11e année. — N° 4. 15 février 1904

Chronique bibliographique

Remy de Gourmont. — Physique de l'Amour . Mercure de France.

M. Remy de Gourmont doit, j'imagine, faire la même réflexion que cet orateur connu qui, voyant qu'on l'applaudissait, s'interrompt tout à coup pour demander à son secrétaire : « On m'applaudit... j'ai dû lâcher une bêtise ! » Sixtine, le Pèlerin du Silence, ont mené, à grand'peine, deux éditions ; la Physique de l'Amour est déjà à la 7e édition, à peine la première vient-elle de paraître ! Pour un auteur sérieux, c'est là un grave symptôme. Il n'a que les livres qu'on ne lit pas qui soient des chefs-d'œuvre : Voyez plutôt La Force ennemie !

Si M. Remy de Gourmont avait intitulé son livre la Partogénèse, ou Physiologie de la génération... ou tout autrement, il se serait beaucoup moins vendu. Mais la Physique de l'Amour... tous les collégiens et tous les vieux marcheurs l'ont acheté et c'est déjà une clientèle. L'auteur méritait mieux.

Il est des sujets qui réclament une extrême candeur scientifique, pour être traités avec cette dignité éloignant du lecteur tout soupçon d'érotisme mercantile. Certes, je ne ferai pas à M. Remy de Gourmont, qui est un artiste, un penseur, l'injure de confondre ses livres avec les marchandises d'un négoce expert en l'art d'étiqueter, mais il est des sujets que tout le monde peut toucher parce qu'ils sont lieux communs : l'auteur du Chemin de Velours n'est pas tout le monde. Ayant choisi un tel thème, il faut y apporter, à défaut de nouveauté, tache ardue, de l'originalité, ce qui est encore difficile, étant donnée la vétusté du sujet. Il faut surtout faire preuve de cette probité de chercheur scrupuleux d'être au courant. M. Remy de Gourmont n'est pas au courant des derniers problèmes posés et résolus en partie par la biologie. C'est un grave reproche — il m'est pénible de le lui adresser— non que je sois lié par cette camaraderie de lettres qui n'ose critiquer — mais parce qu'on avait droit d'espérer mieux d'un esprit aussi original, d'une conscience littéraire aussi probe.

M. de Gourmont veut nous montrer que l'homme appartient à la série animale et qu'il n'y est pas au sommet. C'est une vérité dont nous avions quelque notion. Peu importe qu'elle ne soit pas encore acceptée par les esprits religieux ou les gens du monde gonflés de puérile vanité. M. de Gourmont essaie de prouver que la volupté usuelle n'est pas le but de l'amour physique et il entasse quelques observations de copulation dans la série. Or, il en convient lui-même, il est impossible de comparer la valeur du plaisir sexuel chez différents individus, bien qu'appartenant à la même espèce ; à plus forte raison s'ils appartiennent à des espèces dont nous ne comprenons ni le langage, ni la mimique.

C'est donc pur plaisir de dilettante que d'étudier la copulation chez l'araignée, le moineau ou la blatte, pour en tirer des conséquences applicables à l'homme. Nous nous reproduisons comme [143] les animaux, mais nous ignorons absolument si dans ce geste, le plaisir éprouvé est plus grand dans le couple humain que dans le couple d'arachnides ou de monotrèmes. La science ne tire de déductions que de ce qu'elle connaît — elle ignore les voluptés sexuelles purement subjectives.

Se proposer comme but de dissocier l'idée d'amour et de la dégager des éléments parasites dont les hommes se sont plu à l'entourer, c'est un peu le travail d'un cuisinier qui, dans un rôti, supprimerait la sauce. Il en est qui prétendent que c'est la sauce qui fait tout le rôti — et non des moindres. Il y a beaucoup trop de rôti dans le livre de M. de Gourmont et presque pas de sauce — c'est dommage.

Schopenhauer et Stendhal avaient déjà traité ce sujet ; il fallait le traiter autrement et y ajouter. Or il n'est pas bien sûr que l'auteur y ait ajouté et l'ait traité autrement.

Le chapitre des aberrations est bien court, pour les contemporains d'Oscar Wilde, de Jean Lorrain et de récents procès. — Le mécanisme de l'amour est un gros chapitre, traité de façon bien menue.

La Physique de l'Amour ne restera pas le livre définitif qu'est le Latin mystique [144].

Dr MICHAUT.


14e année. — N° 22. 15 novembre 1907

Chronique bibliographique

Remy de Gourmont, Un cœur virginal. Editions du Mercure de France, Paris, 1907.

