Legrand-Chabrier : L'Individualisme ironique de Maurice Beaubourg, 5
Jules de Gaultier : La Logique de l'Héroïsme, 46
J. Jolinon : La Mutinerie de Cœuvres, 70
Louis Narquet : Le Syndicalisme et les Fonctionnaires, 103
Fernand Brodel : L'Elégie chez Heredia, 119
Maurice Beaubourg : M. Gretzili, professeur de philosophie, roman, 128

REVUE DE LA QUINZAINE. — Emile Magne : Littérature, 190 / Rachilde : Les Romans, 195 / Edmond Barthèlemy : Histoire, 199 / Georges Bohn : Le Mouvement Scientifique, 204 / Carl Siger : Questions coloniales, 208 / Charles-Henri Hirsch : Les Revues, 214 / R. de Bury, Les Journaux, 221 / Claude Roger-Marx : L'art du Livre, 227 / Camille Pitollet : Lettres catalanes, 230 / Divers : A l'étranger : Belgique, 235 ; Suisse, 239 / Mercure : Publications récentes, 243 ; Echos, 247.


REVUE DE LA QUINZAINE

LES JOURNAUX

Un « dialogue des Amateurs » sur le Mercure de France (Le Gaulois du Dimanche, 10 juillet). — Un discours de M. Paul Bourget à l'inauguration du médaillon de Stendhal, au jardin du Luxembourg (Comœdia, 29 juin),

M. Legrand-Chabrier a rencontré M. Desmaisons et M. Delarue et a noté pour nous, dans le Gaulois du Dimanche, leur « dialogue des Amateurs » sur le Mercure de France.

— Quoi, c'est vous, monsieur Desmaisons ?

— Quoi, c'est vous, monsieur Delarue ?

— Du diable si je pensais que jamais nous nous rencontrerions, du moins tant que Remy de Gourmont serait mort ! Il fut l'instigateur et l'âme de nos entretiens de quinzaine au Mercure de France. Il nous donna son esprit, se dédoublant en nous. Possibilités de pantins, nous parûmes hommes sous son souffle. Mais après quelques années il se lassa de sa création...

— Ce qui était son droit, et peut-être son devoir de renouvellement.

— Et il nous abandonna au néant où nous sommes retombés. Quel audacieux nous en tire ?

— Oui, audacieux, et non moins imprudent, car il ne fut qu'un Remy de Gourmont...

— Comme il n'est qu'un Mercure.

— Hé, voilà une opinion tranchante et tyrannique, qui me surprend de vous. Car enfin, nous connaissons d'autres revues de ce temps qui valent la peine d'être lues, d'être aimées et qui peuvent donner le petit frisson esthétique et l'impression exquise du nouveau.

— Sans doute. Et le Mercure ne manque point de leur rendre hommage, sans jamais leur faire concurrence. Il tient à sa personnalité. Dès son premier numéro, il l'a eue... il y a trente ans de cela. Ce qui est bien le plus rare, c'est qu'il a prévu parfaitement ce qu'elle deviendrait avec le temps, qu'il l'a maintenue pendant sa croissance, qu'il fut naturellement et, comme logiquement d'une souplesse loyale et intelligente à sa destinée.

— Il est vrai que l'air Mercure saute à l'esprit en ouvrant quelque numéro que ce soit de sa collection.

— C'est une atmosphère où l'on respire fort à l'aise. On ne s'y sent oppressé par aucun parti, même le sien. Les passions ont de quoi s'exercer librement par l'appui qu'elles y trouvent un jour et par la contradiction qu'elles y rencontrent le lendemain.

— Bel instrument de jouissance spirituelle !

— Rappelez-vous le préambule du premier numéro, signé Alfred Vallette, daté décembre 1889. Il me semble exemplaire. C'est un texte à étudier de près, n'ayant pas le ton d'un manifeste, ne sonnant point en fanfare, mais sobre préface clairvoyante de l'œuvre entreprise modestement. Lisez vous-même.

— Des trois buts que peut se proposer un périodique littéraire , — ou gagner de l'argent, ou grouper des auteurs en communion d'esthétique, formant école et s'efforçant au prosélytisme, ou enfin publier des œuvres purement artistiques et des conceptions assez hétérodoxes pour n'être point accueillies des feuilles qui comptent avec la clientèle — c'est ce dernier que nous avons choisi. »

— Est-ce assez précis ? Voici mieux encore, et comme la charte : « Chacun est ici absolument libre, responsable de ses seuls dires et point solidaire du voisin. » Point essentiel, signe d'originalité. Et un an plus tard, le Mercure insiste : « Ce n'est pas en vue de prosélytisme au profit d'une esthétique déterminée, du triomphe d'une école, pas même par sympathie de talents, que nous nous sommes groupés, mais uniquement et plus modestement pour avoir un coin propre où imprimer, sans craindre les refus, coupures et tripatouillages d'un directeur, ce qu'il nous plaît écrire. » Est-ce clair ?

