« Le symboliste blessé », Le Quotidien de Paris, n° 793, 15 juin 1982.

LE SYMBOLISTE BLESSÉ

La fin du XIXe siècle, si riche en écrivains se ressent de toutes les influences qui se sont exercées sur la littérature : du romantisme éclaté en symbolisme, de la réaction nationaliste. Mais toutes ces notions sont surtout valables pour les professeurs de littérature. Dans la réalité, les choses sont moins simples ; les influences s'entremêlent, les pollinisations se multiplient à l'infini selon les talents.

La marque de cette fin de siècle, c'est une recherche stylistique un peu précieuse, apprêtée, du mot rare, de la trouvaille de langue, un certain maniérisme qui en poésie donne Heredia, Leconte de Lisle, le Parnasse, et en littérature, Théophile Gautier, Barbey d'Aurevilly, Jean Lorrain, les frères Goncourt et, bien sûr, Remy de Gourmont. Ce sont des écrivains qui, en matière de style, n'ont pas cherché la simplicité. Ils ont truffé leurs phrases de mots rares, d'expressions désuètes qui donnent à leur prose une richesse un peu orientale. Un parfum lourd s'en dégage. Barrès y cédera longtemps avant de revenir à un style direct, dépouillé, qui fait la beauté de ses « cahiers ».

Remy de Gourmont se situe au cœur de la grande opposition de deux traditions littéraires. Il a choisi contre Maupassant, le « style artiste » et à cause de cela, sa lecture est sans doute moins aisée que celle de l'auteur de « Bel Ami ». Lâchons le mot : si talentueux qu'il fût, il a un peu vieilli. Ce n'en est pas moins un grand écrivain.

Maupassant dans la belle préface de son roman « Pierre et Jean » s'est exprimé avec beaucoup de bon sens et d'intelligence sur ce problème de style : « Il n'est pas besoin du vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d' « écriture d'artiste », pour fixer toutes les nuances de la pensée » [...]. « Ayons moins de noms, de verbes, et d'adjectifs au sens presque insaisissable, mais plus de phrases différentes, différemment construites, ingénieusement coupées, pleines de sonorités, et de rythmes savants. Efforçons-nous d'être des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares. »

Ce vaste débat sur le style, Remy de Gourmont le pose, qui s'oppose à Maupassant. Il n'est pas résolu. Le sera-t-il jamais ?

Jean-Marie ROUART

[texte reproduit avec l'aimable autorisation de Jean-Marie Rouart]