« La petite ville est agréable à contempler. On la voit de partout et c'est toujours la même île de pierres accumulées émergeant d'une mer de verdure. D'entre les pierres, il surgit quelques rocs sveltes et dentelés ; ce sont les flèches de ses églises, jadis phares des âmes. De toutes ces pierres, à des heures, tombe la voix des cloches. L'air limpide se résout en musique... »

Telle est la vivante description que fit naguère de Coutances – où se forma son cerveau – le regretté Remy de Gourmont. Et la « petite ville », fière à juste titre de son grand homme, lui éleva l'autre dimanche, sous la présidence de M. Henri de Régnier, un buste qui se reflète au bord des eaux calmes d'un bassin rond, dans le jardin public.

Ce fut une belle cérémonie. Le maire actuel de Coutances, ancien condisciple de Remy de Gourmont, prodigua les trésors de son admiration fervente. Trois jours durant, la ville fut pavoisée. On organisa une fête champêtre. De jolies Normandes, entourées de feuillages et de fleurs, trônaient, souriantes, sur des chars symboliques : « l'Arbre » et « la Rose », thèmes de l'œuvre de l'écrivain. On joua l'une de ses pièces : L'Ombre d'une Femme ; des artistes de Paris lurent de ses poèmes, et Louis Dumur lui consacra une conférence d'une haute portée littéraire. Au cours de ces manifestations, un avion survola la cité ; Louise Faure-Favier, qui se trouvait à bord, inonda Coutances en liesse et toute la région de cartes postales représentant le très beau buste dû au talentueux ciseau de Mme Suzanne de Gourmont. L'aviatrice lança également sur la terre normande de nombreuses feuilles sur lesquelles on lisait ces vers :

La Forêt (1)

O Forêt, toi qui vis passer bien des amants
Le long de tes sentiers, sous tes profonds feuillages,
Confidente des jeux, des cris et des serments,
Témoin à qui les âmes avouaient leurs orages !

O Forêt, souviens-toi de ceux qui sont venus,
Un jour d'été, fouler tes mousses et tes herbes,
Car ils ont trouvé là des baisers ingénus
Couleur de feuilles, couleur d'écorces, couleur de rêves !

O Forêt, tu fus bonne, en laissant le désir
Fleurir, ardente fleur, au sein de ta verdure.
L''ombre devint plus fraîche : un frisson de plaisir
Enchanta les deux cœurs et toute la nature !

O Forêt, souviens-toi de ceux qui sont venus,
Un jour d'été, fouler tes herbes solitaires
Et contempler, distraits, tes arbres ingénus
Et le pâle océan de tes vertes fougères !

REMY DE GOURMONT.

C'est la première fois, croyons-nous, que des vers tombent ainsi du ciel. On ne pouvait rendre un plus bel hommage au noble Remy de Gourmont...

(1) Poème recueilli dans Divertissements sous le nom de « Les Fougères » et rebaptisé pour l'occasion « La Forêt » [note de M. L.].

Les Annales politiques & littéraires, n° 2050 – 8 octobre 1922 – pp. 367-368

[article entoilé par Mikaël Lugan, mars 2005]


A consulter :

La Mouette, n° 59, novembre 1922, pp. 266-268