Actualités et souvenirs

Le prix des méconnus

M. Tristan Dereme ouvre dans l'Eclair, sous ce titre une enquête pour couronner un roman publié depuis vingt ans, qui passa inaperçu et qui cependant eût mérité les plus hautes récompenses.

Tous les écrivains envoient des réponses dont beaucoup ont de l'intérêt.

On a parlé du Grand Méaulnes, d'Alain Fournier, de J.-A. Nau, de Rémy de Gourmont. Rachilde et M. Han Ryner ont proposé leurs propres ouvrages.

On a plaidé la cause de Consolata, fille du Soleil, auquel nous préférons encore le Kilomètre 83, du même Henri Daguerches, qui publia trois romans (le troisième est Monde, Vaste Monde) et, sous le coup d'un chagrin violent mit entre ses contemporains et lui la muraille de ces forêts d'Indo-Chine qu'il a si admirablement évoquées.

Mais à côté de pieuses pensées pour les camarades malchanceux qui, cependant, avaient, eux aussi, du talent, que d'oublis !

Nul n'a parlé de Ch.-T. Philippe, de Jean de Tinan et de son tendre et amer roman Penses-tu réussir ? Pas un livre de Toulet n'est cité, et cependant que peut-on mettre au-dessus du Mariage de Don Quichotte ?

On eût aimé voir soutenir aussi la cause d'un autre romancier colonial, Emile Nolly (capitaine Detanger mort à la guerre en nous laissant Hien le Maboul et la Barque annamite, — celle d'Art Roe, mort au feu aussi, auteur du Pingot et Moi et de Sous l'Etendard, — celle de Boissière, le gendre de Roumanille, pour ses visions puissantes, réunies sous le titre : Fumeur d'Opium.

Pensera-t-on, d'ici la fin de l'enquête, à cette autre disparue, Yvonne Vernon et à ses souvenirs d'Extrême-Orient ?

Que de noms on voudrait citer encore : Pillet, l'auteur des Oraisons amoureuses de Jeanne Aurélie Grivolin ; François Baron, poète de la guerre, dont la mort au champ d'honneur a clos le grand chant d'amour ; et le délicieux J.-A. Coulanghéon, dont l'Inversion sentimentale révèle la sensibilité rare, la tristesse fière, le goût délicat et qui lui aussi disparut en laissant trois chefs-d'œuvre que, seuls, quelques lettrés connaissent.

FURET.

(La Revue française, 2 septembre 1923 p. 261.)


Jeudi 31 janvier 1924

Les prix littéraires

Le prix des méconnus

C'est un article de Léon Daudet (Action française du 8 août 1923) qui mit tout en branle. Léon Daudet demandait qu'un prix littéraire fût créé qui serait attribué chaque année au meilleur roman méconnu d'il y a trente ans. Et M. Daudet citait comme type de roman méconnu Galafieu d'Henry Fèvre. Sur cette idée — qu'avaient au reste soutenue, avant M. Léon Daudet, mais sous une forme légèrement différente, M. Pierre Valdagne et M. Georges Le Cardonnel, — Tristan Derême ouvrit dans l'Eclair une enquête dont on peut dire qu'elle fut la plus importante, la plus réussie de l'année. A qui, demanda Derême aux gens de lettres, à qui décerneriez-vous le Grand Prix des méconnus ? Les réponses aussitôt affluèrent, si bien que l'Eclair, qui pensait finir cette enquête dans les derniers jours d'août, dut la poursuivre jusqu'à la deuxième semaine d'octobre, en lui consacrant chaque jour deux ou trois colonnes. Derême reçut 497 réponses. C'est le Grand Meaulnes d'Alain Fournier qui arriva en tête, suivi de près par Louis Codet, Maurice Beaubourg, Henry Fèvre, etc.

