1. Marcel Longuet, « A propos de La Révolte », Bretagne, 17e année, n°163, août 1938.

Dans ce numéro de Bretagne, déniché à la librairie La Mâove de Coutances, un passage intéressant, dans l'article de Marcel Longuet, sur La Révolte et Sixtine :

[...] Nous avons dénombré les reprises de La Révolte. Il en est une autre, due à l'imagination de Remy de Gourmont. Chose curieuse, ses glossateurs, biographes et bibliographes ne la signalèrent point. Au chapitre XXVIII de son roman Sixtine, paru en 1890, six ans avant la reprise de l'Odéon, Gourmont narre une représentation à ce théâtre même. Le chapitre s'intitule : « Le frisson esthétique », précédé d'une épigraphe empruntée à Ernest Hello : « Le style est inviolable. »

Hubert d'Entragues — Gourmont en personne, car ses romans tiennent de l'autobiographie — accompagne au théâtre Mme Sixtine Magne — dont les Lettres à Sixtine révèlent l'individualité. A peine le rideau levé, la houle déferle :

— Le public semble inquiet, dit Sixtine. On jurerait qu'il ne comprend pas.

— En attendant qu'il se révolte. Il est permis de maudire l'argent, non pas de le mépriser. Comment voulez-vous, continua Hubert, inciter des hommes à la moquerie de la secrète quintessence de leur idéal. Ironiser le lucre au théâtre, c'est blasphémer Dieu dans une église.

Suivent les envolées lyriques devant un auditoire épais.

Sixtine se pencha attirée par le magnétisme des nobles paroles, puis se renversa sur son fauteuil, songeuse, les doigts frémissants, sentant l'impérieux désir d'une main qui eût enveloppé la sienne. Sans remuer la tête, elle tourna les yeux vers Hubert : il écoutait, moins ému que fasciné... Le même frisson esthétique, à la même seconde, les secoua : leurs respirations se précipitaient, ils avaient pâli, leurs lèvres, comme pour de muettes exclamations, s'entr'ouvraient.

La salle stupéfaite. Nouvelle vague de fond.

Entragues emporté par un mouvement de colère, bien peu dans le caractère de ses tous les jours, interpelle ainsi un siffleur :

— Monsieur, vous êtes un malfaiteur !

Le coquin se contenta de hausser les épaules, tout en serrant sa clef...

Ils quittent le théâtre sans entendre la pièce suivante. Selon le jeu subtil de l'allusion mallarméenne, au cours du chapitre le nom de Villiers de l'Isle-Adam n'est nulle part prononcé, mais le roman inscrit au feuillet liminaire une dédicace à la mémoire du maître. Sixtine Magne interroge : qui est l'auteur ?

— Il est mort, dit Hubert, c'était le plus noble écrivain de ce temps. La moitié de la jeune littérature le reconnaissait comme son maître. Il y avait dans son œuvre des pages d'une magnificence et d'une pureté de langue incomparables. Vraiment, il donnait l'impression de deux âmes de Gœthe et d'Edgar Poe fondues en une seule et logées dans le même être.

Si peu connu, comme quelques autres contemporains, et d'Entragues d'achever :

... Mais quand les voleurs de gloire auraient épuisé leur viager, ceux-là entreraient dans la maison, le parchemin d'immortalité à la main, en chasseraient les intrus.

En ce récit imaginatif, Remy de Gourmont laissait suspendue une menace de sifflets. Les derniers du Parnasse affirmaient qu'on n'avait jamais sifflé au Vaudeville (1). Aussi bien, il suffit de constater que l'œuvre a toujours confondu un certain auditoire. J'assistais à la reprise du Théâtre Antoine, en 1899, aux côtés de Victor Villiers de l'Isle-Adam. Au milieu du drame, son voisin de gauche, un quadragénaire replet, se leva la face empourprée, claquant son fauteuil. Le fils de Villiers — qui ressemblait tellement à son père — s'effaça, poli et narquois. Relisons les altières paroles qui closent la préface : « D'ailleurs, que nous importe même la justice !... Celui qui, en naissant ne porte pas dans sa poitrine sa propre gloire, ne connaîtra jamais la signification réelle de ce mot. »

(1) Le Vaudeville où fut créée la pièce le 6 mai 1870 (note des Amateurs).

