Propos d'actualité : Les étoiles ont-elles une odeur ?

(Revue de l'Ouest, Le Mans, 15 septembre 1913, p. 5)

M. Remy de Gourmont, dans un livret d'opéra, s'est supplicié pour écrire des vers puristes, et il envoie un de ses personnages « respirer le parfum des étoiles ». La poésie la plus récente est très féconde en images de ce genre peut-être excessif, et M. de Gourmont, pour se dégager, explique que, comparant les astres à des fleurs, il peut bien leur trouver une odeur. Depuis cet argument, je puis prendre la nuit pour une avenue et dire des étoiles qu'elles sont des réverbères. Je puis même, voyant dans le ciel constellé une harpe immense dont chaque élément serait une corde, parler de la sonorité des points lumineux et dire : « Je vais entendre la musique et la voix des étoiles ». Où allons-nous ?

Le mal vient de ce que l'imagination des versificateurs actuels n'est plus suffisamment gouvernée, de ce que la discipline se perd, de ce que l'aimable fantaisie a cédé la place à l'égarement. On ne peut guère inventer de nouveaux principes de composition et il serait au moins raisonnable de suivre les anciens enseignements. La méthode n'a jamais empêché l'éclosion d'une belle œuvre, elle en a produit d'admirables : son absence n'a donné naissance qu'à des folies

Si l'on ne suit pas les préceptes institués par les plus grands el créés par les immortels, c'est qu'ils sont souvent difficiles à respecter et que rien n'est plus réjouissant qu'une désertion. Mais ne pas les pratiquer, sauf à les assouplir aux nécessités des sentiments modernes, c'est bâtir sur le sable, c'est édifier une construction sans architecture. Sans eux, nulle œuvre n'est durable, et la séduction passagère doit faire rapidement place à l'oubli éternel. Sans eux, les vers évanouiront vite, « comme les étoiles aux premières blancheurs de l'aube ».

Georges BOUVIER (Le Mans).