ÉCHOS

Mort de Marcel Chabrier. — Mort du douanier Rousseau. — Le Comité de la S. M. I. et M. Jean Marnold. — Une lettre de M. Teodor de Wyzewa. — A propos du monument de J.-J. Rousseau aux Charmettes. — Le Salon d'Automne. — Du Café. — Erratum. — Le Sottisier universel.

Mort du douanier Rousseau. — C'est une figure originale qui vient de disparaître avec le douanier Rousseau. Il avait de t'enthousiasme, la foi en son art de peintre et aussi ces qualités d'instinct, de spontanéité qui font défaut à tant de triomphateurs des salons. Malheureusement, le goût, la mesure, tout ce qui constitue, le talent, lui manquait. Il disait « On a dit que je suis un primitif. » Il en manifestait une grande fierté. Comme il était allé en qualité de soldat au Mexique, il avait gardé un inoubliable souvenir de l'extraordinaire végétation qu'il y avait contemplée. Il était poursuivi par l'idée de la reproduire dans les tableaux où on s'attendait le moins à la trouver. On l'a bien vu au dernier Salon des Indépendants, où il montra une femme nue étendue sur un canapé de velours rouge du style le plus bourgeois, au milieu d'une forêt vierge, tandis qu'un nègre jouait auprès d'elle du galoubet. Mais à la vérité ses toiles n'étaient ni plus ni moins ridicules que celles de beaucoup de fauves, et il avait du moins une sincérité parfaite.

Ce brave homme, qui avait fait « l'image mirifique du Père Ubu », comme disait le regretté Alfred Jarry, donnait quelquefois d'inoubliables fêtes dans ses logis lointains de Vaugirard ou de Montrouge. Les personnages les plus variés s'y coudoyaient des garçons bouchers, des gens vagues, des peintres, des poètes et des bourgeois ahuris. On y récitait des vers patriotiques et des poèmes étranges on y entendait même quelquefois de la vraie poésie.

Le pauvre Rousseau faillit malheureusement être victime de son admirable naïveté. Des filous l'exploitèrent si bien qu'il passa en police correctionnelle. Son avocat démontra que le pauvre ex-douanier était complètement inconscient. Ce ne lui fut pas très difficile ; il lui suffit de montrer au tribunal la peinture de son client, les juges sourirent en gens raisonnables qui s'y connaissent. Ils eurent Rousseau en profonde pitié et l'acquittèrent comme étant parfaitement idiot. Rousseau fit la bête durant toute l'audience avec héroïsme. Il accepta l'humiliation avec la sérénité d'un homme qui a la conscience de son génie.

Tel fut cet homme à l'esprit ingénu. Il ne lui manqua peut-être, pour devenir un grand artiste, que d'avoir pu être peintre dès sa jeunesse au lieu de commencer par être douanier.

Mercure de France, 16 septembre 1907, p. 377-378.