Musée de Saint-Brieuc. Photo Binet.

L'érection d'un tel monument [...] est difficile à concevoir. Songez que le groupe est [...] de trois figures. Il y a [...] la Gloire, la gloire excitatrice, — telle que Villiers pouvait la comprendre. Elle se nomme Tullia Fabriana, Claire Lenoir, Ellen, Morgan, Sara, Akedysseril ; une femme unique dans les deux sens du mot. Il y a ensuite Villiers se réveillant et, enfin, il y a la mort signifiée par ce cercueil, debout comme un homme, s'efforçant de résister à la Gloire ! (Léon Bloy)

2. René Martineau, « Victor-Emile Michelet et le premier comité Villiers », Bretagne, 17e année, n°163, août 1938.

[...] Frédéric Brou avait été conseillé par Bloy, quant à la conception, mais il eût fallu au sculpteur un génie égal à celui de Bloy pour réaliser un projet de cette envergure : Villiers de L'Isle-Adam ressuscite, sortant de son cercueil brisé par la gloire.

Brou dont le talent, d'ailleurs assez limité, était celui d'un réaliste, ramena, avec beaucoup d'efforts, la conception fantastique de Bloy à une exhibition d'autant plus sinistre qu'il la fit de proportions exactes. Il mit debout un vrai cercueil, précédé d'une femme nue grandeur nature, déclouant, d'une main inexperte, les planches les plus élevées du funèbre engin d'où sortait un buste pommadé de Villiers, presque souriant, non ironique, hélas ! acceptant de réapparaître comme cela sur la plus ingrate des planètes ! La femme était lourde comme la vulgarité elle-même et impudique comme un blasphème. Jehan Rictus disait : « Si encore elle avait des ailes dans le dos ! »

Il était difficile, pour ne pas dire impossible, à Bloy et à ses amis de ne pas défendre l'œuvre ratée. Bloy (1) écrivit quelques pages magnifiques, mais les éloges publiés n'empêchèrent pas une réaction assez vive.

Charles Morice, dans Paris-Journal, dit l'insuffisance de l'œuvre.

M. Lucien Descaves fit plus encore en protestant énergiquement contre l'idée inspiratrice du monument : « Il y a, comme cela, écrivait-il, en effigie, assez de morts sur la terre. Il ne manquait plus qu'on y dressât leur cercueil, comme la guérite du veilleur de nuit dans un chantier. Je sais bien que Paris est plein de chantiers, mais ce n'est pas une raison pour les faire garder par nos grands hommes ».

Le sculpteur eut le bon sens d'avouer son insuccès, tenant compte de ces justes observations. Tout ceci se passait en 1910. L'année suivante, Frédéric Brou offrit la maquette de son monument Villiers au musée de Saint-Brieuc qui l'accepta et où elle est encore. Jehan Rictus, bon dessinateur, fit plusieurs croquis en s'en inspirant, avec des légendes amusantes. Ces croquis sont restés inédits. Rodin, auquel on soumit l'idée de Léon Bloy, la traduisit en un dessin rapide. Il fit une gloire à demi-couchée, élevant à bout de bras un cercueil entr'ouvert où Villiers de L'Isle-Adam s'éveillait à l'immortalité, un peu comme le Napoléon de Rude, mais dans un mouvement plus désordonné. Rodin disait la difficulté d'une pareille réalisation et ajoutait qu'un monument de ce genre n'était pas fait pour une place publique, mais pour un cimetière [...].

René Martineau

(1) Le monument de Villiers de L'Isle-Adam est achevé. Si ce n'est pas là un chef-d' œuvre, j'abolirai par décret le sens de ce mot. On peut lire la suite dans Léon Bloy, Journal I, pp. 636-638, Bouquins, Robert Laffont, 1999 [note des Amateurs].

Sixtine

Villiers de l'Isle-Adam