseigné et pourtant si docile, l'a méconnu, mais la critique, à part des jeunes gens, à part des audacieux comme Th. Duret ou Octave Mirbeau, n'y a rien trouvé, sinon "de quoi rire" : on se souvient des clameurs, des cris de canard qui saluèrent l'exposition des œuvres de Gauguin. A cette heure - sauf illusions - quelque revirement se fait : même les journalistes semblent en avoir assez de la peinture photographique des Meissonier et des Jacquet, des Lambert et des Bonnat ; - peinture photographique, ou, d'une expression plus large, "naturaliste", parce qu'elle tend à l'imitation de la Nature et non à son interprétation. Cette sorte de peinture n'existe pour ainsi dire plus, sinon comme quantité, - kilométriquement ; comme la littérature académique ou naturaliste, qui lui fait pendant, elle se meurt dans l'indifférence des générations nouvelles, - à peu près comme s'éteignit, aux temps du romantisme, 1'art de Dorat, de Ginguené, de Voltaire ou de Luce de Lancival, et l'art de Fragonard, de Greuze, de David ou de Guérin.

Deux écoles, néanmoins, restent en présence : les Impressionnistes et les Symbolistes ; ceux qui tendent à transporter sur la toile, vive et crue, l'impression pure et simple, toute objective, qu'un aspect des choses a produite sur leur imagination sensorielle ; - ceux qui décomposent cette même impression pour la recomposer à loisir selon la volonté d'exprimer en leur œuvre, non pas des fuyances, mais des permanences, des significations éternelles, des représentations voulues définitives.

Ces deux arts valent par leur sincérité : pratiquement ils se joignent et se complètent, - car il faut au symboliste un fond d'impressionnisme, et l'impressionniste qui ne chercherait qu'à emmener des nuances en captivité serait le plus vain des détrousseurs de paysages.

Ces notions admises, voici quelques annotations aux livrets.

II

Les Indépendants. - La plupart des peintres qui exposent là sont plutôt des indépendants de l'art que des indépendants en art, mais toutes ces médiocres toiles pendues ne sont pas pires que celles que nous verrons aux Champs-Elysées ou au Champs-de-Mars. De la foule se dégagent :

Maurice Denis : d'étranges petites femmes nues, un peu japonaises, mais très originales et peintes avec une science merveilleuse ; une autre femme en noir dans un paysage qui a des airs vieux, une ordonnance comme classique, et pourtant un viaduc de chemin de fer s'érige dans le fond : dévulgariser la nature civilisée, c'est intéressant et c'était difficile ; trois autres femmes, très pâles, bustes qui sortent d'un panneau brique ; une autre femme avec fleurs et arbres : - tout cela pris dans la vie, mais recomposé, agencé en vue de signifier de nobles moments de loisir, des repos où l'on songe ;

Emile Bernard : mais rien de comparable à son beau Portement de Croix ; il s'exagère malheureusement dans le laid ;

Bonnard : sortira-t-il du japonisme ? Son japonisme, du moins, est bien du Bonnard : j'espère qu'il le personnalisera encore ; un paysage en trois ou quatre verts avec des taches orange est bien curieux ; même sensation devant un plus grand paysage ; une vieille femme intéresse grandement ; tout cela est certainement du très bel art décoratif, mais avec, çà et là, une fâcheuse tendance au grotesque, c'est-à-dire à la déformation grimaçante ;

Ranson : d'amusants plats étrusques (sur toile) ;

Anquetin : une femme rousse assise, avec un presque sourire d'une ironie cruelle, - égal en valeur significative à l'autre rousse du même, qui se peigne avec une férocité de hyène ;

Gausson : quelques cadavres ;

Guilloux : huit paysages de la plus heureuse composition, étranges et originaux, très harmoniques ;

H.-F. Roussel : un assez bizarre coin étroit de jardin, l'éternel violet, du plein soleil terne ;

A. Osbert : des paysages d'un vert pâle à fonds bleuâtres, très doux, très accueillants, harmonisés par la pâleur des cadres ;

Angrand : une ombre bleue dans une ombre lumineuse plus pâle ; ce sont des loups dans une brumeuse nuit de lune ; très spécial de facture ;

G. d'Espagnat : paysages (à la Poussin) ;.

Casas : deux paysages assez engageants ;

Ranft : son trio de femmes rouges ne serait pas désagréable, - mais quelle absence de style !

