Jean de Gourmont

J. D., « Jean de Gourmont », Les Nouvelles littéraires, 25 février 1928, p. 2


ECHOS

Société anonyme du « Mercure de France» ; Assemblée Générale ordinaire.— Mort de Jean de Gourmont. — Epémérides de l'affaire du Journal et de la Correspondance des Goncourt. — M. Léon Riotor et l'Hôtel de Ville. — Mort d'un ami de J. K. Huysmans. — Marcelin ou Marcelin. — Le portrait de Soliman Pacha. — Sur un volume de Sénac de Meilhan. — La Bièvre par Claude Le Petit. — Le Sottisier universel. — Publications du « Mercure de France ».

Société anonyme du « Mercure de France » ; Assemblée générale ordinaire. — Les actionnaires de la Société Anonyme du « Mercure de France » sont convoqués en assemblée générale ordinaire le jeudi 8 mars prochain, à 18 heures, au siège social.

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Mort de Jean de Gourmont.Jean de Gourmont est mort le dimanche 19 février, 71, rue des Saints-Pères, dans cette maison où habita longtemps son frère et qui porte au-dessus de l'entrée une plaque avec ces mots : « Ici vécut Remy de Gourmont de 1898 à 1915. »

Jean de Gourmont était né, en 1877, à Mesnil-Villeman (Manche). Il collaborait au Mercure de France depuis 1903. A la mort de son frère il y avait repris la rubrique des Journaux sous la même signature R. de Bury. Il tenait également la rubrique Littérature pour la partie contemporaine.

C'était un homme de petite taille et de santé très délicate. Il ne s'était pas entièrement rétabli d'une grippe à forme pulmonaire dont il avait été atteint l'année dernière. Toutefois, rien ne faisait prévoir la soudaineté de sa fin. Mme Jean de Gourmont s'entretenait avec lui quelques instants avant sa mort ; elle le laissa seul dans son cabinet de travail une dizaine de minutes ; lorsqu'elle revint, elle le trouva sans vie.

Il avait un véritable culte pour la mémoire de son frère et avait créé avec les admirateurs de celui-ci un bulletin intitulé Imprimerie gourmontienne, qui donna de nombreux textes inédits et commentaires de l'auteur de Sixtine. L'art de Jean de Gourmont était très personnel ; l'heureuse influence de son aîné y apparaissait seulement dans le goût très vif pour la « dissociation des idées » et une extrême liberté d'esprit pour la critique des mœurs.

Voici une bibliographie sommaire de son œuvre à laquelle nous consacrerons dans notre prochain numéro une étude plus complète.

Jean Moréas, biographie critique, Paris, Sansot, 1905, in-18.

Henri de Régnier et son œuvre, Paris, Mercure de France, 1908, in-16.

La Toison d'Or, roman, Paris, Mercure de France, 1908, in-12.

Muses d'aujourd'hui, essai de physiologie poétique (Comtesse de Noailles, Gérard d'Houville, Lucie Delarue-Mardrus, Marie Dauguet, Renée Vivien, Elsa Kœberlé, Hélène Picard, Jane Catulle Mendès, Cécile Sauvage, Jeanne Perdriel-Vaissière, Laurent Evrard ; Paris, Mercure de France, 1910, in-18.

L'Art et la morale, tirage à part du Mercure de France, 1er juin 1912.

Notice pour Alfred de Vigny, collection des plus belles pages, Paris, Mercure de France, 1914, in-18.

Préface pour Dans la Tourmente de Remy de Gourmont, Paris, G. Crès, 1916, in-16.

Préface pour l'Amour veut être libre de Regina Régis, Paris, Perrin, 1917, in-16.

Préface pour Pendant la guerre, lettres pour l'Argentine de Remy de Gourmont, Paris, Mercure de France, 1917, in-18.

Préface pour Les Baisers de Jean Second [Jean Everaerts], traduction nouvelle de Georges Prévôt ; Saint-Raphaël, Les Tablettes, 1920, in-16.

Bibliographie des Œuvres de Remy de Gourmont (en collaboration avec Robert Delle Donne), Paris, Leclerc, 1922, in-8 ; n° 3 des Bibliographies nouvelles, collection du Bulletin du Bibliophile.

