Fernand Divoire, par Don (L'Ami du lettré pour 1924)

clic

Les courriéristes littéraires

Quelle que soit la hardiesse des artistes nouveaux, il faut que vous connaissiez leur œuvre, parce que, lecteurs, vous êtes des arbitres qui parlez volontiers de la dernière pièce et du dernier livre et qui en jugez souverainement. Il ne s'agit, somme toute, que d'étudier le dossier avant de juger.

Devant une œuvre d'art sincère, il y a deux choses qu'il ne faut jamais faire : rire et se scandaliser. La sincérité d'effort n'est pas tout l'art pas plus qu'elle n'est la science ; elle ne sert qu'à la discrimination des artistes ; les artistes ont foi en l'art ; les autres, les pauvres de la foi, obéissent à des mobiles trop humains pour qu'ils puissent espérer devenir jamais des artistes. Le difficile est de reconnaître l'artiste sincère, ou la femme vertueuse ; mais, dans le doute, ne soupçonnez ni la vertu de la femme ni la sincérité de l'artiste.

Ainsi débute le Petit rapport sur les tendances nouvelles de la poésie que rédigea, pour les lettrés, Fernand Divoire en 1921. Cette courte citation dit assez dans quel esprit admirablement libéral Divoire dirige ce courrier des Treize dont nous parlions hier. Et mieux qu'aucune autre, elle nous aidera à présenter aujourd'hui le président de l'Association des courriéristes littéraires.

Né à Bruxelles le 10 mars 1883, Fernand Divoire a publié son premier article à la Nouvelle Revue, son premier poème aux Essais, où il collabore avec J.-L. Vaudoyer, R. de Traz, Maurice Heine, etc. son premier livre, Cérébraux, chez Figuière (1906). Dans les dialogues de Cérébraux, il nous montre quatre voyageurs en marche vers le bonheur. L'un s'arrête à la ville de plaisir, l'autre à la ville d'argent ; le troisième atteint la ville d'amour et de beauté « que certains disent être le lieu de l'art parfait ». Le quatrième, continuant désespérément sa route, arrive enfin au pays des formes sans pensée, mais il y meurt de fatigue physique...

Successivement Divoire publie des vers, Poètes (1908), puis Faut-il devenir mage ? (1909), Metchnikoff philosophe, qu'il accable terriblement, et des poèmes, la Malédiction des enfants (1910), la Danseuse de Diane (1911), à la gloire d'Isadora Duncan, la célèbre Introduction à l'étude de la stratégie littéraire à laquelle il prépare une suite (1912), de nouveaux vers : L'Amoureux (1912), Ames (1918), les Fables d'Orphée (1922), le Discours des enfants (1923), Voué au soleil (1923). Au théâtre, Divoire a donné en juin 1917 aux Champs-Elysées une émouvante Exhortation à la victoire, et à l'Odéon le 14 février 1919 une prose symphonique, Naissance du poème.

Il va faire représenter prochainement des « œuvres simultanées » qu'on dit fort curieuses : Marathon, Poème des amis et des ennemis. Commentaires du Pater. Crès enfin publiera au printemps sa Découverte sur la danse que nous avons lue au cours des mois de 1923 dans la Revue de France.

Fernand Divoire, qui est secrétaire général de la rédaction à l'Intransigeant, sera le rédacteur en chef du Journal littéraire dont on annonce la publication pour avril et qui paraîtra sous forme de supplément aux grands régionaux.

Que si nous posons maintenant à ce courriériste modèle quelques indiscrètes questions, il nous répondra sans l'ombre d'une hésitation :

— Le courrier littéraire doit d'abord être quotidien. Hebdomadaire, il reste régulièrement sur le marbre... La publicité littéraire ? elle a pour principal résultat d'étouffer les livres sans publicité, mais elle n'a jamais réussi à créer un mouvement véritable, à faire naître de l'admiration pour un livre ni pour un auteur... Quant aux prix littéraires, il y en a trop et pas assez. Trop pour les romans, inédits ou non. Pas assez pour les poèmes, les livres d'histoire, de critique, etc. Les livres qui, depuis quinze ans, m'ont le plus étonné ? Le Grand Meaulnes d'Alain Fournier et Terres de silence d'Edward White.

Et, souriant, Fernand Divoire de replonger sa barbe blonde et fine dans un Intran encore tout mouillé d'encre fraîche... Nous le retrouverons dans sept ou huit mois quand écrivains, critiques, courriéristes et lettrés se réuniront pour fêter le quinzième anniversaire de la naissance des Treize...

Almanach des lettres françaises et étrangères,
Editions Georges Crès, samedi 12 janvier 1924, p. 45.


