On a vendu aux enchères la bibliothèque de M. Jules Claretie. C'était une très belle bibliothèque, contenant plusieurs milliers de volumes, qui vont aller garnir les rayons d'autres bibliothèques, aussi peu stables.

M. André Billy s'est amusé, dans l'Œuvre, à noter quelques dédicaces de ces volumes. La dédicace est caractéristique à la fois de l'auteur et de celui auquel il adresse son livre :

« Et d'abord, une remarque générale : la personnalité de Jules Claretie n'inspirait guère les signataires de dédicaces. Ceux-ci admiraient sans aucun doute son grand talent et son caractère solidement trempé, mais ils préféraient, pour la plupart, l'assurer soit de leur reconnaissante amitié, soit de leur sympathie. Seul, M. Paul Adam (n° 62) use d'une formule frappante en lui offrant sa « parfaite dévotion ». Victor Hugo, lui-même, spécialiste en dédicaces sensationnelles, ne fit à Jules Claretie aucun envoi que les éditeurs du catalogue aient jugé digne d'être retenu. Et quant à Barbey d'Aurevilly, nous devons nous contenter de cet hommage : « A Monsieur Jules Claretie qui, le premier, a parlé généreusement de ce livre inconnu (Memoranda), son reconnaissant attardé, mais qui n'oublie rien », et de cet autre, plus pittoresque, il est vrai : « Ne se toucher que par des livres quand on voudrait se toucher la main ! » Feu Claretie fut-il donc si avare de ses poignées de main ?

D'Anatole France, une simple carte de visite est jointe à un exemplaire de Crainquebille. Sur les autres livres du maître, rien, ou tout au plus un envoi autographe. Voici, pourtant, un faux-titre des Noces Corinthiennes : « A Monsieur Jules Claretie, hommage sympathique. » Anatole France, ce jour-là, était bien disposé.

Voyons un peu Jules Lemaître. Mariage blanc : « A Jules Claretie, souvenir affectueux et profondément reconnaissant. » Pour le reste, aucune indication.

Même aridité de la part de Catulle Mendès : des envois autographes, sans plus. Par bonheur, Octave Mirbeau vient relever l'intérêt de notre recherche. Sur Les Affaires sont les Affaires : « A Jules Claretie, à qui je dois la meilleure émotion de ma vie et ma joie. En admiration et en amitié. » Voilà qui est parler ! Notez que nous sommes en 1903. En 1904, Mirbeau écrit à Claretie : « Cher ami, voulez-vous acceptez [sic] cet exemplaire sur Hollande du Calvaire ? Il n'a pas d'autre mérite que d'être introuvable. Et je serai très fier qu'il prenne place dans votre belle bibliothèque. Vous voyez que je suis un affreux intrigant... un intrigant qui vous aime bien. » Cet amour donne le frisson. Mais que s'est-il donc passé après 1904 ? La 628-E 8, qui est de 1907, s'orne d'un envoi de M. Fasquelle, l'éditeur, qui fait rêver : « Avec l'instante prière que ce volume ne quitte pas le domicile du destinataire. » Qu'est-ce à dire, et l'envoi aurait-il été fait en cachette de l'auteur ? Toujours est-il que, de son côté, Mirbeau n'omettait pas d'adresser son livre à Claretie (n° 982), mais le catalogue mentionne sèchement un envoi autographe. Elles sont loin « la meilleure émotion de ma vie et ma joie ». Enfouies sous les cendres du Foyer...

Le catalogue reproduit une dédicace de M. Capus tout empreinte de politesse. Mais il ne nous dit pas en quels termes s'est exprimé M. Clemenceau pour envoyer à Jules Claretie son Voile du Bonheur. Même discrétion en ce qui concerne François Coppée, exception faite d'un sonnet dont voici les six derniers vers :

Cet exemplaire survivra.
Sonnet, dessins et cætera
Nous en donnent la garantie.

Avant que les vers s'y soient mis,
Il dira longtemps, Claretie,
Que nous étions de bons amis.

Après Coppée, Rostand, dont ce quatrain sur un exemplaire des Musardises :

A Monsieur Jules Claretie.

Il y en eut cinq cents, Lemerre en vendit trente.
Ensuite, j'en donnai. Plus tard on m'en vola !
S'il n'en restait que deux, j'en mettrais un en vente.
Mais il n'en reste qu'un : vous aurez celui-là !

EDMOND ROSTAND
28 septembre 1900.

Il y a d'autres vers dans le catalogue. Les plus nombreux sont ceux de Théodore de Banville.

Une dernière citation. Elle est de Maupassant, et tirée d'une lettre où il prie Claretie de lui « rendre l’Histoire du vieux temps, pièce acceptée depuis un an par le directeur du Théâtre-Français et qui n'a pas encore été présentée au Comité ». Pas content, l'auteur de l’Histoire du vieux temps !

