ÉCHOS

Mort de Léon Bloy. — Les Noces d'argent du peintre Diriks. — Centenaire de Paul Féval. — Une devise d'avant-garde. — La Chine est un pays charmant. — Le bon gros Saint-Amant. — A travers l'Alaska. — Les Marais de Saint-Gond et Maurice Maeterlinck. — Au Vieux-Colombier. — Encore une lettre « inédite » de Baudelaire qui n'est pas inédite. — Expédition aux régions arctiques. — Le Jubilé de Dante Abghieri et le Saint-Siège apostolique. — Une matinée Edouard Dujardin à Genève. — La musique de « Tipperary ». — La Foire de Leipzig et les succédanés. — La Littérature tchèque et la Censure autrichienne. — Faux-sauniers. — Le pudding.

Mort de Léon Bloy. — Celui qu'on a longtemps appelé l'auteur du Désespéré vient de mourir à Bourg-la-Reine, après deux ans de maladie durant lesquels il avait vu décliner ses forces sans interrompre sa tâche.

Né à Périgueux en 1846, il voulut d'abord être peintre, lorsque, il avait alors un peu plus de vingt ans, enthousiasmé après une lecture du Prêtre marié, il se prit d'une admiration particulière pour Barbey d'Aurevilly et se présenta chez le maître pour y exprimer ses sentiments.

Accueilli avec cette bonhomie que Barbey mettait dans ses manières, Léon Bloy s'installa rue Rousselet et se fit le secrétaire et le correcteur d'épreuves de celui qu'il admirait et dont il subissait l'influence.

Déjà catholique avant qu'il entrât chez Barbey, Léon Bloy développa encore ses aptitudes religieuses dans la fréquentation de son vieil ami, qui lui conseilla en outre de se faire écrivain.

Léon Bloy débuta à l'Univers en 1874, devint célèbre au Chat Noir en 1882. Enfin, le 27 février 1884, un entrefilet de Magnard dans le Figaro lançait définitivement son nom.

Alors commença pour l'artiste une existence singulière.

Homme d'absolu, très intégralement et très sincèrement catholique, il s'aperçut qu'il était né dans un siècle où les notions les plus élémentaires de ce qui composait sa foi étaient ignorées. Il se sentit missionné pour invectiver ses contemporains en un style admirable et enrichit notre langue d'une série de pamphlets étonnants : Propos d'un Entrepreneur de Démolitions, Le Pal, pamphlet hebdomadaire qui n'eut que quatre numéros, Belluaires et Porchers, etc.

Il attaqua, à peu d'exceptions près, toutes les réputations, et lorsqu'il eut épuisé quelques grands quotidiens, où il ne pouvait faire que de courtes apparitions, il introduisit le pamphlet dans le roman avec le Désespéré, le plus lu de tous ses ouvrages.

La Femme pauvre suivit de près, ainsi que Le Salut par les Juifs et Sueur de sang, livre prophétique aujourd'hui encore trop oublié.

Inutile d'ajouter que son système lui valut beaucoup d'ennemis et lui ferma toutes les portes que son génie lui avait ouvertes. La misère s'abattit sur Léon Bloy et il l'a racontée dans son curieux journal dont la première série. Le Mendiant ingrat, parut en 1898.

L'Exégèse des Lieux-Communs, Celle qui pleure, Le Sang du pauvre, L'Ame de Napoléon, Jeanne d'Arc et l'Allemagne, et, tout récemrnent, les Méditations d'un solitaire en 1916, ajoutés aux sept volumes du Journal et à diverses brochures, forment un ensemble de trente volumes d'une puissance et d'une originalité incroyables. De tous les écrivains de sa génération, Villiers de l'IsIe-Adam est le seul prosateur qui puisse lui être comparé.

La foi de Léon Bloy, constamment présente dans tout ce qu'il écrivait, ne s'accommoda que rarement d'un clergé médiocre, qui s'épouvanta du pamphlétaire et ne sut pas apprécier l'artiste ; mais elle lui valut de faire plusieurs conversions et de grouper des amitiés enthousiastes. Il avait épousé en 1890 la fille du poëte danois Molbeck, et celle-ci sut bien souvent adoucir des heures douloureuses de leur vie commune.

Ame tendre et ingénue, le terrible promulgateur d'absolu était dans l'intimité le plus simple des hommes. Il était même gai, et nul n'aura plus volontiers plaisanté que ce fier et vigoureux polémiste, qui écrivit tant de pages agressives ou amères. — R. M.

