Les Poèmes

Adonis
(Chœur des filles de la nuit)

Comme la grève aime la mer
Chanteuse et sa voix surhumaine,
Comme l'Automne veut l'Hiver
Qui le roi Printemps nous ramène,
Comme, au choc sonore des faux,
De pressentir une semence
Nouvelle et des jours triomphaux
Se réjouit la plaine immense,
Ainsi la Vie aime la Mort
Pour que ressuscite la Vie,
Et l'une en l'autre est assouvie
Et l'autre lui rend son essor.

O Vie, à ton mystique appel,
Tout frémit dans la nuit moins dense,
Où ne paraissait qu'ombre et gel
Un cœur vivant bat sa cadence.
Comme on voit un serpent lové
Dans un enroulement perfide
D'une détente soulever
Sa tête plate au dard bifide.
Telle, cruelle, et sans effroi,
Tu jaillis, forte entre les fortes,
Et l'Hadès aux funèbres portes
Ne prévaudra pas contre toi.

Ainsi, de la Vie à la Mort,
Et puis de la Mort à la Vie,
Sans que jamais leur main dévie
Et se rompe la chaîne d'or,
Les Vierges aux doubles fuseaux
Surveillent la trame funeste,
Et sur l'ordre de leurs ciseaux,
Attentif à leur moindre geste,
Le vierge, l'immortel Eros,
Pour créer des formes nouvelles
Détruit de ses mains criminelles
Ce qui fut Chair, ce qui fut Os.

En vain de nos bras acharnés,
De nos mains berceuses de fièvres,
Du Léthé profond de nos lèvres
Et de nos seins abandonnés,
En vain, plaintives de nos chants
Où s'attarde, tel en un rêve
L'or agonique des couchants,
Un long vouloir d'amour sans trêve,
Dans la nuit froide du tombeau,
Au rythme de nos danses calmes,
Prêtresses porteuses de palmes,
Nous retenons ce qui est beau.

(Charles Foix, Trilogie, Jonquières).

[Né le 28 février 1882, à Salies de Béarn, fait ses études à Orthez, puis à Paris. Médecin. Découvre Verlaine à seize ans et reçoit le choc décisif. Admire Villon, Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud et, bien entendu, quelques autres. A écrit ses premiers vers à douze ans, mais n'a cessé de brûler ses manuscrits qu'à trente ans. Bel exemple ! La Trilogie est sa première œuvre publiée. Dans deux mois paraîtra une Prométhéide, dont l'action dramatique sera plus touffue et les tableaux plus variés. A encore dans ses cartons, et publiera dans l'ordre : des poèmes détachés, un petit volume de poèmes en prose, une tragédie, les Bassaides (consacrée au mythe d'Orphée déchiré par les Bacchantes), une Sappho, un David, une courte Résurrection de Lazare. Prépare enfin un Chant de la France, poème didactique selon la formule lucrétienne, de 1400 ou 1500 vers, et une Béatrice Cenci.]

(Almanach des lettres françaises et étrangères, sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 2)

A consulter : Nécrologie