D. de Regoyos : une Mater dolorosa, plus espagnole que peinte ;

Ibels : amusant ;

Toulouse-Lautrec : intéressant ;

Seurat : des toiles sont des merveilles d'harmonieuses tonalités ; en d'autres, il ne réussit qu'à colorier des toupies : - on reviendra quelque jour sur l'œuvre de ce chercheur.

III

Les Indépendants ne détiennent nulle sculpture bien notoire ; au contraire, quelques-uns des meilleurs envois aux Rose + Croix sont des groupes, des bustes, des reliefs ; à noter :

Le Christ de V. Vallgren, haut-relief en plâtre, d'une résignation un peu jésuitique ; du même, une minuscule Urne funéraire en bronze (M. Roujon l'a achetée pour le compte de l'Etat);

De Léopold Savine, une belle tête bronzée et sanguinolente de Saint Jean-Baptiste ;

De E. Bourdelle, l'esquisse d'une femme au pied de la Croix, vraiment prosternée, vraiment fondue (et même trop) d'amour ;

Le Torrent, de Niederhausern, est fougueux et tourmenté comme il sied ; l'influence de Rodin se fait sentir ; du même un intéressant buste de Verlaine.

Dampt : statuettes en haut-relief, des enfants et des têtes ailées d'un très bon modelé ;

Pezieux : Terre cuite peinte dans le goût florentin, Vierge à l'enfant ; ce n'est pas banal, grâce à l'expression de tristesse de la Mère et de son Jésus ;

Les grès flammés de G.-A. Jacquin témoignent de peu d'imagination, mais séduisent par leurs amusantes couleurs fausses.

Enfin, les fers forgés de Servat nous sortent du japonisme industriel et du truquage historique ; c'est de l'art véritable.

En transition à la peinture, les gravures sur bois de Villoton. Ce sont d'ingénieuses caricatures, très vivantes, très amusantes, loin de toute banalité ; son Verlaine et son Baudelaire intéressent vivement : ce n'est plus de la caricature, et pourtant ce Verlaine potiron!...

Les aquarelles de Trachsel sont des lavis : plans, coupes et élévations de palais mythico-chaldéens, de temples en forme de têtes humaines architecturées ; des lavis de chimères, de larves aqueuses, le tout très original, absolument unique, l'œuvre d'une belle imagination, - sans peur et qui la suggère. - Original, oui, et cela malgré la très sensible influence de Redon.

Th.-P. Wagner fait saillir en violet d'un fond crayonné de noir une "épouvantable" tête ; du même, un complexe, mais trop vieillement fantastique Ciel- Terre- Enfer.

Les Khnopff sont fort curieux, surtout la Sphinge qui semble peinte sur la glace d'un miroir ; les femmes se voient dedans, la face aux genoux, et, en se dressant un peu, arrivent à fondre l'image de leur front avec la fuyante image du sexe de la Sphinge, - reposant ainsi, par un naïf instinct, leur pensée dans son véritable organe.

Maurice Chabas : Erraticité, évolution des fantômes humains ; du même, une fulgurante Révélation.

Les Schwabe sont du symbolisme bien sage, et aussi les Séon, dont l'Ecueil cependant frappe ; de A. Point, une agréable femme.

L'Aurore, de Ch.Maurin, attire le public par l'excentricité de ses teintes plates. Ayant dessiné admirablement une allégorique composition, l'auteur a couché dans chaque blanc, délimité par des lignes, une nuance choisie au hasard ou d'après une théorie que j'ignore. Abstraction faite de ces coloriages malheureux, le tableau signifie bien ce qu'il veut dire : les divers éveils, au matin, d'une humanité lasse d'avance du jour qu'elle va vivre, qui voudrait fuir, mais qui retombe aux rets de la besogne quotidienne, des plaisirs quotidiens.

