Les Poèmes

Les Villes

Les champs qui s'étendaient au travers des campagnes
ont été clôturés ;
la ville aux bras de chair et aux rumeurs de bagne
a étalé son chancre au delà des forêts.

Les torrents querelleurs qui mordaient le calcaire
ont tu leurs cris d'enfants ;
la ville aux bras de pierre
a brisé leur chanson et rompu leur élan.

Les ciels d'été, les ciels d'hiver, bleutés, orange
ont perdu leurs teintes aimées
et la ville aux bras de fumée
leur a jeté au front sa grisaille et sa fange.

Et les campagnes, d'horizons en horizons,
s'en sont allées avec leurs clartés bleues ou blondes ;
la ville aux bras de fer a lancé sur le monde
la meute rouge des maisons.

MISÈRE

Chambres d'hôtel. Quarante sous. Pâle noirceur
des rideaux blancs, peut-être bistres... peu importe.
Et là, en face de la porte,
la vieille glace avec ses taches de rousseur.
La cheminée en marbre noir, ou simili.
(Fais attention au coin gauche qui se décolle).
Et la commode aux fers absents, Et ce grand lit
avec ses draps trop durs et sa tête trop molle.

Et cependant il avait dit :
« Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
« des divans profonds comme des tombeaux... »
Mais quand ?

(Georges Vidal, Devant la vie. Librairie sociale.)

[Né à Guérigny (Nièvre) le 24 avril 1903. A beaucoup voyagé à travers la France, habitant successivement Marseille, Aix, Toulon, Lyon, Dijon, Briançon, dans les Vosges, etc. Fait ses études à Grenoble après avoir été exclu des lycées d'Aix et de Marseille pour propagande anarchiste. A quinze ans fait paraître à Aix une petite plaquette de vers hors commerce : Quelques rimes. Ce n'était point au reste ses premiers vers : de douze à quinze ans, en a brûlé plusieurs cahiers qui ne le contentaient point. Il y subissait fortement l'influence de Verlaine, de Samain, de Guérin, de Laforgue, etc.

Collabore successivement à l'Essor, à Fortunio, aux Primaires, à la Criée, à la République des Alpes. Fonde à Marseille avec quelques ouvriers un journal, Terre libre, qui dure environ un an et qui était remarquable par le nombre de ses fautes typographiques. Pour un poème paru à la fois dans Terre libre et dans le Libertaire, est condamné le 16 novembre 1922 à deux mois de prison sans sursis et 100 francs d'amende, à Marseille et le 24 du même mois à Paris, à trois mois de prison et 200 francs d'amende. Sans confusion de peine. Incarcéré à la Petite Roquette. Réclame le régime politique. Fait la grève de la faim. Une campagne de presse s'organise dans l'Œuvre, l'Humanité, l'Ere nouvelle, etc. qui réussit. Georges Vidal obtient gain de cause. Transféré à la prison d'Aix, y écrit ses poèmes Devant la vie. Depuis sa libération, est secrétaire de rédaction au Libertaire, où il tient un curieux courrier des lettres.

Travaille à de nouveaux poèmes, les Horizons, et à des essais sur l'esthétique Art et action.]

Almanach des lettres françaises et étrangères,
Editions Georges Crès, mercredi 16 janvier 1924, p. 62.