ÉCHOS

Mort d'Edmond Barthèlemy. — Les Amis de Théo Varlet. — Jules Barbey d'Aurevilly admiré par Georges Ohnet. — L'opérette, les musiciens et le Théâtre de la Gaîté. — A qui et combien Alexandre Dumas a-t-il vendu « La Dame aux Camélias » ? — Le portrait de Baudelaire, par Deroy. — « Là-Bas » sera-t-il interdit en Angleterre ? — A propos d'Emile Hennequin : Edgar Poe et Mallarmé. — Une autre lettre sur le drapeau en berne. — Comme le singe du fabuliste. — Le Sottisier universel. — Publications du « Mercure de France ».

Mort d'Edmond Barthèlemy. — C'était un des plus anciens collaborateurs du Mercure qu'Edmond Barthèlemy, qui vient de mourir le 30 septembre dernier. S'il ne faisait pas partie des onze fondateurs de la revue, il pouvait leur être assimilé, puisqu'il avait assisté aux réunions qui précédèrent cette fondation, et que plusieurs de ces onze étaient de ses amis.

Il fut bibliothécaire du château de Gouvieux appartenant à M. Henri de Rothschild, et sa première publication a été le Catalogue de cette bibliothèque qu'il avait dressé avec beaucoup de soin. C'était un bibliophile et un chercheur. Il apportait une note d'érudition dans le premier groupe du Mercure, composé surtout de littérateurs. Son nom apparaît pour la première fois dans le 32e n° de la revue, en août 1892, et depuis il y reparaît à de nombreuses reprises, pour de graves articles de fond; il y rédigeait d'ailleurs la Chronique d'histoire dont il s'est acquitté jusqu'à sa mort, puisque le n° qui paraissait le lendemain de son décès en contenait une où il parlait très pertinemment de l'Impérialisme romain de Carcopino et du Charlemagne de Kleinclausz.

Il aurait pu, lui aussi, donner des ouvrages de haut mérite, et il en a donné. Son livre : Carlyle, essai biographique et critique, est la meilleure étude que nous ayons sur le grand écrivain écossais, à qui il avait voué un véritable culte; c'est lui qui a traduit ses principaux ouvrages, Olivier Cromwell, sa correspondance, ses discours, ses Essais choisis de critique et de morale, les Nouveaux essais, son Sartor resartus, vie et opinion de Herr Teufelsdroeckh, ses Pamphlets du dernier jour. Son nom ainsi se trouve étroitement lié, pour nous Français, à celui de Carlyle, et tous ceux qui admirent le grand penseur d'Edimbourg seront reconnaissants à Edmond Barthèlemy de leur avoir permis de le si bien connaître.

Il a encore traduit en collaboration la Tétralogie de Wagner avec notes formant commentaire musical et qui sont, si je suis bien informé, de Mme Edmond Barthèlemy.

L'ensemble de ses critiques historiques forme, d'autre part, le répertoire le plus précieux de nos publications d'histoire pendant près d'un demi-siècle. La critique historique exige de grandes qualités : compétence, conscience, indépendance; il les eut toutes. Jamais on ne le prit en défaut de connaissance ou de sagesse. Tout en étant d'une impartialité souveraine, il se montrait très attaché aux idées libérales et aux traditions nationales. Les meilleures de ses chroniques mériteraient d'être réunies en volumes; c'était autrefois la mode, et ce devrait l'être encore, de préférence à celle des vies romancées qui déshonorent la grave Clio.

Il ne dédaignait d'ailleurs pas le vrai roman, et même le roman historique, genre tout à fait digne d'estime, et dès sa jeunesse il avait commencé à en écrire un. Les premiers numéros du Mercure de France, dans une liste d'ouvrages en préparation, annonçaient de lui L'An mille, roman. Cette œuvre, longtemps laissée de côté, mais dont il parlait pourtant volontiers comme de celle où il aurait donné toute sa mesure, il l'avait enfin reprise, et la fatalité veut qu'il meure au moment où il était près de la terminer ! Puissent ses amis en décider et effectuer la publication posthume !

Car il avait beaucoup d'amis, et tous affectueusement dévoués. Il était si droit dans ses idées, si sage dans ses jugements, si fidèle dans ses relations ! Vers la fin de sa vie, au spectacle désillusionnant de nos démocraties actuelles, il inclinait un peu vers l'antidémocratie, mais c'était bien son droit !

Tous ceux qui l'ont connu garderont de lui le souvenir le plus ému. C'était une belle âme, à la fois chrétienne et stoïcienne, comme Carlyle son maître. C'est une communauté de pensée magnanime qui l'avait attiré vers l'auteur de Heroes and hero-worship, car comme lui il aimait l'héroïsme moral et le culte de cet héroïsme. Nous aurions besoin de beaucoup d'âmes vibrantes et ascendantes comme la sienne. — HENRI MAZEL.

(Mercure de France, 15-X-1934, pp. 441-442)