L'Ange de la Rose + Croix, par A. de La Rochefoucauld : c'est truculent, violent, bizarre, barbare, et cependant, de tout le salon, c'est peut-être la seule toile qui soit peinte. Si les couleurs étaient un peu plus fondues, si cela criait un peu plus discrètement, on s'y plairait sans doute davantage ; mais qu'un tableau témoigne d'audace, de force, de brutalité même, cela vaut tout de même mieux que le douceâtre lavis ou que l'encre de chine teintée de bleu. M. de la Rochefoucauld a un solide tempérament d'artiste : avec cela, on peut être sûr de soi.

Un grand dessin de Georges Minne est très beau et très incompréhensible ; mais, comme dit Hegel (et le simple bon sens) : "Le beau ne se peut comprendre."

Des Cimabue plus finis, plus poussés ; l'âme des Primitifs, la foi d'un Angelico ; un amour pour les yeux, qui sont tout l'homme intellectuellement sensible ; des têtes, comme celles du Christ et de ses Anges qui s'inscrivent pour toujours dans les prunelles, comme celle de cette Vierge à l'enfant, bretonne idéalisée en un prodige de naïve douceur ; à côté, une tête volontaire et perverse ; puis un enfant nu en prière, adorable d'innocence ; un Saint Jean-Baptiste prêchant, de quelle foi ! une Vierge aux anges, aux anges si volontairement purs, - voilà, avec beaucoup d'incohérences, quelques-unes des impressions que donnent les miniatures de Filiger. C'est un mystique, lui, et non d'imitation, de tempérament, un homme de foi et de charité en même temps qu'un artiste précieux et savant en théories. Le Christ aux anges est un chef-d'œuvre, et la Vierge bretonne la plus digne d'Ave Maria depuis celles que peignirent, pour leurs églises aimées, les derniers idéalistes flamands.

IV

Mme Jeanne Jacquemin. - Exilée de la Rose + Croix, où les femmes ne furent admises (quoique cela foisonne d'œuvres peu viriles), Mme Jacquemin s'est réfugiée chez M. Le Barc de Boutteville, où elle expose quelques pastels. A première (ou à seconde) vue, on imagine (plutôt que l'on ne découvre) en les œuvres singulières de cette jeune femme la double influence de Gustave Moreau et d'Odilon Redon ; - mais c'est du Moreau bien moins pacifique et du Redon bien plus hautement mystique : de sorte que, si l'originalité n'est pas stricte, l'effet produit est cependant de pleine et pure nouveauté, d'un réel inattendu, - tant il y a de rêve dans ces verdâtres luminosités, - tant il y a d'ingéniosité en ces hardies symbolisations qui se résument toutes en une figure humaine, une tête.

Mélange de catholicisme et de perversité ; son œuvre semble faite pour illustrer Baudelaire et Barbey d'Aurevilly, et j'y sens quelque chose d'encore plus maladif, une exquise putréfaction qui va jusqu'à devenir somptueuse, une immoralité charmante qui se préoccupe très peu de préciser les sexes et qui laisse le doute des androgynats flotter comme une buée de désirs malsains et adorable autour des têtes infiniment lasses de vivre qu'elle précise en des pastels d'une science technique très rare chez une femme.

On peut regretter un peu de monotonie, mais il s'agit (je crois) d'un début, et nous verrons de la même main, non plus uniquement des têtes, mais des êtres entiers, des groupes, des compositions : si ses doigts ne s'ornent pas encore de multiples joailleries, mais d'une bague unique, c'est bien celle alléguée en un vers exquis par Charles Coran :

Je n'ai pour bague au doigt qu'une couleuvre d'or,

Et couleuvre aux yeux pâlement et chimériquement verts !

Les pastels exposés sont : L'Exil : l'enfant glauque tombée sous les eaux glauques ; tête de cadavre idéalisée par la douleur, penchée sous la pression des injustices ; Le Calice : un calice, et en émerge la tête sanglante de Jésus...

Salve, caput cruentatum,
Totum spinis coronatum,
Conquassatum, vulneratum,
Arundine verberatum,
Facie sputis illita...

