Barbey d'Aurevilly et les écrivains normands

D'autre part, MM. Henri de Gourmont et Camille Cé ont bien voulu nous envoyer ces lignes où ils apportent leurs hommages au grand écrivain :

On ne peut ouvrir un livre de Barbey d'Aurevilly sans s'y trouver retenu par un charme particulier qui vous met à sa merci. Il s'empare du lecteur et l'emporte avec lui dans son sillage, il l'élève, il le passionne, il le subjugue, il en fait son compagnon d'aventures. Lire Barbey d'Aurevilly, c'est se grandir. Il y a dans ce Normand de vieille race des côtés cornéliens. Il magnifie tout ce qu'il touche et les plus humbles personnages de ses romans grandis hors des proportion communes, se trouvent transfigurés. L'ensorcelée a des allures d'épopée. C'est que Barbey d'Aurevilly eut une âme épique, une âme de chanteur héroïque. Ses jugements s'en ressentent, ils sont souvent d'une magnifique injustice, mais les plus passionnés dans le parti pris — et il en eut de violents — gardent toujours l'empreinte d'une vérité plus forte que les hommes et qui dépasse les haines et les amours d'une époque.

Entré aujourd'hui dans la gloire qui lui fut disputée de son vivant, ce maître de la langue n'a pas encore toute la place qu'il mérite. Il faut diffuser son œuvre, la répandre ainsi que l'a entrepris mon ami Joseph Quesnel qui aura aussi bien mérité de la Normandie dont Barbey est l'un des fils les plus illustres. A côté de Flaubert qu'il n'aima guère et dont il est l'antithèse, de Maupassant qui est à l'antipode de son génie, parent de Corneille par son goût de l'héroïsme, Barbey d'Aurevilly honore la Normandie qui l'a déjà placé au nombre de ses grands hommes.

Henri de Gourmont.

(Le Figaro, samedi 24 avril 1926)

Note des Amateurs : Ce numéro du Figaro est consultable sur Gallica.