Pour parler d'un poète, d'un tel poète, si volontairement effacé, perdu dans le flot des hommes les plus humbles avec lesquels il aimait qu'on le confondît, il faudrait une pudeur de mots, une délicatesse de touches...

Je n'ai que l'avantage d'avoir approché, connu Georges Chennevière.

Il aimait d'un amour immense la nature, les animaux, les êtres — la vie. Mais c'était un amour qui ne faisait pas de grands gestes, qui ne clamait pas de grands mots. Il semblait ne poser son regard sérieux, attentif, mais discret, mais pudique, sur les hommes, que pour les scruter, les interroger affectueusement.

— Et toi aussi, tu as tes misères, tes tares, tes hontes secrètes, peut-être... Allons, dis-moi, lâche ton paquet, ça fait du bien... Si tu savais comme j'aimerais te connaître, te comprendre...

Puis le regard se détachait, suivait dans l'air la fumée d'une courte pipe en bruyère. Le poète se perdait dans une méditation sans autre attitude que celle de la rêverie familière.

Chennevière n'était bien, ne se sentait bien qu'auprès des simples. Il affectionnait particulièrement les tâcherons campagnards. Il aimait les voir travailler. Il aimait les entendre lui parler de leur vie, de leur métier.

— Un homme qui parle de ce qu'il sait est toujours intéressant, disait-il.

Il saisissait d'un coup d'œil le rapport exact des êtres et des choses avec ce qui les entourait.

Il évaluait, non en surface ni en volume, mais, après un rapide coup de sonde, en profondeur.

Tout est joie dans la vie, et, la plus grande, c'est de faire partager sa joie aux autres. Ce n'est pas la diviser, cette joie, au contraire, c'est la multiplier :

...................................................toute cette joie
Que je trouve en creusant dans le fond de mon cœur,
Prends-la pour toi, je te la donne, à toi seul ;
Prends-la toute, sans honte, il me restera celle
De te l'avoir donnée...

Beauté, bonté des choses. Caresses des regards sur les choses. Caresses des choses en retour.

... Le monde est beau quand on le montre à un enfant.
Tu verras la maison, les chevaux, la pendule,
L'air, le soleil, le robinet et l'escalier Et ce qu'on mange, et ce qu'on boit, et ce qui brille,
Et ce qui chante...

Comme pour beaucoup, le crime, tout à coup possible, de la guerre, avait fait vaciller sa grande foi en l'humanité.

Il a longtemps erré, douté.

Peut-être a-t-il fini par succomber à cette angoisse.

Et cependant...

Il retrouvait après la tourmente, la valeur des intacte hommes, des objets :

... Oui, je vous reconnais, messagers de la vie,
Je tends les mains et pas un de vous ne m'oublie.
J'avais faim, j'ai mangé ! J'avais soif, et je bois.
Plénitude ! Mon âme aussi se rassasie.
Te voici donc, douce lumière, sur les choses.
Je comprends : rien n'était arrêté, tout vivait.
Rien n'est changé ! Tout est divin comme autrefois.
Tout aime : au fond de tout quelque chose se donne,
Et les liens obscurs sortent de l'ombre morte...

Pour retourner dans le grand tout, sans tapage,comme il y était venu, il semble qu'il ait choisi son heure ! Quand Paris était vide, par un beau jour d'été, le 21 août 1927.

Mais à quarante-trois ans !

Trop tôt, pour nous surtout, pour ceux que sa voix, attaquant le grand hymne d'amour à la vie, caressait et réconfortait.

GABRIEL REUILLARD.

(L'Ami du lettré. Année littéraire & artistique pour 1929, Les Editions de France, 1928, pp. 156-158)