Il est à peu près impossible à un lecteur assidu de M. Remy de Gourmont de faire une étude critique de ses ouvrages : on en trouvera [762] la raison dans ses Epilogues du Mercure (chap. XLIV). Comme, d'autre part, il ne saurait être critiqué par ceux qui ne le lisent pas, M. de Gourmont devra se contenter de n'avoir que des admirateurs.

Nous sommes de ceux-ci sans réserve. Et nous ne doutons pas que les amis de la Chronique, lettrés érudits, amateurs délicats, trouvent le même rare plaisir que nous prenons à savourer l'œuvre de cet écrivain, à la fois poète et philosophe, sensible et railleur, subtil, raffiné et si supérieurement intelligent, en un temps où la médiocrité est de règle [763].

Claude Borgaise.


16e année. — N° 3. 1er février 1909

Correspondance médico-littéraire

Questions.

Les Dé-Circoncis. — C'est une bien curieuse coutume que nous révèle le passage ci-dessous, extrait d'un vieil ouvrage de médecine(1), et qui nous est signalé par notre très avisé confrère, M. Remy DE GOURMONT (2). Puisse sa lecture suggérer à quelqu'un de nos lecteurs des renseignements plus circonstanciés sur une particularité peut-être encore en usage dans certains pays.

« C'est un Juif ou un Turc qui a quitté sa religion, que les siens nomment depuis retalhat, comme nous disons révolté ; mais c'est en autre sens et pour autre occasion. Savoir est que le Juif et le Turc, ayant été circoncis, quittant depuis ce party-là et désirant n'en avoir plus la marque, il se fait recouvrir la teste du mambre viril. C'est une chirurgie enseignée de Paul AEginète et autres bons auteurs grecs et arabes pour contrefaire un prépuce. Il faut inciser la peau du membre viril contre sa racine, tout à l'entour. Quand elle ha ainsi perdu sa continuité, on la tire de peu à peu en bas comme on dépouille un bâton de saule pour faire une trompe), jusqu'à tant que la teste en est couverte. Puis, vers la racine, là où manque autant de peau, on fait une cicatrice qui tient sa place. Voilà comment il est retalhat, c'est-à-dire une autre fois ou derechef taillé. Car on le taille premièrement quand on le circoncit, et depuis on le retaille pour couvrir le défaut du prépuce. Le latin l'appelle recutil, comme ayant recouvert sa peau, qu'on nomme avant-peau. » [86]

L. R.


16e année. — N° 7. 1er avril 1909

Correspondance médico-littéraire

Réponses.

Les dé-Circoncis. (XVI, 86). — Je réponds moi-même à la question des dé-circoncis. La solution se trouve au § 1 du chapitre xxv du VIIe livre de CELSE ; traduction Ninnin, Paris, 1754.

Celse faisait l'opération principalement sur les hommes qui, « ayant le gland découvert, veulent, par bienséance, le faire recouvrir ».

On sait, d'ailleurs, que pour les Maoris qui vivaient nus, la bien-[228]séance consistait également à avoir le gland recouvert (1). Les Romains, qui allaient nus aux bains publics, éprouvaient donc un sentiment de honte à cette dénudation partielle et spéciale. Aux ethnographes d'en dire plus long.

Pour la question même des dé-circoncis, Celse dit clairement que l'opération se faisait sur les circoncis, quoique avec une certaine difficulté. Cela se pratiquait « chez diverses nations». Il décrit fort soigneusement l'opération et la rend plus aisée à comprendre que Laurent Joubert en son jargon. II n'y a pas de doute que ce soit dans Celse que Paul d'Egine, si la référence de Joubert est exacte, ait puisé sa description.

REMY DE GOURMONT.

§

— Dans la correspondance médico-littéraire du numéro de la Chronique médicale du 1er février 1909, je lis, sous les initiales L. R., une note sur les « Dé-circoncis ». J'ai en vain cherché, dans la Revue des Idées du 15 décembre 1908, l'article auquel votre correspondant fait allusion. Mais je puis vous donner quelques détails historiques sur ce sujet chirurgical.

On sait que la circoncision au 8e jour pour Isaac et tous ses descendants, et à l'âge de 14 ans pour Ismaël et sa postérité, date d'Abraham, comme en témoignent les récits bibliques. Le christianisme adopta la circoncision, car Jésus-Christ nous dit dans l'Evangile : « Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir la loi de Moïse. » Et ce n'est que 60 ans plus tard que saint Paul fît abandonner cette opération pour les chrétiens. Il y eut dès lors un signe physique caractéristique pour « marquer la race juive » : la circoncision. Quand les persécutions contre les juifs devinrent aiguës, nombre de sujets songèrent à effacer ce stigmate, et de là est née l'opération en question.