Restait à fonder le prix réclamé par M. Léon Daudet. C'est encore l'Eclair qui s'en chargea. Il dota le prix des Méconnus d'une somme annuelle de 5 000 francs et constitua un jury chargé de reprendre les résultats donnés par l'enquête Derême et d'en tirer les conclusions nécessaires. Ce jury comprenait à son origine :

MM. Paul Bourget et Maurice Barrès, de l'Académie française ;

MM. Gustave Geffroy, Lucien Descaves, Henry Céard, Léon Daudet de l'Académie Goncourt ;

MM. Henri Béraud, Tristan Bernard, Tristan Derême, Henri Duvernois, Georges Duhamel, Edmond Jaloux, Henri Massis, Paul Morand.

Une première réunion eut lieu le 7 novembre. Les cinq cents réponses reçues par Derême y furent longuement examinées. Et une première élimination fut faite. D'autre part, quelques décisions importantes étaient prises par le jury : aucune condition d'âge, de sexe ne serait requise. Le prix serait décerné à un seul livre, non point à un auteur. Onze autres romans seraient désignés en dehors du roman couronné, qui feraient l'objet d'une réédition de luxe sous le titre Collection du méconnu ; tirée à 1 000 exemplaires au maximum et vendue par souscription de 500 francs — les douze volumes, — cette collection serait continuée chaque année et les bénéfices qu'elle permettrait de réaliser seraient versés à la Banque de France pour constituer une fondation chaque année accrue dont les arrérages viendront ajouter au prix de l'Eclair. Le prix sera décerné chaque année fin février ou commencement mars. L'an prochain verra couronner douze poètes, dans des conditions exactement pareilles à celles où seront couronnés en 1924 douze romanciers. A partir de 1926 enfin, chaque année, seront choisis un romancier et un poète.

La première liste des œuvres retenues par le jury s'établit ainsi : notons que les romans examinés devaient avoir paru entre 1880 et 1914. Furent donc retenus pour un deuxième examen :

Pierre d'Alheim, la Passion de maître François Villon ; Guillaume Apollinaire, l'Hérésiarque ; Arnault, Pour remettre à Franck ; Auzias Turenne, Cow Boy ; Maurice Beaubourg, pour son œuvre ; René Béhaine, les Survivants ; Pierre Billaud, Grichemidi, Paul Bonnetain, Passagères ; Ch. de Bordeu, le Chevalier d'Ostabal ; Bouzinac-Cambon, Marie de Mireuil ; Léon Cahun, Hassan le janissaire ; Joseph Caraguel, les Barthozouls ; Robert Caze, la Semaine d'Ursule ; Arthur Chasseriau, Deuil de fils ; Fernand Clerget, Henry Pivert ; Louis Codet, la Rose du jardin ; Bernard Combette, Des hommes ; J. A. Coulangheon, l'Inversion sentimentale, ou le Béguin de Go, ou les jeux de la préfecture ; de Cranphore, la Destinée de Sabine ; Dené Dalize, le Club des neurasthéniques ; Georges Darien, le Voleur ; Jean Dolent, l'Insoumis.

Mme Espinasse-Mongenet, la Vie finissante ; Laurent Evrard, Une leçon de vie ; Henry Fèvre, Galafieu ; Aimé Graffigne, la Bonne vie de Lou de Marennes ; Paul Léautaud, le Petit ami ; Heuzey, Nouvelles ; Maurice Léon, le Manuel du petit gendelettre ; Gustave Le Rouge, la Guerre des Vampires ; Ernest Leroux, Une fille de rien ; Natis Medétère, Barbe bleue et Proserpine ; Louis Mercier, Hélène Sorbiers ; Eugène Morel, la Rouille du sabre ; Pierre Nahor, Hiesous ; Guy de Passilli, Un gentilhomme, de province ; Joséphin Péladan, la Prométhéide ; Amédée Pigeon, Une femme jalouse ; Roger Pillet, les Oraisons amoureuses de Jeanne-Aurélie Grivolin, Lyonnaise ; Albert Pinard, Madame X... ; Georges Poulet, Rien n'est... ; Francis Poictevin, pour son œuvre ; Yvette Prost, Catherine Aubier ; Pierre de Querlon, Céline, fille des champs ; Ramuz, la Guérison des maladies.

