ÉCHOS

Mort de Charles Guérin. — L'Opium. — Un phalanstère d'artistes en France.— Une société de l' « Art à l'Ecole ».— Une vente d'autographes —. Auteur et éditeur. — L'Autriche et le poète Zeyer. — Au Cercle de l'Art moderne, au Havre. — Germanismes. — Libéralisme magyar. — La nouvelle pâte tendre de Sèvres. — Bibliothèque d'un nouveau genre. — Mieux vaut tard... — M. Gaston Deschamps et la chronologie. — Errata. — Le Sottisier universel.

Mort de Charles Guérin. — La mort vient d'arrêter brusquement dans sa tâche un jeune poète dont l'œuvre, si elle reste inachevée, possédait déjà toutes les qualités de la maîtrise. Charles Guérin s'est éteint doucement, sous le toit familial, à Lunéville, dimanche 17 mars, alors qu'il venait à — peine d'achever sa trente-troisième année. Les lettres françaises font une perte irréparable, mais nous pleurons un ami, dont les rares qualités nous avaient fait aimer l'homme autant que nous admirons le poète.

Voici treize ans déjà que nous le suivions pas à pas. Toute sa vie ne fut qu'un long acheminement vers la perfection. Depuis ses timides essais littéraires qu'il faisait imprimer à Nancy et à Munich — où il passa quelques années d'études — à travers de multiples tâtonnements jusqu'à ses derniers livres, dont beaucoup de pages sont déjà des chefs-d'œuvre, son talent suit une lente et sûre progression.

Il n'avait pas tout à fait vingt ans quand parut l'Agonie du Soleil, avec une préface de Georges Rodenbach. Emile Krantz, doyen de la Faculté des lettres de Nancy, lui consacrait alors dans les Annales de l'Est (1894) une étude où il saluait son jeune talent.

Après un nouveau recueil, le Sang du Crépuscule, Charles Guérin trouva dans le Cœur Solitaire sa forme définitive. Collaborateur assidu du Mercure de France, il donna çà et là des poèmes à l'Ermitage et aussi à la Revue des Deux Mondes où il écrivit pour la première fois en 1899. D'admirables poèmes, publiés par séries dans les revues, furent réunis plus tard dans le Semeur de Cendres (1901) et l'Homme intérieur (1905). Ce n'est pas le moment de juger ici, en quelques lignes l'œuvre prodigieusement forte que laisse le poète. La probité artistique de Charles Guérin était extrême. Nulle pièce de vers n'était livrée à la publicité qu'il ne l'eût longuement méditée et refaite. Son sens critique le poussait sans cesse à se méfier de lui-même. Après la première inspiration, il passait parfois de longues semaines à parachever son œuvre, pour rendre sa pensée plus concrète et donner à son vers à la fois plus de relief et plus de souplesse. Il faut l'avoir vu dans son ermitage de Lunéville, entouré de la chaude affection des siens, allant de la table de travail à la table familiale, pour comprendre ce que fut cette vie de poète.

À vrai dire, il n'en rêvait pas d'autre. Et il eût voulu rester toujours ainsi, tout à ses songes, pour nous donner seulement, de temps en temps, un beau livre. Cette probité qu'il mettait dans son œuvre remplissait toute sa vie. Compagnon exquis, aux heures d'expansion, il inclinait cependant vers la gravité. Sensible à l'excès, sa réserve prenait parfois la forme de la timidité. Il avait par-dessus tout l'horreur du vulgaire.

Malgré son apparence robuste, Charles Guérin était d'une santé délicate. De longs voyages n'ont pas toujours suffi à le distraire de sa mélancolie. En novembre de l'année dernière, il espérait détendre ses nerfs à Rome. Mais l'Italie lui fut funeste. Les médecins l'envoyèrent en traitement à Saint-Moritz. Le 27 février, il en revint, souffrant d'une dyspepsie nerveuse. En peu de jours son état devait empirer. Bientôt il n'y eut plus d'espoir. La mort que Charles Guérin avait tant de fois chantée allait le prendre dans ses bras. Sa fin fut douce et presque sans souflfrances...

Charles Guérin continuera à vivre parmi nous. Son corps repose au cimetière de Lunéville, mais son œuvre, magnifique testament de celui qui n'est plus, aujourd'hui nous console de sa perte et demain lui assurera l'immortalité. — H. A.

Mercure de France, 1er avril 1907, pp. 568-569.