Déjà dans le premier livre des Machabées on peut lire : « En ce temps-là, il sortit d'Israël des enfants d'iniquité qui donnèrent ce conseil à plusieurs : allons et faisons alliance avec les nations qui nous environnent. Quelques-uns du peuple furent donc députés pour aller trouver le roi (Antiochus Epiphane), qui leur donna pouvoir de vivre avec les Gentils. Alors ils se firent des prépuces, se séparèrent de l'Alliance sainte et se vendirent pour faire le mal. Et sibi fecerunt prœputia. » Mais, en réalité, jamais saint Paul n'a exigé une opération pour qu'un juif devînt chrétien. En réalité, je crois bien que si tant de Juifs ultérieurement eurent recours à une opération pour masquer leur circoncision originelle et dénonciatrice, c'était pour éviter les persécutions des concussionnaires romains, qui atteignirent leur apogée sous le règne de Domitien. Un lourd tribut était imposé aux Juifs, qui pour s'y soustraire tâchaient par tous les moyens de dissimuler au fisc leur religion. Suétone (Domitiano, cap. XII) parle d'un vieillard de 90 ans qu'il a vu visiter devant une foule de témoins pour savoir s'il était circoncis.

C'est dans Celse (qui était contemporain de saint Paul et par conséquent bien postérieur au livre des Machabées cité plus haut) qu'on trouve la première description des opérations destinées à reconstituer un prépuce aux circoncis.

On lit, dans son chapitre xxv du livre VII (de Re medica), intitulé : ad tegendam glandem colis si nuda est : « Chez celui qui a été circon- [...] [231]

A. GUINARD,
Chirurgien de l'Hôtel-Dieu.

(1) Cf. R. de GOURMONT, Physique de l'Amour, ch. XVIII.


18e année. — N° 4. 15 février 1911

Chronique bibliographique

HAN RYNER : Le Subjectivisme. — Rire. — Gastein Serge, éditeur, 17, rue Fontaine, Paris.

La critique point banale du déterminisme et de la liberté, la réfutation attachante de toutes les morales qui ne se peuvent réclamer [127] d'un idéal absolument pur, voilà ce que vous trouverez dans cet opuscule.

Avec un agréable mélange de philosophie et de poésie, l'auteur ne démontre pas par simple dilettantisme l'inanité des morales qui se réclament de Dieu, du Devoir, de l'Humanité, de la Solidarité, de la Patrie, de la race ; éthiques d'égoïsme, de domination, de servilisme. Il a mieux à proposer à l'esprit humain, qui peut choisir entre l'amour et la sagesse, entre le « fraternisme » et le « subjectivisme », entre le christianisme et le stoïcisme.

Jésus veut qu'on se donne, Epictète qu'on se réalise : leurs méthodes se complètent. Ils réclament l'indépendance de l'homme, ne lui commandent point d'obéir à des prêtres, des docteurs ou des soldats ; mais tous les deux proclament la fraternité universelle, caritas generis humani. On arrive ainsi au parfait détachement de soi-même, à la plus haute expression de la vertu [128].

André Lombard.


18e année. — N° 23. 1er décembre 1911

Chronique bibliographique

HAN RYNER : Le cinquième Evangile. Paris, E. Figuière et Cie, éditeurs, 1911. 3 fr. 5o.

C'est l'Evangile de Jésus-Homme, que M. HAN RYNER a dressé en face des Évangiles de Jésus-Dieu. Ce que plusieurs autres, et non des moindres, ont fait en exégètes, M. Ryner le fait en poète. Il prend, dans les récits des évangélistes, toute la part d'humanité de la vie du Christ et ramène les parties surnaturelles à des explications rationnelles. Peut-être l'explication des miracles paraîtra-t-elle à quelques-uns un peu sujette à caution. Mais le livre est d'une superbe tenue, avec un pastiche heureux du style des Ecritures. Et c'est surtout l'Evangile d'amour, débordant d'altruisme, plein de pitié pour les hommes, et aussi l'Evangile d'un Révolté qui tente de détruire la Loi, pour débarrasser les hommes de leurs chaînes et de construire la Cité d'amour et de bonheur humain.

C'est un très beau livre. [767]

Dr H. Bouquet.