— Voilà ce qu'il ne faut jamais oublier quand on veut juger le Mercure !

— Et ce qu'il faut constater, c'est le maintien de cette ligne de conduite à travers les péripéties d'une vie de trente ans. Or, pour n'en avoir point dévié, que lui est-il advenu, par la force et l'honnêteté d'une telle attitude ? Le privilège inouï, miraculeux, de pouvoir tout exprimer, sans nulle protection des puissances religieuses, gouvernementales, morales, littéraires, sans non plus avoir jamais été inquiété par ces mêmes puissances pour cette absolue liberté d'opinion.

— L'œuvre du Mercure de France serait peut-être comparable à l'Encyclopédie...

— Oui, pour l'ampleur universelle de la conception, oui, pour la réussite, non, pour l'âme de combat.

— C'est pourquoi je touche avec vénération ce premier fascicule, déjà de couverture violette. Regardez le sommaire si évocateur :

Alfred Vallette. — Mercure de France.

Ernest Raynaud. — Pluie d'automne.

Louis Dumur. — La Nuit sans nuit.

Jules Renard. — La Demande.

Albert Samain. — Sonnet.

Jean Court. — Les Elus.

Louis Denise. — Cirque.

Julien Leclercq. — Pour l'ingénue.

Edouard Dubus. — Epaves.

G. Albert Aurier. — Les Isolés : Vincent Van Gogh.

Mercure. — Les Livres, théâtre, etc.

— Ce sont les noms des seuls fondateurs. Remy de Gourmont, en retard, ne vint à l'appel qu'au second numéro avec des Proses moroses. Quatre des onze sont encore vivants.

— Toute l'histoire du Mercure est en germe dans ce sommaire et remarquez l'embryon des futures chroniques.

— Quant à Remy de Gourmont...

— Ah ! pour celui-là, ce fut le Mercure même. Son esprit varié, incessant, vibrant de tant d'appétits divers et neufs, doué d'un scepticisme fécond, s'y levait heureux et illimité plus qu'ailleurs. Il est irremplaçable.

— Certes, et c'est pourquoi il n'y a plus d'épilogues en tête de la « Revue de la quinzaine ».

— Du moins provisoirement. Car les êtres de liberté, innée sont exceptionnels. Mais il ne faut point désespérer d'une autre exception de ce genre. Or, je parie que, dès qu'elle apparaîtra, ce sera tout justement au Mercure, terrain de culture propice à un tel individu.

— J'ai aussi un motif foncier de goûter cette revue : son titre. Par là elle reconnaît le passé, elle ne fait pas table rase, qui est moyen médiocre et primaire ; elle le continue, sans toutefois imposer un visage ancien au présent, ni au futur. Elle se continue par le simple et sain jeu de son organisme normal en pleine activité d'actualité. Elle a su grandir et évoluer en s'incorporant des nourritures de toute espèce.

— C'est ce que quelques-uns lui reprochent, de n'être pas demeurée exclusivement littéraire.

— Ils ont raison, à leur point de vue. On ne leur demanda pas leur avis. Ils doivent reconnaître l'autre raison, celle qui a donné la perfection à cette revue...

— Vous êtes bien catégorique.

— Oui, car elle est certainement arrivée à sa pleine forme définitive, selon sa formule, qui est d'être à la fois la revue d'étude, de méditation, d'érudition, et la revue de journalisme qui classe les documents au fur et à mesure de l'histoire présente.

— La littérature pure a un charme à nul autre pareil.

— Erreur d'optique de l'y voir réduite à une portion menue. Elle s'y étend comme autrefois, et même davantage, mais à côté il y a... tout le reste. La perspective est changée. La réalité demeure.

— Quel feu, cher monsieur Delarue !

— On va suspecter notre indépendance, alors que nous la prouvons en affrontant le reproche de complaisance.

— Ceux qui ne peuvent se rendre compte, parce qu'ils n'ont pas le sens de la double liberté individualiste de soi-même et d'autrui, à quel point c'est la maison de tous !

— De tous, ce serait une foire !

— C'en est une, en effet, aux idées, et fort bien organisée, plaisante et profitable.

— Ce n'est pas peu d'avoir établi cela et d'avoir eu l'esprit de suite nécessaire au maintien d'un tel établissement.

— Ne doit-on pas, penser aussi à la belle œuvre française que ce fut, à son retentissement et son expansion hors de France, à la propagande universelle par le fait même bien plus que par les mots sonores ?

— Nous avons fait de notre mieux, qui est médiocre, je le reconnais.

— En ce cas... à ne pas nous revoir, monsieur Delarue !

— Qui sait, monsieur Desmaisons ?