Mardi 19 février 1924

Journaux et Revues

La première année des Nouvelles littéraires

Le premier en date des journaux purement littéraires. Leur premier numéro sort le 28 octobre 1922 avec un programme précis, court et clair : « Offrir des points de repère au lecteur effrayé par l'abondance de la production contemporaine ; apporter d'autre part aux libraires qui ont la mission délicate de guider leur clientèle, des analyses complètes et précises du plus grand nombre d'ouvrages possible ; provoquer chez tous la plus saine curiosité de ce domaine spirituel que l'honnête homme ne doit jamais se lasser d'explorer et d'étendre. » Beau programme, en vérité, et, contrairement à la tradition, tenu en grande partie par les numéros qui suivirent.

Les Nouvelles littéraires, qui devaient s'appeler d'abord la Vie littéraire, naquirent de conversations, les jeudis soirs, jour de réception aux Ecrits nouveaux dirigés depuis plusieurs années par Maurice Martin du Gard; conversations au cours desquelles Martin du Gard, Jacques Guenne et Frédéric Lefèvre qu'amène Guenne, et qui est secrétaire de rédaction à l'Homme libre, constatent que les revues répondent mal au désir du gros public, sont trop chères, peu au courant de la vie quotidienne des lettres, lentes à paraître et trop massives. Des maquettes s'établissent. Plusieurs maquettes. Beaucoup de maquettes. Toutes magnifiques. Martin du Gard, Guenne, Lefèvre font en vain la chasse aux Mécènes et leur montrent lesdites maquettes sans parvenir à en séduire un. Les trois amis n'hésitent plus : ils montent une société anonyme, écrivent les statuts et attendent l'argent. Miracle ! Il vient. Oh ! par tout petits, tout petits paquets. Les camarades donnent. L'un prend dix actions, l'autre une, un troisième amène un capitaliste qui en prend vingt, celui-ci intéresse Larousse à l'affaire : les messageries du journal futur sont assurées ; celui-là décide tel éditeur à promettre un minimum de publicité. Tout va bien. Et au début d'octobre 1922, la société est au point : l'argent est là. Le journal part

Aux premiers numéros, figurent les noms de Edmond Jaloux, Benjamin Crémieux, Eugène Marsan, Roger Desvignes, Fran[ci]s de Miomandre, Gilbert Charles — qui assurera la rédaction en chef des trois premiers numéros.— Henri Rambaud. Henry Goulet, Georges Auric, Fernand Divoire. Jacques Dyssord. Paul Lombard. Henri Duvernois, Léon Treich, etc. Bientôt se joignent à la première équipe Robert de Traz, Henri Béraud, Francis Jammes, Paul Souday, J.-J. Brousson. Lugné Poé, André Gide, Cocteau, Mauriac, Drieu la Rochelle, Valery Larbaud, Edouard Répond, Paul Morand, Henry de Montherlant, qui publie dans les Nouvelles littéraires la plus grande partie de son Paradis à l'ombre des épées.

La critique littéraire est successivement exercée par Benjamin Crémieux, Edmond Jaloux (pour les lettres étrangères), J.-J. Brousson. La critique dramatique par Lugné Poé, Maurice Boissard et Fernand Gregh. Chaque numéro contient une Impertinence de Maurice Martin du Gard, un Argument de Jacques Guenne, une Heure avec... de Frédéric Lefèvre. Depuis le 23 février, les Nouvelles littéraires ont une rubrique de Faits divers (potins, échos, indiscrétions, interviews-express, etc.) qui s'étend sur près de trois colonnes. Enfin une Semaine bibliographique très remarquablement faite dresse hebdomadairement la liste complète des volumes parus au cours des huit jours précédents ; et ce n'est pas la rubrique la moins précieuse des Nouvelles littéraires. La critique des poètes — qui fut longtemps faite par Tristan Derême — est aujourd'hui assurée par Lucien Fabre.

Les directeurs des Nouvelles littéraires sont MM. Jacques Guenne (fils d'un industriel parisien, vingt-sept ans) et Maurice Martin du Gard (fils d'un avoué nancéen, vingt-sept ans aussi) ; le rédacteur en chef en est M. Frédéric Lefèvre (trente-six ans) que nous avons eu l'occasion de présenter déjà à nos lecteurs ; le secrétaire de la rédaction est M. René Crevel, dont nous aurons prochainement à reparler et qui donne aux Nouvelles littéraires des critiques de livres brèves, condensées, extrêmement intelligentes.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 197.)