En una noche obscura
(texte original)
Cantique de la Nuit obscure de l'Ame
(traduction de Remy de Gourmont)
En une nuit obscure
(traduction de Benoît Lavaud)


en una noche obscura
con ansias en amores inflamada
oh dichosa ventura
sali sin ser notada
estando ya mi casa sosegada

a escuras y segura
por la secreta escala disfrazada
oh dichosa ventura
a escuras y segura
estando ya mi casa sosegada

en la noche dichosa
en secreto que nadie me veía
ni yo miraba cosa
sin otra luz y guía
sino la que en el corazón ardía

aquesta me guiaba
más cierto que la luz del mediodía
a donde me esperaba
quien yo bien me sabía
en parte donde nadie parecía

oh noche que guiaste
oh noche amable más sue el alborada
oh noche que juntaste
amado con amada
amada en el amado transformada

en mi pecho florido
que entero para él sólo se guardaba
allí quedó dormido
y yo le regalaba
y el ventalle de cedros aire daba

el aire de la almena
cuando yo (1) sus cabellos esparcía
con su mano serena
en mi cuello hería
y todos mi sentidos suspendía

quedéme y olvidéme
el rostro recliné sobre el amado
cesó todo y dejéme
dejando mi cuidado
entre las azucenas olvidado


Pendant une nuit obscure/
Brûlée par les angoisses de l'amour/
Oh heureuse aventure !
Je sortis sans être vue
Hors de la maison déjà endormie.

Sous la protection des ténèbres
Par l'escalier secret je m'enfuis/
Oh heureuse aventure !
Dans les ténèbres et déguisée
Hors de la maison endormie.

A travers la nuit heureuse
Je n'étais vue de personne/
Et je ne voyais aucune chose/
Et nulle lumière ne me guidait
Que celle qui brûlait en mon coeur.

Mais cette lumière me guidait
Plus sûrement que celle de midi
Vers le lieu où m'attendait
Celui que je savais bien/
Vers le lieu où on ne voyait personne.

O nuit qui m'a guidée !
O nuit plus aimable que l'aube !
O nuit qui as réuni
L'amant et l'amante
Et qui de l'amante as fait l'amant !

Sur mon sein fleuri/
Pour lui seul conservé pur/
Tranquillement endormi
Je le caressais
Et mon éventail de cèdre lui donnait de l'air.

Et quand l'air de la fenêtre
Soulevait ses cheveux/
Avec sa douce main
Il me frappait le cou
Et suspendait tous mes sens.

Immobile je m'oubliai ;
Le visage incliné sur l'aimé/
Je cessai tout/ je m'abandonnai/
Laissant toute inquiétude
Oubliée entre les lys.


en une nuit obscure
d'anxieuses amours embrasée
oh l'heureuse fortune
je sortis sans être remarquée
ma maison déjà étant en repos

à l'obscur et sûre
par le secret escalier déguisée
oh l'heureuse fortune
à l'obscur et sûre
ma maison déjà étant en repos

en la nuit heureuse
en secret nul ne me voyant
ni moi ne regardant rien
sans autre lumière ni guide
que celle qui dans mon cœur brûlait

celle-ci me guidait
plus sûrement que la lumière de midi
au terme où m'espérait
celui que moi je savais bien
en lieu où nul ne paraissait

ô nuit qui me guidas
ô nuit aimable plus que l'aube
ô nuit qui joignis
l'aimé avec l'aimée
l'aimée en l'aimé transformée

en mon sein fleuri
qu'entier pour lui seul je gardais
là il resta endormi
et moi je le caressais
et l'éventail des cèdres l'aérait

le souffle du créneau
quand je dénouais ses cheveux
de sa main sereine
au cou me blessait
et tous mes sens suspendait

je restai et m'oubliai
le visage appuyai sur l'aimé
tout cessa je m'abandonnai
abandonnant mon souci
entre les lis oublié

(1) Les meilleures éditions portent yo et non ya. C'est donc l'aimée qui, en un geste d'amour, dénoue les cheveux de l'aimé, et non le souffle du créneau, leçon suivie par Gourmont (d'après une note de Bernard Lavaux).



La traduction de Bernard Lavaux nous a été communiquée par René Le Texier. Elle se trouve dans

Les Cahiers du Rhône

Saint Jean de la Croix

Poèmes
mystiques


Texte espagnol
et version française
de
Benoît Lavaud,
des frères prêcheurs

Editions de la Baconnière. Neuchatel
Paris. Editions du Seuil. 27, rue Jacob (s. d.)