... Tête si ravagée par la souffrance que sa hideur devient extra-humaine, - et divinement adorable ; La Fin d'un Jour : une tête lumineusement triste aux yeux de bleu lapis (I) ; L'Enfant prodigue, qu'auréole l'ennui de toutes les joies, - aux yeux morts à tout désir, - à la bouche vitupératrice de tout baiser ; Séraphitus Séraphita, être inquiétant, sans âge ni sexe, laid, étrange, à la main une fleur inconnue, signe de son impossible amour, vêtu de violet pâle, les yeux mélancoliques de ne pas vivre ; L'Ami : derrière des barreaux, se meurt l'intangible ami aux yeux clos par le désespoir ; Le Cantique, une femme dont .toute la face et les lèvres chantent le chant de l'extase attristée vers l'au-delà... Ces pastels ont dit cela et bien d'autres choses.

R. G.

(I) C'est d'après ce pastel de Mme Jeanne Jacquemin que M. A.-M. Lauzet a gravé l'eau-forte aujourd'hui offerte par le Mercure de France à ses abonnés (V. feuille d'annonces en tête du présent numéro).

[entoilage : Nausicaa Buat, 10.02.2001]


Le faux et le vrai Positivisme, par JORGE LAGARRIGUE (Paris, Apostolat positiviste). - Cette brochure porte en sous-titres : 1°Le Sophiste Pierre Laffitte nommé professeur officiel au Collège de France. - 2° Programme d'un véritable enseignement positiviste. Elle est datée : 104e année de la Grande Crise. Nous souhaitons de bon cœur l'abolition du faux positivisme et aussi celle du vrai. R. G. (p. 76)

L'Anarchie littéraire. Les différentes écoles : les Décadents, les Symbolistes, les Romans, les Instrumentistes, les Magiques, les Magnifiques, les Anarchistes, les Socialistes, etc., par ANATOLE  BAJU (Vanier). - Ce prétentieux opuscule n'a ni intérêt, ni valeur, ni signification. C'est une vaine énumération de noms classés selon un à peu près qui dénote une terrifiante ignorance de tout. Quant au style, il est nuancé : "Après toutes ces divisions, l'ancien groupe décadent se trouva non point amoindri, mais fort diminué..." R G. (p. 80)


Le Don Marzio, de Naples, analyse, en son numéro du 4 avril, une conférence donnée par M. Vittorio Pica dans la salle du Filologico. Sujet : l'Art aristocratique, M. V. Pica reconnaît un art de telle essence qu'il s'oppose indéniablement à l'esprit démocratique et demeure fermé à la foule. Le plus grand de ces artistes fut hier Wagner, aujourd'hui il se nomme Stéphane Mallarmé, et, sous l'égide de l'un ou de l'autre, à la suite aussi de Baudelaire et de Verlaine, ont lui ou luisent au ciel invisible les noms de Villiers de l'Isle-Adam, Laforgue, Rimbaud, Poictevin, Barrès, Puvis de Chavannes, O. Redon, Maeterlinck, C. Lemonnier, Huysmans, Hannon, Verhaeren, Rodenbach, Rops, H. de Groux, Minne, Holman Hunt, Burn Jones, Swinburne, Morris, Whistler ; les peintres italiens Morelli, Sartorio Previati ; les écrivains Carlo Dossi et d'Annunzio ; Tolstoï, Rod, Goncourt, etc. Les énumérations sont toujours incohérentes ; il y a à retenir de ce compte rendu autre chose, l'idée dominante de la conférence : qu'il y a un art "ésotérique" et qu'il est absolument légitime.

A mentionner dans la Gazzetta Letteraria (26 mars) : L'Oltretombo, par A. Lenzoni ; I Pressitimenti, par F. Rizzati ; dans la Cronaca d'Arte (27 mars) : un intéressant article d'Alberto Sormani, Arte nuova, et sous ce titre : Venezia nell'arte e nella litteratura francese, un important extrait d'un volume de G. Molmenti : Studi e Ricerche, lequel va paraître à Turin chez L. Roux ; dans la Critica Sociale (ler avril) : La carestia in Russia, sue vere cause e suo significato, par Federico Engels, et Il Quinto Stato, par I. Gherardini.

Livres nouveaux annoncés par les revues italiennes : Eva, poème d'Antonio Fogazzaro (Milan, Chiesa et Guindani) ; I Poeti bolognesi : Carducci, Panzacchi, Stecchetti, par Augusto Lenzoni (Bologne, Trèves) ; La Patologia del genio, in chiesta a proposito del caso di Guy de Maupassant, par A.-G. Bianchi (Milan, Kantorowicz).

