Paris, 2 octobre 191[3].

Monsieur,

Je n'ai pas seulement lu Juste Auber, mais tout le volume et j'y ai pris un grand plaisir. Presque toutes (et pourquoi presque) ces études sont remarquables. Je connais un peu le milieu que vous avez choisi, je le connais extérieurement et je n'en ai que mieux subi la vérité des personnages dont vous le peuplez. Juste Auber est surtout satirique, mais la grand'mère Jolietta, tant d'autres sont des figures inoubliables.

Aucun livre récent ne m'a paru plus loyalement formé d'éléments les plus simples de la vie. Et quelle verdeur de style et que de trouvailles ! J'ai retenu « la bonne odeur des heures lentes », tout est vivant. C'est un grand mérite. Vous pouvez vous dire sans forfanterie que Flaubert eût aimé votre livre et même l'eût admiré. C'est ce que je fais pour ma part, en vous envoyant mes meilleurs compliments.

REMY DE GOURMONT.

[lettre publiée dans l'Imprimerie gourmontienne, n° 5, 1922]

Nota bene : Camille Cé lui-même, évoquera cette lettre dans une conférence intitulée « Remy de Gourmont, Normand », qu'il fit à Caen aux Amis de l'Université, le 20 janvier 1937 : « Toutes les générosités, Remy de Gourmont les eut pour les petits, les perdus au fond de leur province, les débutants inconnus. Et permettez-moi de dire qu'il répondit, il y a vingt-cinq ans, à deux pauvres conteurs normands qui lui envoyaient timidement leur premier livre : C'est la vie, par une chaude lettre cordiale qui était une affectueuse poignée de main. J'ai gardé précieusement l'autographe du poète. »