Engage Paul Léautaud à prendre la chronique dramatique du Mercure de France :

En 1907 Ferdinand Hérold abandonne la chronique dramatique du Mercure. Remy de Gourmont engage Léautaud à la prendre. Il refuse d'abord. Sur les instances de Vallette, il finit par accepter. Il va collaborer au Mercure et signera ses chroniques Maurice Boissard. [...] Le 2 janvier 1908, Léautaud entre au Mercure, Vallette lui ayant offert une place « de rédacteur, pour ne pas dire employé », à raison de 150 francs par mois. Il restera employé au Mercure, trente-trois ans (Etienne Buthaud, « Basoche et littérature », Mercure de France, novembre 1958, p. 435).

Fait la connaissance d'André Rouveyre.

Fait la connaissance de Blaise Cendrars, qui lui fait découvrir le cinéma :

[...] le lendemain, quand je le rencontrai encore une fois sur les quais, je l'abordai franchement et il me suivit au cinéma, place Saint-Michel. Rémy de Gourmont n'avait encore jamais mis les pieds dans un cinéma ! On y donnait entre autres choses un documentaire sur les chutes du Zambèze et plus que par les porteurs nègres et les négresses Rémy de Gourmont parut intéressé par une branche d'arbre coincée entre deux pierres qui résistait dans le courant et il me demanda si je croyais que les terribles rapides finiraient par l'arracher (Bourlinguer).

Louis Parrot dans son Blaise Cendrars, Seghers, 1948, 1971, note que l'auteur de Bourlinguer fait la connaissance de Gourmont en 1912. J'ai retenu 1907 parce que Cendrars déclare lui-même :

Je ne devais revoir Rémy de Gourmont que sept ans plus tard, à la veille de la guerre de 14, au Café de Flore, comme je l'ai mentionné dans La Main coupée et je lui ai alors raconté comment j'avais tué un lépreux.

Mais peut-être la chronologie de Cendrars est-elle fantaisiste, lui qui déclare, à propos de la rencontre de 1907 que Le Joujou Patriotisme venait de coûter à Gourmont sa place à la Nationale ! Reste à savoir aussi ce que Blaise Cendrars entend par « à la veille de la guerre de 14 ». Quoi qu'il en soit, Remy de Gourmont semble, si on en croit André Rouveyre dans Souvenirs de mon commerce avoir pris goût au cinéma :

J'aimais beaucoup la boxe. Autrefois j'y ai entraîné André Gide. Il ne m'est pas paru qu'il y ait manqué d'intérêt. [...] J'aurais voulu mener Gourmont à ces combats singuliers. Souvent je le tentais ; il m'écoutait bien, mais ne venait jamais. Pour ses soirées récréatives il aimait mieux le cinéma.

Eléments à verser au dossier de la datation (sans carbone 14) de la rencontre Gourmont-Cendrars :

En 1908, Rémy de Gourmont me disait qu'en consacrant deux heures par jour à la lecture, à une lecture systématique, on épuiserait non seulement la Bibliothèque Nationale en moins de dix ans, mais encore qu'on aurait fait le tour de toutes les connaissances humaines, tellement les livres se répètent, les auteurs se copiant les uns les autres au point que des secteurs entiers de l'univers des imprimés sont inutiles et que des pans entiers du continent que forme cette immense bibliothèque avec ses millions et ses millions de volumes s'effondrent quand on y fait son trou avec l'entêtement et l'appétit d'un rat ou d'un ver intelligent !...

J'ai rapporté du front de la guerre de 1914 une habitude de soldat qui est de me lever avant l'aube et de me mettre immédiatement au boulot. Il est vrai que je n'astique pas des armes : J'écris. Et me remémorant l'avis de Rémy, de Gourmont, j'écris deux heures par jour. Deux heures qui ne doivent rien à personne. Ceci fait, je suis libre, libre pour toute la journée, et je puis flâner, rêvasser, perdre, perdre mon temps à cœur que veux-tu, imaginer des romans, lire peu ou à en perdre le souffle, jouir de la paresse qui est le fond de mon ternpérament, ne me refuser à aucune aventure ou entrer en contemplation et rompre les liens qui me rattachent au monde, voire à ma propre vie... (Blaise Cendrars, L'Homme foudroyé, Éditions Denoël, 1945, p. 294-295)

