M. Hector Talvart — dont on peut bien dire que ses conjectures furent, en 1922, une révélation— naquit à Dompierre-sur-Mer, à quelques kilomètres de La Rochelle, le 12 septembre 1880. Son enfance et sa jeunesse s'écoulèrent en Aunis, soit à la Rochelle, soit à la campagne. Il fit ses études — sa santé étant alors assez chancelante — avec des précepteurs. Et de bonne heure, commença par envoyer des vers à quelques petites revues : Revue stéphanoise par exemple. Ces vers sont au reste reniés depuis fort longtemps. Il collabora ensuite aux journaux rochelais auxquels il donna des chroniques sociales et littéraires qu'il assure volontiers relire encore sans trop de peine. Dessina également de très bonne heure. Et peu s'en fallut que la passion du crayon et du pinceau ne l'enlevassent à la passion, maintenant maîtresse, de faire « avec du papier blanc du papier sale ». Il pourrait encore organiser une curieuse exposition de miniatures sur ivoire et de dessins à la plume. Donc M. Talvart dessinait et écrivait. Mais surtout il lisait : Montaigne, Sévigné, Saint-Évremond, La Bruyère, Voltaire, Joubert, P.-L. Courier, Joseph de Maistre, Hello, Veuillot, Proudhon, tels furent ses principaux maîtres. Non pas les seuls : la bibliothèque de La Rochelle est, croyons-nous, l'une des plus complètes et des plus parfaitement composées qui soient dans nos provinces.

Entré à dix-huit ans dans l'administration des postes, il fut successivement envoyé à Paris, Angoulême et la Rochelle ; il démissionna en 1920 pour se consacrer entièrement à ses Conjectures qui parurent en 1922 chez Huart et qui furent entièrement faites, composées, tirées, façonnées, brochées, etc., sous sa surveillance directe, avec le concours de typos et de pressiers aussi peu pressés que l'auteur et qui mirent dix mois à imprimer 200 pages, mais les livrèrent minutieusement au point. M. Talvart n'a pas moins soigné ses deuxièmes Conjectures que les premières. Il a dirigé heure par heure, ligne par ligne, les travaux de ses ouvriers, corrigeant avec une inlassable et méticuleuse patience, blanchissant à loisir son plomb, espaçant ses mots, ses lettres pour éviter les coupures en fin de page et même en fin de ligne, retouchant son texte, jusqu'à la dernière minute, encrant à sa guise, faisant sa couverture, ne donnant le bon à tirer qu'à son heure. C'est que, assure M. Talvart, élève en ceci du grand éditeur Edouard Pelletan :

La typographie est à la pensée de l'écrivain ce qu'est la couleur à l'art du peintre, la glaise à celui du sculpteur, le piano à celui du musicien. Elle lui permet de matérialiser son expression dans une forme qu'il juge définitive. Elle arrête le perfectionnement du style au point où il faut qu'il consente à reconnaître ses excès, à céder devant la loi du réel. On ne se comprend vraiment bien qu'en se voyant imprimé... Quelques auteurs vont même jusqu'à une sorte d'engagement de conscience de ne pas gâcher la signification de la lettre imprimée. La majesté qu'elle confère au texte assure à la composition typographique une forme de respect, durable, et il paraît à quelques-uns qu'ils sont moins libres d'être médiocres ou malsains dans le livre que dans le manuscrit...

Et encore ceci :

Pour l'écrivain, la typographie est manière de juger mieux des proportions de sa pensée, d'en apprécier la séduisante couleur, d'en estimer l'importance de projection humaine. Vraiment, c'est un grand art classique et, avec l'architecture, un des premiers peut-être à qui l'homme est redevable d'accorder sur le plan réel le transitoire de sa vie avec la pérennité de sa raison, l'exigence de son cœur et le crédit de son intelligence, de faire conjoindre, à l'effet d'une harmonieuse édification, l'ambitieuse volonté de tout dire en n'exprimant que l'essentiel, l'ambitieuse volonté d'une proportion de charme et d'utilité en ne se contraignant qu'au parfait...

Les livres de M. Talvart méritent d'ailleurs tant de soins. Ses Conjectures marquent un souci des nuances, une bonne foi absolue et la plus sage subtilité. Et quel admirable amour des idées ! Il nous sera bien difficile de donner — dans nos coupures — un exact aperçu de pages aussi diverses, et aussi substantielles. Que de réflexions ingénieuses sur la douleur et la joie, sur les femmes et l'amour, la justice et la bonté, l'égoïsme et l'ingratitude, la littérature, la philosophie, l'art ! Quand parurent les premières Conjectures, ce sont les noms de Taine, de Gourmont, d'Anatole France, de Stendhal — et quelques autres que j'ai oubliés, — que l'on jeta à la tête de cet inconnu qui se révélait comme un maître de l'essai. Les Nouvelles conjectures ne décevront point les critiques qui avaient donné à M. Talvart d'aussi dangereux parrains.

(1) Conjectures, et Nouvelles conjectures, chez Armand Huart.

Almanach des lettres françaises et étrangères,
Editions Georges Crès, jeudi 31 janvier 1924, p. 123.