M. E. Rolland recueille pour Mélusine (Mars-Avril) les noms du Diable dans les diverses langues et dialectes du monde ; en voici quelques-uns : L'Autre (Rabelais) ; - Celui qui n'a pas de blanc dans l'œil (Noël du Fail) ; - Le Traquenard de saint Michel (Leroux, Dict. Comique) ; - Le Boulanger (argot français) ; - Le Dache (argot de Paris) ; - Le Vilain, le Peut, le Malin, le Maufé, le Gros (Morvan) ; - Georget, le Maufait, le Mauvais, Lui, Il (centre de la France) ; - l'Ange cornu (Valenciennes) ; - la grande bête (Haut-Maine) ; - le Petit Capet (La Hague) ; - Griffon (Montbéliard) ; - Double (Guernesey) ; - Quel che da l'ambio a'i baleni, Celui qui fait trotter les éclairs (Italie) ; - Ruffian (argot anglais) ; - Mounanmounan (créole mauricien) ; - Ita radjana, les autres gens (sanscrit).

Le Bulletin de l'Afrique Française, sous la direction de M. Harry Alis, est en même temps le recueil officiel centralisant toutes les nouvelles de l'Afrique et un journal d'authentiques voyages dans le continent noir. Il est publié par un comité qui attend les souscriptions de tous ceux qui s'intéressent à l'Inconnu.

M. Romain Coolus, dans la Revue blanche (Mars), fait dialectiquer à la manière de Platon quelques contemporains sous des noms empruntés aux Dialogues ; il s'agit de la liberté de l'art : Socrate affirme les droits d'un Etat moralisateur ; les disciples mettent l'artiste au-dessus de ces droits, et Socrate n'a pas cette fois le dernier mot. Straton, à la fin, allègue d'une façon bien délicate le poète de notre temps, qui, comme Leucippe, dut "monnayer son âme en des pédagogies puériles." Lisons M. Mallarmé, le maître estimé et aimé entre tous.

Art et Critique vient de re-mourir ; le mois de mars fut son dernier mois de vie. Bien que cette revue eût, en sa seconde série, des tendances un peu moins étroites, elle n'en représentait pas moins l'esprit naturaliste, le genre Théâtre Libre ; s'il y a encore des habitués pour cette sorte d'art, il n'y a plus de néophytes possibles. Ce décès prouve qu'il ne suffit pas qu'une revue soit bien faite ; il faut encore qu'elle réponde à un besoin nouveau de ce public, très restreint, qui s'intéresse aux plus récentes évolutions littéraires. D'ailleurs, sur les sept principaux rédacteurs d' Art et Critique mentionnés sur la couverture, cinq et peut-être tous, expriment librement leurs idées dans la presse quotidienne ; alors, à quoi bon ce groupement ? Néanmoins, nous déplorons cette disparition, car, après tout, c'est la liberté qui perd un organe, et elle n'en aura jamais trop.

Du Figaro (7 avril) cette prédiction au sujet de M. Viaud, l'académicien nouveau, célèbre pour avoir narré son mariage (Le Mariage de Loti) avec des larmes dans la voix : "Soyez sûr qu'aujourd'hui il ne manquera pas d'orner de sa dragonne d'or la poignée de nacre de son costume à palmes vertes" - Ne pas croire que cette phrase est extraite de l'article de M. A. Dayot sur le même Loti, publié le même jour dans le même journal. - Le discours de réception de cet officier de marine (c'est en cette qualité que M. Mézières l'a reçu) ou, comme a dit l'Eclair, de ce "Don Juan pour négresses", a été très méprisant pour M. Zola. Nul n'avait moins de droit, pourtant, qu'un naturaliste inconscient, à déblatérer contre le naturalisme voulu et raisonné. De plus, M. Zola, si répulsive que soit pour nous son œuvre, compte dans le mouvement contemporain, et quant à M. Loti, sa littérature a tout juste la valeur d'une jolie série de lettres de femmes.

R. G

[entoilage : Nausicaa Buat, 10.02.2001]