LES JOURNAUX

M. Jacques-Emile Blanche, critique littéraire (Echo de Paris, 15 avril). — « La Révolte des Anges d'Anatole France » (L'Action Française, 5 avril). — Il existe une littérature républicaine (Les Nouvelles, 9 avril).

M. Jean-E. Bayard enquête s'il existe une littérature républicaine, et il interroge les écrivains. La question est moins indiscrète que celle que vient de nous poser M. Emile Zavie : « Votez-vous, ou ne votez-vous pas ? » En ces temps de patriotisme intense et de « renaissance nationale », on serait mal jugé si on avouait son indifférence pour l'isoloir électoral... Mais y a-t-il une littérature républicaine ? Pas plus, je pense, qu'il n'y a de république littéraire. Voici ce que M. Remy de Gourmont, interrogé à ce sujet, a répondu à M. J.-E. Bayard, qui publie ces lignes dans Les Nouvelles :

Non, je ne suis pas partisan de l'intrusion de la politique en littérature. D'ailleurs, on irait loin pour en trouver trace dans l'œuvre de Mallarmé et de Flaubert. La littérature vraiment éprise d'art doit se placer au-dessus des questions politiques. L'Art Social est un mot admirable de Tolstoï ! Mais que signifie-t-il s'il fait abstraction de la beauté ? Je crois que l'art se suffit à lui-même et qu'il n'a pas besoin pour cela d'être social, et je vous avoue que je ne comprends pas la question sociale en littérature. Quant aux tendances de la littérature présente, elles ne m'apparaissent pas spécialement marquées. Aussi, le roman me semble-t-il particulièrement romanesque. Je vois, en Rosny aîné un esprit libre que j'admire ainsi que Mirbeau. Rosny atteint la vérité au plus haut degré.

En poésie, on chante surtout le catéchisme ou si vous préférez les chants chrétiens. Enfin, je tiens le théâtre comme n'appartenant guère à la pure littérature. Je goûte fort cependant les sûrs talents de l'Abbaye avec Arcos, Duhamel et d'autres poètes vraiment doués. J'estime beaucoup les œuvres de Bouhélier et Jules Romains.

La littérature présente, donc, n'affirme pas d'idées bien définies. Aussi, y remarque-t-on les courants les plus divers. Aujourd'hui, elle n'est plus vouée à la politique et à la religion, bien que les esprits actuels soient moins libres. L'école nationaliste ne m'inquiète pas à cause de la politique. En outre, je constate avec plaisir que les poètes ne marchent pas à la remorque des prosateurs. Ainsi, je reçois, à l'instant de M. François Bernouard, un ouvrage intitulé le Bonheur du jour, dans lequel l'auteur proteste contre la poésie païenne.

A ce sujet, je m'associe pleinement à la campagne entreprise par les Marges et Montfort, contre ce courant littéraire. Grâce à eux, je demeure persuadé que le premier livre présenté à la bourgeoisie l'enchantera. L'Académie et ses prix littéraires nuisent en effet aux productions des jeunes écrivains dont ils condamnent l'initiative et l'inspiration. Je voudrais qu'ils écrivissent dans un but désintéressé. Et, à l'instar des Marges, je me demande si Baudelaire et Flaubert revenaient quelque jour, l'accueil que l'Académie leur réserverait !

M. Remy de Gourmont présente ensuite sa manière et ce qu'il se propose dans ses productions littéraires.

J'écris pour l'art, sans me préoccuper de la politique que je veux totalement ignorer, j'aime la science dont j'affectionne assez l'intrusion dans mes romans. Enfin, je donne à la philosophie une place importante. Je recherche encore la discussion des idées et je ne prétends pas enseigner, car souvent l'auteur est mal compris. J'estime qu'on pourra tirer les conclusions que l'on voudra de ce que j'écris. Je ne vois rien au delà du plaisir d'écrire pour l'art, car j'écris spontanément et librement. Enfin, laissez-moi vous dire que l'on se trompe quand on croit que l'écrivain a les opinions du journal dans lequel il donne des articles : c'est un raisonnement puéril. A mon sens, les journaux radicaux sont les seuls qui laissent entière liberté à leurs collaborateurs.

Tandis que la littérature évangélique et spiritualiste achève sa floraison, un renouveau de paganisme se dessine. C'est la littérature de demain. Je dis cela pour que les jeunes ne se fourvoient pas dans une galère qui va sombrer.

(R. de Bury, Mercure de France, 1er mai 1914, p. 173-174)