Les obsèques ont eu lieu à Bourg-la-Reine, le mardi 6 novembre à neuf heures. Le cercueil était abondamment fleuri, et, malgré l'heure matinale et la difficulté des communications, un grand nombre, d'amis très anciens et de nouveaux conduisirent à l'église, puis au cimetière le « Mendiant ingrat ».

Mercure de France, 16 novembre 1917, pp. 373-374.


ÉCHOS

Mort d'Auguste Rodin. — Mort d'Adrien Bertrand. — La jeunesse de Léon Bloy. — Ministres poursuivis.— Les officiers français en Italie. — Au Vieux-Colombier. — La Boxe interdite à New-York. — La Main qui se souvient. Au service de la Chine. — Les savants anglais et les Académies allemandes. — Les Réservistes français du Canada.— La révolte de Luther. — Le centenaire de la mort d'Elvire.— A l'Académie Goncourt. — L'art en Amérique.— « Le Bourgmestre de Stilmond ». — Grand concours littéraire national. — L'abonnement au Mercure de France en 1918. — Erratum.

La Jeunesse de Léon Bloy.

Dimanche, 18 novembre 1917.

Cher monsieur Vallette,

Permettez à un des rares témoins de la jeunesse de Léon Bloy d'apporter quelques précisions forcément ignorées de l'auteur de la note publiée dans le Mercure de France du 16 novembre.

Si ces souvenirs contredisent tant soit peu, pour ces temps éloignés, les indications de cette note, c'est que j'ai le peu enviable privilège d'avoir assisté à cette période depuis longtemps abolie de la vie de Léon Bloy.

Il habitait la rue Rousselet avant d'y avoir connu Barbey d'Aurevilly, et c'est tout à fait fortuitement qu'il fut amené à se présenter chez lui, n'ayant lu encore, que je sache, la moindre ligne de lui.

Léon Bloy, à cette époque de sa jeunesse, vers 1867, cherchait douloureusement sa voie. Il avait en vain tenté de faire accepter dans la Rue de Vallès un premier essai de littérature, et c'est, déjà désespéré, qu'il se présenta chez Barbey d'Aurevilly, auquel il lut un article dithyrambique sur le Progrès !

Il ne pouvait vraiment tomber plus mal ou mieux.

D'Aurevilly, avec sa belle franchise outrancière, lui déclara que cela ne valait absolument rien et l'invita, c'était le baume du Samaritain, à revenir le voir.

Ce merveilleux apprivoiseur de fauves avait deviné, par delà les enfantillages de l'apprenti écrivain, quel lion serait un jour ce Léon Bloy. Il l'a d'ailleurs proclamé magnifiquement en une préface écrite pour le premier livre de Léon Bloy, Le Révélateur du Globe, préface qu'on retrouve dans Philosophes et Écrivains religieux et politiques (Lemerre).

C'est au cours de ses premières entrevues avec l'auteur du Prêtre marié que Léon Bloy eut l'occasion de lire ce prodigieux roman catholique. Il le fit d'une traite, en une nuit, et sortit littéralement bouleversé de cette lecture.

Fut-ce là son Chemin de Damas ? Toujours est-il que, de ce moment, son esprit, son cœur, son âme prirent une direction religieuse dans laquelle il devait bientôt, comme écrivain, marcher seul. En effet, Léon Bloy n'est le fils ni le cousin de personne. Il ne s'apparente pas plus à d'Aurevilly qu'à Louis Veuillot ou à Vallès, quoi qu'on en ait dit.

Son enthousiasme pour un Prêtre marié se retrouverait en une longue étude sur ce roman parue dans la Revue du Monde catholique du 10 novembre 1876, qu'il n'a pas jugé bon de recueillir.

Il ne fut jamais le secrétaire, même bénévole, de d'Aurevilly. Ce dernier n'aurait pu s'offrir ce luxe dont il n'avait nul besoin d'ailleurs, lui dont tout le faste consistait en un bout de dentelle à ses cravates. Tout au plus, Léon Bloy, aidé d'un ami, corrigeait-il les épreuves d'articles que d'Aurevilly envoyait au Constitutionnel pendant ses séjours dans le Cotentin.

Avant d'avoir pu rien publier, Léon Bloy dut s'astreindre à gagner un pain amer dans des études d'avoué. Il fut même un instant dessinateur au Chemin de fer du Nord.

Tels furent les premiers pas de Léon Bloy dans cette longue voie douloureuse semée de livres impérissables.

Recevez, cher monsieur Vallette, l'expression de mes meilleurs sentiments.

G. L.

Mercure de France, 1er décembre 1917, pp. 568-569.