32e année. — N° 6. 1er juin 1925

SOMMAIRE

Médecine et Histoire littéraire (163) : Autour d'un procès physiologico-littéraire, par M. le Dr L. BABONNEIX, médecin des Hôpitaux de Paris.

Echos de la « Chronique » (169) : Le physicien Charles et Marat. — Barbey d'Aurevilly et les médecins. — Anatole France, préfacier. — Une tapisserie historique. — Remerciements.

Nos Evadés (172) : Hommage à Sun Yat-sen.

La Médecine des Praticiens (174) : La Dioséine Prunier et l'éréthisme cardiaque. — L'or potable, par le Dr J. D.

Echos de partout (176) : Le bertillonnage des tableaux par la radiographie. — Prenez garde aux fourrures !

Petits Renseignements (179) : Journées médicales de Bruxelles. — La peau dans l'art.

La « Chronique » par tous et pour tous (180) : Comment une place forte fut prise par un convoi d'éclopés, par M. le Dr J.-J. MATIGNON. — Un précurseur de Claude Bernard et de Brown-Séquard, par M. le Dr CEPPIA.— Le baron J.-D. Larrey à Louvain, par M. le Dr MASOIN.

Correspondance médico-littéraire (183) : Le poil, qu'est-ce ? — Le serpent dans la rougeole. — Louis XV était-il bossu ? — Dupuytren et Récamier en 1817. — Vocations déterminées par la maladie. — A quelle maladie a succombé Lénine ? — Le traitement par l'air chaud vers 1840. — Le traitement des chevaux blessés aux eaux sulfurées. — Minerve avait-elle les yeux pers ? — Courir comme un dératé. — Faut-il dire cureter, curetage, ou curer, curage ?

Chronique bibliographique (190) : HISTOIRE LITTERAIRE [Remy de Gourmont, vu par son médecin]. — SCIENCES MEDICALES .

Gravure dans le texte (165) : M, CHARLES, le mari d'Elvire.
Portrait hors texte (173) : SUN YAT-SEN, Président de la République chinoise.


Barbey d'Aurevilly et les médecins.

Encore un nom à ajouter sur la liste des iatrophobes notoires ; quand nous serons à cent !...

Il s'agit de BARBEY D'AUREVILLY, dont notre distingué compatriote GUSTAVE GUICHES a si joliment croqué la silhouette. Empruntons-lui ce trait :

Ses lèvres se desserrent. Les joues se foncent au rouge brun. Les yeux pétillent. La parole est encore mal réveillée. Elle zézaie, elle siffle à cause des dents espacées. Elle se prépare. Elle fait sa toilette, et quand elle s'est tout à fait habillée comme lui, cravatée de dentelle, gantée de blanc et chaussée de vernis, elle sort. Même, dans l'enjouement, il lui faut l'hyperbole, et elle s'adresse toujours à un interlocuteur imaginaire qu'elle appelle : « Monsieur ».

— Les médecins, monsieur ! Les médecins !. Molière a été envers eux d'une indulgence ! L'un d'eux vient chez moi et me demande :

— Qu'avez-vous ?

— C'est à vous de le savoir ! Tout ce que je sais, c'est que mon estomac est devenu la boîte de Pandore et que mes entrailles sont les cavernes d'Eole !

Et il me répond :

— C'est de la dyspepsie !

Ce nom grotesque ! Non seulement ils ne guérissent pas la maladie, mais ils la ridiculisent ! Et ils en dégoûteraient le moribond lui-même ! D'ailleurs, il n'y a plus que des efféminés ! Il n'y a plus de reins ni d'estomacs ! Quand je pense, monsieur, que nous allions de Paris à Valognes, d'une traite, sans mettre pied à terre, même pour pisser. Nous avions des vessies d'airain, monsieur !...


Chronique Bibliographique

HISTOIRE LITTÉRAIRE

Dr PAUL VOIVENEL. — Rémy de Gourmont, vu par son médecin ; essai de physiologie littéraire. Paris, Editions du Siècle, 16, rue de l'Abbé-de-l'Epée.

Notre très distingué confrère, le Dr Paul VOIVENEL, ne sera pas surpris, si nous avons été surtout retenu par les pages liminaires qui précèdent son étude proprement dite sur REMY DE GOURMONT, et qui appellent, en effet, quelques réflexions. Ces considérations de physiologie littéraire, qu'il expose avec un incontestable talent, nous avons comme un vague souvenir de les avoir, à maintes reprises, formulées, soit dans cette Chronique médicale où tant de littérateurs et journalistes ont puisé et puisent encore leur provende, soit dans d'autres publications, où elles ont été plus explicitement développées. Il y a, notamment, telles études sur les Névrosés de la littérature et de l'histoire, que le Dr Voivenel ne doit pas ignorer, et que nous aurions eu plaisir à lui voir rappeler. Nous ne revendiquons pas, d'ailleurs, le mérite de la priorité, n'oubliant pas que nous avons eu nous-même des précurseurs en la personne de MOREAU (de Tours), LELUT, LOMBROSO, MAX NORDAU, qu'il serait injuste de ne pas nommer.

