« Interviews de [...] Alfred Vallette et Louis Dumur », Le Quartier latin hier et aujourd’hui, Éditions « Roman Nouveau », 1924.

Le nom du fin lettré Alfred Vallette nous offre l'occasion de compléter le chapitre de la littérature d'avant-garde au Quartier Latin. Aussi bien la personnalité de M. Louis Dumur se joint harmonieusement à celle du directeur du Mercure de France dans cette évocation d'un passé de lutte et de succès démontré par la verdeur de la célèbre revue qui poursuit imperturbablement son programme de jeunesse.

[...] M. Louis Dumur : « C'est, sur la fin de 1889, qu'un soir de causerie au café François Ier, Edouard Dubus, G.-Albert Aurier et moi décidâmes qu'il était urgent, nécessaire et éminemment souhaitable de créer un nouvel organe.

On discuta longuement pour savoir s'il convenait de conserver l'ancien nom, ou s'il était préférable de changer de titre.

Le changement de titre l'emporta, d'autant plus que nous avions à ce sujet une excellente idée, vieux projet autrefois caressé, et que nous exhumâmes pour la circonstance. Il ne s'agissait rien moins que de faire revivre l'ancien Mercure de France, en le donnant comme organe — grâce piquante — aux plus hardies innovations littéraires. Nous bûmes un punch en l'honneur du Mercure de France et, pendant plusieurs heures — jusqu'à la fermeture de l'établissement — nous nous plûmes à tresser pour le nouveau-né les plus florissantes couronnes d'illusions dont quelques-unes sont pourtant devenues réalités.

Mais, en même temps que nous décidions la fondation du Mercure de France, nous décidions aussi qu'il n'y avait qu'un seul homme capable de mener à bien ce projet, et que si ce seul homme refusait de se mettre à la tête de l'entreprise, nous en resterions prudemment sur nos frais d'imagination.

Ce seul homme, c'était Alfred Vallette.

Le lendemain donc, Dubus et moi, nous tombions sans avertir chez Vallette. Nous lui exposâmes avec éloquence la beauté, l'intérêt, l'opportunité de notre idée, nous fîmes appel à tout ce que Vallette pouvait contenir en lui d'esprit de sacrifice et de dévouement. Le futur directeur du Mercure de France demanda un quart d'heure pour réfléchir : le quart d'heure écoulé, il accepta. Nous nous mîmes aussitôt en campagne. Vallette alla chercher Samain ; Dubus conquit l'adhésion de Jean Court et de Louis Denise ; celui-ci amena Rémy de Gourmont ; Aurier arriva flanqué de son inséparable Lecercq ; moi, j'amenai Ernest Raynaud, qui décida Jules Renard.

L'assemblée de fondation eut lieu quelques jours après, au Café Français.

Le 25 décembre suivant, parut sur 32 pages, avec la date de janvier 1890, le premier numéro du Mercure de France... »

Et la modestie de M. Alfred Vallette de se récuser devant l'énumération de ses premiers collaborateurs pour conclure : « ... Dans les premiers jours de janvier 1890, notre groupe était composé de G.-Albert Aurier, Jean Court, Louis Denise, Edouard Dubus, Louis Dumur, Rémy Gourmont, Julien Leclercq, Ernest Raynaud, Jules Renard, Albert Samain...

En ce temps-là, nous nous réunissions chez moi, 15, rue de l'Echaudé-Saint-Germain, et, sans autre capital que notre travail et notre optimisme, nous nous attelâmes à la tâche.. »

C'est ainsi que la « série moderne » du célèbre Mercure de France de 1672, perpétue vivante l'expression des doctrines des générations d'écrivains qui se succèdent, toujours ardentes et hardies pour ne point vieillir.