Il semblerait si c'est bien Cendrars qui a fait découvrir le cinéma à Gourmont que cette rencontre ait eu lieu en 1906 (ou avant) : dans le 368e épilogue du 1er septembre 1907 intitulé « Cinématographe » Remy de Gourmont déclare que, l'année précédente, le cinématographe le « renseigna, mieux que les récits confus des voyageurs, sur le Maroc ». Dans ce même épilogue, il est question des chutes du Zambèze évoquées ci-dessus par Cendrars :

Le cinématographe rend à merveille les paysages. Il me montrait hier les Montagnes Rocheuses, les chutes du Zambèze : le vent courbait les sapins ; l'eau bondissait. On voit la vie remuer. Au Zambèze, sous l'effort d'un remous, un petit arbuste, poussé au bord de l'abîme, s'agitait constamment, et ce tremblotis, venu de si loin se montrer à moi, me donnait je ne sais quelle émotion. Je m'intéressais à sa lutte ; quand on nous redonnera une nouvelle vue de cette prodigieuse mer d'écume, je chercherai cet arbuste courageux qui résiste à la puissance du fleuve : peut-être aura-t-il vaincu, peut-être sera-t-il vaincu, peut-être sera-t-il devenu un arbre (« Cinématographe », Épilogues. Vol. complémentaire, 1913).

Mais Remy de Gourmont et Blaise Cendrars se sont-ils vraiments rencontrés ?

Cendrars avait une nature d'archiviste. Comme Remy de Gourmont, il voulait tout savoir. II ne connaissait pas personnellement Gourmont, et il était trop timide pour l'approcher, mais il savait que cet ermite de la rue des Saints-Pères faisait tous les jours une promenade sur les quais, s'arrêtait devant chaque bouquiniste, et terminait son trajet à la terrasse du café les Deux Magots. Quand Cendrars avait des sous, il se postait toujours à la terrasse pour l'observer. Il nous déclara un jour, après la lecture des Promenades littéraires : « Cet homme m'a tout volé, tout ce que je pouvais savoir. Partout où je me traîne, il est déjà passé avant moi, et il a ramassé tout ce qu'il y avait à apprendre. Cet homme est un désastre pour moi, et surtout, surtout parce qu'il a découvert avant moi Villon et Lautréamont. » Cendrars caressait le mythe d'être un « découvreur » (E. Szittya, « Logique de la vie contradictoire de Blaise Cendrars », Mercure de France, mai 1962).

Juin ?- juillet :

A ses deux passages dans la capitale, M. et Mme Arthur Fontaine le [Francis Jammes] reçurent et réunirent chez eux ses meilleurs amis parisiens, Odilon Redon, André Gide, Charles Lacoste, Maurice Denis, Raymond Bonheur et Jean de Gourmont (20). (Robert Mallet, Francis Jammes, sa vie, son œuvre, Mercure de France, 1961, p. 246).

(20) En juillet 1907, Jean de Gourmont écrivit à Fr. J. : « Je me souviendrai aussi des quelques mots que vous m'avez dits, de la sympathie toute spontanée que vous m'avez témoignée et qui m'a fait aller vers vous comme un ami de vieille date. » (Lettre inédite communiquée par Mme Fr. J.)

Septembre : voyage à Rouen :

1er septembre 1907.

C'était bien curieux d'entendre, à Rouen, le bon public des samedis applaudir aux gestes des personnages chimériques, leur prodiguer des conseils de prudence, honnir le malfaiteur. Pour un peu ils auraient jeté des morceaux de sucre aux bons chiens fidèles, qui jouent fréquemment un rôle sympathique dans ces jeux innocents. Telle est la puissance de l'illusion qu'une photographie projetée sur un écran peut, tout aussi bien que la réalité, émouvoir nos passions (« Cinématographe », Épilogues. Volume complémentaire, Mercure de France, 1913).

M. Remy de Gourmont nous apprend qu'il est allé à Croisset voir passer les bateaux. Il songeait alors que Flaubert n'a pas fait sentir dans ses livres la poésie de son admirable pays natal. (R. de Bury, pseudonyme de R. G., Mercure de France, n°249, 1er novembre 1907, p. 152).