Au surplus, ce qui importe, ce n'est pas tant l'idée même que son développement, ses applications pratiques ; à cet égard, la très attachante monographie de P. Voivenel nous fournit un exemple tout à fait démonstratif de cette critique médico-psychologique que Taine et Sainte-Beuve ont inaugurée, mais qu'un médecin seul, doublé d'un lettré, pouvait exposer dans toute son ampleur.

La constitution et le tempérament de Rémy de Gourmont sont exposés par le Dr Voivenel avec une parfaite lucidité. Un « sensuel cérébral » : ces deux mots suffisent à définir ce remarquable écrivain qui ne fut pas qu'un pur esprit. Peu de nos lecteurs ignorent que Rémy de Gourmont était affligé d'une lésion faciale, qui lui avait peu à peu rongé la plus grande partie du visage. Cet « accident » a-t- il influé sur sa vie spirituelle ? Le Dr Voivenel n'en doute pas un instant : « l'infirmité faciale donne de la timidité, de la pudeur, des crises de découragement et, par un choc en retour inévitable, chez les hommes énergiques, une dédaigneuse et amère fierté. Elle a renfermé Rémy de Gourmont dans sa coquille, elle l'a calfeutré dans son nid d'oiseau blessé, qui s'entr'ouvrait si difficilement, elle l'a cérébralisé de plus en plus, au point que son corps, vraiment, pour lui, ne fut que sa guenille, guenille qui avait oublié ses automatismes... »

L'imagination, même en amour, avait pour R. de Gourmont, plus de charme que l'action : tels passages de Sixtine, des Lettres à l'Amazone, des Promenades philosophiques, en témoignent. Comme le note encore Voivenel, si sa misère faciale fit grandement souffrir Rémy de Gourmont, elle ne modifia en rien sa constance psychologique. Ainsi qu'André ROUVEIRE l'avait déjà observé, « le Gourmont des Lettres à l'Amazone, c'était, revenant, le Gourmont de Sixtine, des Litanies, des Oraisons mauvaises, surtout, avec, en plus et en mieux, vingt-cinq années assidues de méditation et d'économie de la langue ».

Sachons gré à M. Paul Voivenel d'avoir écrit cette bio-psychologie d'un des plus grands artistes de lettres dont s'enorgueillit notre époque ; ce n'est pas seulement un acte de piété littéraire qu'il vient d'accomplir, c'est aussi un témoignage qu'il nous offre de ce que peuvent produire les connaissances médicales, mises au service d'un esprit fin et délié. De cette heureuse alliance nous pouvons attendre beaucoup encore, notre confrère étant à cet âge de pleine maturité intellectuelle qui autorise tous les espoirs.

C.

Louis ESTEVE. — L'Hérédité romantique dans la littérature de nos jours. Les Grandes aberrations de l'Amour romantique, tome Ier. — Sensualité religieuse. Amour androgyne. Libr. Maloine.

Il y a, évidemment, beaucoup de parti pris et d'esprit de système dans ce livre, mais si hasardeuses que soient ou que paraissent les déductions, conclusions et affirmations de l'auteur, son ouvrage ne manque ni d'agrément ni d'intérêt, et s'il a voulu démontrer, tout en précisant un peu trop, que la plupart des écrivains sont timbrés, on ne peut que lui donner raison.

Les Poètes lyonnais, précurseurs de la Pléiade : Maurice Scève, Louise Labé, Pernette du Guillet. Introduction et Notes de JOSEPH AYNARD. Editions Bossard. Collection des chefs-d'œuvre méconnus. Une longue et savoureuse Introduction de M. Joseph AYNARD est, à mon avis, ce qu'il y a de plus intéressant dans ce volume.

Anthologie poétique du XXe siècle, par Robert de La VAISSIÈRE. Librairie Crès. Ces deux volumes d'anthologie auraient pu être réduits d'un bon tiers. Ils contiennent, avec des chefs-d'œuvre incontestables, des pièces qui ne sont géniales que provisoirement, et qui n'exciteront aucune espèce d'admiration dans huit ou dix ans.

HENRI d'ALMERAS.