Les naturalistes, étonnés, l'avaient sacré Penseur.

Le Théâtre-Libre et Antoine avaient fait de lui leur Ibsen.

Penseur... Ibsen... ces mots-épithètes lui ont nui.

Curel, dans le théâtre de son époque, a été l'honnête homme, réfléchi, franc, rude. Il a fait contraste. Une boue niaise coulait ; il a fait barrage.

On n'a pas le droit, aujourd'hui, de ne pas lui en être reconnaissant; comme on n'a pas le droit de ne pas se sentir plein de respect pour un homme qui resta, fidèle à ses amitiés et qui fut sans bassesse. Honnête homme, réfléchi, ai-je dit. Mais on peut réfléchir sans être un Penseur, avec un grand P.

Curel a réfléchi sur la chose sociale, sur l'amour et l'instinct sexuel, sur la paternité, l'art, la religion, la patrie. Il a fait dialoguer l'instituteur et le curé. Il les a, de son mieux, aidés à raisonner.

Il a su faire accepter ses raisonnements par le public des théâtres. Le succès de l'Ame en folie reste un des rares bons points que l'on puisse accorder aux habitués des spectacles.

On aurait pu le comparer à Brieux, autre honnête homme, et apôtre social qui a voulu se servir du théâtre pour faire œuvre utile. Pourquoi diable avoir écrasé François de Curel en le lançant contre le grand pot de fer norvégien, Henrik Ibsen ?

Au-dessus des drames d'Ibsen, une pensée plane et s'étend sur les auditeurs. Dans les pièces de Curel, les pensées sont dans le texte. Elles sont récitées par les personnages. Elles sont des matériaux de discussion. Elles n'éveillent pas d'ondes.

Ah ! quelle belle pièce Curel eût réalisée peut-être s'il avait pu, s'élevant au-dessus de son solide cerveau, se laisser aller à son amour des bois et de la terre, s'il avait écrit une grande Fable de la Forêt !

Pour moi, je m'excuse auprès de ses admirateurs ; je ne peux ressentir devant son œuvre qu'une respectueuse estime.

FERNAND DIVOIRE

(L'Ami du lettré. Année littéraire & artistique pour 1929, Les Editions de France, 1928, pp. 143-144)