Et, à propos de ces dédicaces qui donnent ou ajoutent une valeur à un volume, il serait amusant qu'un érudit écrivît l'historique de cette maladie. En usait-on, en abusait-on déjà, au XVIIIe, au XVIIe siècles ? Je me souviens que sur les trois cents volumes qu'un poète étranger et chef d'une école qui fit du tapage à ce moment-là envoyait à la critique et à ses amis, l'auteur très enthousiaste avait écrit, invariablement : Hommage d'admiration. — Humblement, Pierre Loti se montra surpris de l'hommage pourtant justement mérité. Tous les autres empochèrent l'admiration sans hésiter.

R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, 16 février 1918, p. 690-691.


Envoi de Remy de Gourmont à Jules Claretie, figurant dans un exemplaire non coupé d'Une nuit au Luxembourg :


Au plus offrant. — Les trésors qui composaient la bibliothèque de Jules Claretie se trouvent maintenant répartis entre les mains d'amateurs sérieux et de nouveaux riches qui voudraient le paraître. Des livres et des manuscrits, se vendaient surtout. Mais pas seuls pour la plupart. Les choses les plus diverses en rehaussaient le prix — et les prix.

Par exemple :

Des obsèques d'Emile Augier, « une lettre de faire-part ».

De M. François de Nion, « un joli portrait de l'auteur ».

De M. Paul Bourget, un dessin à la plume avec ce titre : « Caricature de ma maison de Costabelle : Le Plantier. »

De M. Miguel Zamacoïs, « une jolie aquarelle originale ».

De Barbey d’Aurevilly, une carte de visite avec sa signature éclatante autant que tourmentée.

Il y avait, aussi, des dédicaces et des lettres. Dédicaces qui sont, les unes un simple envoi d'auteurs, les autres des vers inédits, parfois de délicieux poèmes.

Heredia envoyait à Claretie Les Trophées,

En souvenir de nos premières armes.

M. Francis Jammes note pieusement — très pieusement — sur ses Géorgiques Chrétiennes :

Orthez, Basses-Pyrénées, le dimanche des Rameaux de l’an 1912. Anniversaire du jour où Dieu lui-même a connu l'amertume des palmes.

Pour ses Odes funambulesques, Banville compose des quatrains qui sont de sa meilleure verve. Voyez celui-ci :

Sans pitié pour son falbalas,
J'ai saisi la muse au col. L'ai-je
Bien embrassée ? En ce temps-là
Vous étiez encore au collège.

Avec les Epaves, de Sully-Prudhomme, figure une aquarelle avec au-dessous ces vers de la main du poète :

Dumanet, en bras de chemise,
La pipe aux dents semble songer
Que peut-être au loin sa payse
S'amourache de Boulenger.

Il y a encore des lettres. Victor Hugo écrit à Méry :

... Vous faites des merveilles pendant que nous faisons des ordures, sous lesquelles cette hideuse politique m'engloutit [année 1835].

Les Goncourt sollicitent de Claretie un article sur Maison d'un artiste. Ils avouent :

C'est dur la vente d'un livre en deux volumes.

Au Clou d’Or de Sainte-Beuve s'ajoute une lettre de Jules Troubat, son secrétaire, révélant que l'héroïne est « Madame d'Arbouville, une des grandes passions de Sainte-Beuve et sa meilleure amie pendant dix ans. »

Cette lettre d'André Lafon, mort sous les drapeaux, au moment qu'il adressait à Claretie L’Elève Gilles grand prix de l'Académie Française :

Mon service à Sainte-Croix et les mille besognes qu'y ajoute cette gloire inopinée que vous avez si aimablement contribué à m'obtenir me font presque peur, et je mourrai si d'ici huit jours je ne suis pas oublié.

Cette lettre de Glatigny à Claretie :

J'ai été contraint encore une fois de quitter Paris et cela pour me faire souffleur... Je dois vous avouer que je n'ai trouvé ni calme ni appointements dans mon trou de souffleur... Je veux sortir de là. J'ai passé l'âge des vagabonderies imbéciles et je n'aime plus les viandes creuses.

Cette lettre de Ludovic Halévy à Claretie, avec Un Scandale :

Cher ami. Un Scandale est une nouvelle qui a dû paraître en 1860 dans le Monde Illustré. Il y a de cela 22 ans. Je ne l'ai jamais relue et je ne sais pas trop ce que c'était.

Mais qu'est-ce que tout cela auprès de ce joyau : des feuilles, des feuilles du saule de la tombe de Musset ajoutées à la Confession d'un enfant du siècle.

Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière...

implorait le poète. Il ne prévoyait pas, alors, que des feuilles du saule qu'il rêvait le gardien de son dernier sommeil s’envoleraient au souffle des enchères de l’Hôtel des ventes.

« Echos », Mercure de France, 16 février 1918, p. 763-765.

A consulter :