Les courriéristes littéraires

Les Treize de l'Intransigeant

Le courrier littéraire auquel chacun est aujourd'hui bien habitué n'est point une création tellement ancienne qu'il soit nécessaire de grandes recherches pour en préciser les débuts. Sous sa forme actuelle, quotidienne, il n'est né que le dimanche 21 novembre 1909, dans l'Intransigeant, sous la signature Gutenberg et le titre le Libraire du coin. Auparavant, plusieurs tentatives plus ou moins désordonnées ou rapides (de Camille de Sainte-Croix dans la Bataille, puis dans la Révolution, de René Barjean ; de Paul Alexis dans le Cri du peuple ; de Raoul Aubry dans le Gil Blas, etc., etc. méritent à peine d'être retenues. C'est en vérité Fernand Divoire qui — Léon Bailby régnant — inaugura le courrier littéraire. Il y a loin, il faut bien le dire, de cette première rubrique à celle que nous donnent quotidiennement les Treize de 1924. Reproduisons in extenso le courrier du 21 novembre 1909 :

LE COIN DU LIBRAIRE

La nouvelle du jour, chez les écrivains jeunes et moins jeunes, c'est que l'Intransigeant leur gardera chaque jour ici un petit coin. Plusieurs de nos collaborateurs y diront ce qu'ils savent des faits et gestes de la gent de lettres. On peut les aider.

Dans trois ou quatre jours paraîtra — encore — une revue nouvelle : l'Ile sonnante. Y collaboreront : Charles Callet, Roger Frêne, Louis Mandin, Louis Pergaud, Michel Puy, etc. Cela sera à peu près la vingtième depuis un an.

Les jeunes sont mécontents de leur consœur Schéhérazade. Ils disent que cette estimable patronne de revue a déjà réussi à se vendre des milliers de fois, que ce n'est pas étonnant car elle recourt à des messieurs et dames riches, et les jeunes ont l'horreur des personnes riches qui se mêlent de littérature. On cite même des millionnaires qui collaboreraient à l'entretien de Schéhérazade pour se voir imprimer. Ah ! les confrères !

Pour se consoler, on donne de fort mauvaises nouvelles de l'autre revue, celle qui était la plus élégante avant la nouvelle revue, celle qu'on accommodait « à la grecque », vous savez bien...

M. Lucien-Alphonse Daudet a donné ce matin sa première chronique à l'Action. M. Lucien-Alphonse Daudet, jeune romancier de talent, qui écrit à l'Action de M. Béranger, est le frère de M. Léon Daudet, polémiste de talent et de fougue, qui dirige l'Action française. Mme Alphonse Daudet, mère des deux écrivains, publie ce matin un livre de notes bien intéressantes : Souvenirs autour d'un groupe littéraire. On voit qu'Alphonse Daudet, le grand romancier trop tôt disparu, a laissé aux siens le goût des Lettres françaises... — Gutenberg.

La signature, depuis fameuse, des Treize apparaît le 24 novembre. Le titre le Libraire du coin devient dans le numéro du 3 décembre le Coin du libraire. Au début de 1910, le Coin du libraire se transforme en la Boîte aux lettres, titre qui vit jusqu'aux premiers jours de la guerre où il disparaît pour céder la place au titre actuel : Les Lettres.

Quels sont aujourd'hui les Treize ? Ils restent jaloux du mystère qui les entoure et nul, leur chef Divoire excepté, ne pourrait, croyons-nous, en dresser la liste exacte. La vérité est d'ailleurs que ces Treize ne sont presque jamais treize, mais neuf, dix, onze... Parmi les plus actifs, citons Léon Deffoux, René Bizet, Emile Zavie, René Groos. Parmi ceux qui en furent : Louis Thomas, Alain Fournier, Jean Pellerin, Ernest Gaubert, André Dupont, André du Fresnois, etc.

Le courrier des Treize comprend aujourd'hui cent à cent cinquante lignes quotidiennes en petit caractère (7 et 6), sans titres et presque sans interlignes. C'est un des plus fournis — le plus régulièrement fourni en tout cas avec celui, tout récent, des Académisards — de la presse quotidienne. Les revues y sont suivies avec un soin parfait et les livres analysés avec une sobriété, une mesure et une impartialité remarquables. Le courrier des Treize reste, en vérité, le modèle du genre.

Almanach des lettres françaises et étrangères,
Editions Georges Crès, vendredi 11 janvier 1924, p. 41.

A consulter sur Livrenblog : Fernand Divoire :

I La bibliographie

II Suite

Fernand Divoire, par Alexandre Tretiakoff

Bois gravé par Alexandre Trétiakoff, in Choix de poèmes de Fernand Divoire, préface de Paul Jamati, Eugène Figuière, s. d.