ÉCHOS

Après avoir rappelé le mot de Hugo disant à Baudelaire qu'il avait créé un « frisson nouveau », M. Dayot ajouta :

« Je ne me livrerai pas ici à une analyse des frissons, et je ne chercherai pas à catégoriser d'une façon absolue celui qui traverse et anime toute l'œuvre de Baudelaire, frisson qu'il rapporta peut-être de sa longue et fraternelle intimité avec Edgar Poe, et qui se prolonge aussi, comme un écho fidèle, avec le murmure d'une symphonie faite des sensations les plus rares et les plus aiguës, à travers les poésies des Mallarmé, des Corbière, des Verlaine, des Rimbaud, des Rollinat, des Samain, des Tailhade, des Francis Jammes... et de bien des pages des Goncourt, de Villiers de l'Isle-Adam, de Mendès, de Loti, d'Huysmans, de Jean Lorrain et de Barrés lui-même. »

M. Jules Troubat, qui connut Baudelaire, fut ému en bons termes. Il sut nous émouvoir. Son trouble, à la vérité, lui fit parfois lire son texte de travers, et jusqu'à prononcer :

« Il (Baudelaire) se plaisait à être méconnu : on le lui rendait bien. »

Mais qu'importe ! Grâce à M. Troubat nous pûmes enfin apprécier l'amitié réelle, sinon vive, que Sainte-Beuve portait au grand poète indulgent.

Des souvenirs plus attendris, de M. Troubat, nous amenèrent ensuite à cette atroce vision des dernières années de Baudelaire :

« Il n'avait déjà pas le travail commode ; l'improvisation ne venait pas; il se tourmentait trop pour cela ; on l'accusait d'être paresseux, de ne pas assez produire, alors qu'il n'avait que le « travail » lent. Je tiens de lui qu'il s'était fait enfermer dans les bureaux de la Revue européenne, en 1861, pour y écrire son article, si quintessencié, si conçu d'après lui-même, sur Wagner, qui était l'une de ses admirations les plus sincères. Il fallait entendre son cri — et il ne pouvait plus s'exprimer que par un cri, lorsque l'aphasie lui eut coupé la parole — au seul nom de Wagner prononcé devant lui.

« Mme Manet, qui était une grande musicienne, venait lui jouer des pages du maître, dans sa chambrette de la maison de santé Dutral, près de la barrière de l'Etoile, et l'apaisait. Ses facultés se réveillaient, et il n'avait plus que son cri, son invariable cri, tantôt plaintif et douloureux, tantôt violent et passionné, pour exprimer ses sympathie» ou ses répugnances. »

M. Maurice Quentin, au nom du Conseil Municipal, causa de tout un peu, ni bien ni mal, à coup sûr l'œil sur sa moustache.

Enfin — ce par quoi on aurait dû commencer, et peut-être continuer — Mme Berthe Bady récita des vers du poète : Le Chant d'automne et la Mort des Amants.

Le Monument est l'œuvre très remarquable d'un jeune sculpteur, M. José de Charmoy. Baudelaire, dans son linceul et la tête découverte, est étendu sur une pierre tombale, à l'arrière de laquelle s'élève une stèle de granit supportant une figure allégorique : le Penseur,— à quoi nous reconnûmes le beau masque tragique, dramatisé encore, de M. de Max.

Assistaient à l'inauguration : MM. Rosny, Albert Sorel, Gabriel Fabre, Mme Rachilde, MM. Henri Bauer, Jean Veber, Edmond , Lepelletier, Ch. Guérin, MME Jeanne Jacquemin, Mme Berthe Bady, M. et Mme Paul Fort, MM. Jean de Mitty, Edward Diriks, Marcel Batilliat, Maurice Magre, Fernand Caussy, Gaston Dubreuilh, André Ibels, Marc Legrand, Sainte-Marie, Maurice du Bos, Georges de Lys, M. et Mme Alcanter de Brahm, MM. Maurice Cremnitz, Cazals, H. Fleischmann, Crinon, etc.

Le Monument Gabriel Vicaire. — Le 23 octobre, on a inauguré au Luxembourg, dans la partie comprise entre la rue de Fleurus et la rue Férou, le buste de l'auteur des Emaux Bressans, sculpté par M. lnjalbert.

Plusieurs discours furent prononcés. M. Allombert, président du comité, nous assura que les Emaux du poète étaient surtout bressans. Rien ne saurait rendre la surprise du public invité à entendre ces discours révélateurs.

Puis des artistes de la Comédie-Française, Mmes Moreno, Geniat, Jane Rabuteau, Lecomte, MM. Truffier, Dehelly, vinrent dire des vers de Vicaire.

Mercure de France, 16 mars 1916, pp. 573-575.