Georges Duhamel, « Les poèmes », Mercure de France, 16 avril 1912.

M. Remy de Gourmont vient de réunir des poèmes sous ce titre : Divertissements.

Je ne crois pas, comme M. Remy de Gourmont, que ce titre Divertissements « soit d'une extrême modestie ». Le mot serait-il modeste en soi qu'il prendrait une singulière autorité à émaner d'un de ces esprits subtils et robustes qui font profession de se divertir de la difficulté même. Mais le mot n'évoque pas la modestie ; j'imagine que, pour certaines âmes, les divertissements sont à la mesure des soucis. Se divertir, se distraire, c'est s'arracher à une préoccupation majeure au bénéfice d'un objet nouveau. L'importance de cet objet ne peut attester qu'un excès de vigueur et sa futilité est encore en faveur du tourment primitif.

Dans une préface parfaitement spirituelle, M. Remy de Gourmont : nous fournit un commentaire dont la lecture n'est qu'agrément et profit. « Je ne plaide pas la sincérité, dit-il. J'ai été sincère quand il m'a plu de l'être, et d'ailleurs la sincérité, qui est à peine une explication, n'est jamais une excuse. »

Je m'autoriserai quand même de cette parole pour diviser les poèmes réunis dans les Divertissements en deux classes. Il y a d'abord les « poésies purement verbales » qui doivent leur saveur au pur miracle de la langue, il y a ensuite, il y a surtout les poèmes représentatifs « d'une vie de sentiment plutôt encore que d'une vie d'art », ceux dans lesquels une émotion se fait jour qui ne doit rien aux bonnes grâces du vocabulaire.

L'homme qui veut se divertir peut, de parti pris, écarter les yeux de soi-même, les reporter arbitrairement sur un spectacle et, de mot en mot, de vers en vers, obtenir, activement, offensivement la distraction désirée.

C'est sans doute à ce besoin autoritaire de distraction que nous devons des poèmes comme les Saintes du Paradis ou cette suite intitulée l'Ecrin. Dans de telles pages, l'esprit ambitieux d'un divertissement se donne un thème et le développe avec art. C'est un exercice aimable, capable d'éveiller la passion et de l'assouvir.

Mais, ailleurs, nous percevons d'autres accents. La distraction n'est point cherchée, c'est elle qui s'impose. Le cœur balbutie et l'esprit se laisse convaincre. Il en résulte un chant sans apprêt et sans artifice ; mais on a tout à coup l'impression que le courant de la sensibilité a changé de sens. Certains groupes de poèmes, entre tous ceux qui sont présentés dans ce volume, font songer à des objets humbles et familiers qu'on découvrirait brusquement au milieu d'une reluisante panoplie.

Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs,
Nous irons comme en barque à travers le brouillard.

Le parfum fruste et mélancolique qui émane de toute cette suite intitulée Simone donne à croire qu'on peut, sous prétexte de divertissements, chercher à confesser des heures d'abandon et de charme dont le souvenir mérite de rester à tout jamais vivace.

« Ce n'est pas sans appréhension, croit devoir dire M. Remy de Gourmont, que je livre aux amateurs de poésie un recueil aussi hétéroclite et d'âges si divers... » Or, cet ouvrage, par sa diversité même, ne saurait manquer d'attirer et de retenir des esprits de qualités fort différentes pour leur apporter, à tous, satisfaction en quelque point. M. de Gourmont déclare ne donner ce ballet que pour quelques-uns et quelques-unes... C'est générosité de prince !