Hugues Rebell, la Nichina ; William Ritter, Leurs lys et leurs roses ; Ritter, les Bonardin ; Jean Roanne, Marie de Garnison ; Lucien Rolmer, Mme Fornoul et ses héritiers ; Blanche Rousseau, Nany à la fenêtre, ou le Rabaga ; Gabriel Sarrazin, Mémoires d'un centaure ; Raymond Schwab, Mengeatte ; Ivan Strannik, l'Ombre de la maison ou les Nuages ; Tabarant, l'Aube ; J. L. Talon, la Marquesita ; Ernest Tisserand, le Cabinet de portraits ; Eugène Vernon, la Demeure enchantée ou Gisèle Vernon ; Wyzeva, Vaibert ; Michel Yell, Cauet.

Un grand nombre de ces volumes devaient d'ailleurs tomber à la deuxième réunion.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 121.)


Vendredi 8 février 1924

Les prix littéraires

Le prix des méconnus (II)

La discussion fut chaude au cours de la deuxième réunion du prix des Méconnus, — le 8 février, — les grands lecteurs Henry Céard, Edmond Jaloux, Henri Massis soutenant avec ardeur leurs candidats. Paul Bourget absent avait envoyé son vote : il insistait surtout sur Une femme jalouse d'Amédée Pigeon. Tristan Bernard, pris par une répétition générale, s'était échappé un instant pour demander que l'on n'oubliât point Maurice Beaubourg.

Finalement furent retenus pour le vote décisif du 4 mars :

Maurice Beaubourg, pour son œuvre ; René Béhaine, les Survivants ; Léon Cahun, Hassan le janissaire ; Robert Caze, la Semaine d'Ursule ; Louis Godet, la Rose du jardin ; Coulangheon, les Jeux de la préfecture ; Combette, Des Hommes.

Georges Darien, le Voleur ; Mme Espinasse-Mongenet, la Vie finissante ; Laurent Evrard, Une Leçon de vie ; Henri Fèvre, Galafieu ; Léon Mercier, Hélène Sorbier ; Eugène Morel, la Rouille du sabre ; Amédée Pigeon, Une Femme jalouse ; Roger Pillet, les Oraisons amoureuses de J.-A. Grivolin ; Pinard, Madame X...

De Querlon, Céline, fille des champs ; Ramuz, la Guérison des maladies ; Hugues Rebell, La Nichina ; Ritter, Les Bonardin ; Roanne, Marie de Garnison ; Rolmer, Mme Fornoul et ses héritiers ; Blanche Rousseau, Le Rabaga.

Gabriel Sarrazin, Mémoires d'un centaure ; René Schwab, Mengeatte ; Yvan Strannik, l'Ombre sur la maison ; Guy de Passillé, Un gentilhomme de province ; Talon, La Marquesita ; Tisserand, le Cabinet de portraits ; Variot, les Hasards de la guerre ; Vernon, Gisèle Chevreuse ; Wyzewa, Valbert.

Il semblait bien dès cette deuxième réunion que le prix n'échapperait point à Maurice Beaubourg.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 153.)


Les méconnus... une suggestion de M. Léon Daudet détermina Tristan Derème à rechercher quels écrivains méritaient cette appellation, et l'on vit, dans les colonnes de L'Eclair, nez au vent, parapluie au côté, le poète de la Verdure dorée clamer à tous les échos: « Qui n'a pas son méconnu ? » Cascade de révélations : vingt, cent, deux cents méconnus avaient le bonheur d'être connus d'initiés. Un jury fonda un PRIX DES MECONNUS, afin de sortir de leur ombre glorieuse, chaque année, un ou deux lauréats... Pour 1924, furent ainsi proclamés, exhumés et réédités Une Saison au bois de Boulogne, de Maurice Beaubourg, et Galafieu, d'Henry Fèvre.

(Edouard Ramond, « Prix littéraires », L'Ami du lettré, Crès, 1925, p. 55-56.)