Souvenirs sur Remy, Paris, 1924, Les Enfants d'Edouard, in-16.

Préface pour Remy de Gourmont vu par son médecin, du Dr Paul Voivenel, Paris, Editions du siècle, 1924, in-18.

L'art d'aimer, roman, Paris, Editions du siècle, 1925, in-16.

Les obsèques de Jean de Gourmont ont eu lieu le 22 février en l'église Saint-Germain-des-Prés. Le corps a été transporté à Coutances (Manche), où il a été inhumé dans le caveau de famille.

(Mercure de France, 1-III-1928, pp. 499-500)


JEAN DE GOURMONT

Un admirable exemple de piété fraternelle.

Jean de Gourmont avait de Rémy de Gourmont un tel culte que, dans la maison de la rue des Saints-Pères, il avait gardé à l'appartement du disparu un aspect familier. Tout était en ordre, du désordre cher à Rémy. Les privilégiés que Jean de Gourmont a introduits dans le cabinet de son aîné ont éprouvé une émotion tendre : des yeux ils cherchaient le mort parmi le décor livresque, le cadre on peut dire bénédictin. Et, lorsqu'ils suivaient le cadet dans l'appartement de celui-ci, ils se sentaient comme dans l'annexe prévue, logique, du cabinet de Rémy. Là aussi les livres se partageaient avec les revues, les documents et les papiers de toute espèce, non seulement les bibliothèques, mais tous les meubles et jusqu'au plancher.

Jean de Gourmont, d'esprit précis, avait le goût d'un foyer tout en tohu-bohu. Ainsi il vivait à l'abri des agitations de la rue, du monde, et il pouvait mieux observer les problèmes intérieurs. Levé non avec l'aube mais avec le soleil de midi, il restait vêtu le plus longtemps possible du pyjama, chaussé parfois de sabots, ses gestes dégageant une lassitude éternelle. Pourtant ses amis ont surpris un commencement de transformation : le masque rasé, Jean de Gourmont, le rencontrait-on par exemple au cinéma du Vieux-Colombier, dont il aimait les jeux blancs et noirs, offrait un aspect césarien et il avait d'un gentleman. Eveillé, alors, il avait des propos où la spéculation spirituelle — si hautement chère à Rémy — gérait maints aperçus, maints paradoxes ingénieux.

Sa bonté, elle était de tous les moments. Si Jean de Gourmont avait ses inimitiés, prompt à mordre qui pensait mal de Rémy, il avait le sens de la confraternité et l'amitié fidèle. Mme Suzanne de Gourmont sait bien la qualité de son cœur, la compagne parfaite, qui à ses côtés tenait le ciseau du sculpteur cependant que Jean tenait la plume du critique ; vie harmonieuse la leur, et qu'il fallut pour rompre cette affreuse après-midi où Mme Suzanne de Gourmont trouva dans le cabinet de travail son mari brusquement décédé.

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Nous parlions de la plume du critique ; faut-il rappeler les livres consacrés à l'œuvre de Rémy de Gourmont, de Jean Moréas, de Henri de Régnier, et ces Muses d'aujourd'hui qui sont peut-être le premier livre qu'on ait écrit sur les femmes poètes ? Jean de Gourmont se manifestait habile à découvrir la pensée, du côté des sens comme du côté de l'esprit, qui anime l'œuvre poétique des femmes. Les mystères d'Eve et de l'amour rentraient dans sa sphère d'observation, d'analyse. Il l'a montré lorsque, le critique le cédant au romancier, il a donné ces livres : la Toison d'or, l'Art d'aimer, qui demeurent de hardies contributions aux problèmes de l'éveil et du désir.

Aux livres du critique et du romancier il faut adjoindre, inséparablement, les chroniques du Mercure, celle qu'il réservait aux livres d'essais, celle que depuis la mort de Rémy il signait, comme l'auteur des Promenades littéraires, R. de Bury. Mais le souvenir de Jean de Gourmont, où le chercherions-nous mieux que dans la vieille maison de la rue des Saints-Pères où non plus un, mais deux appartements gardent l'aspect exact qu'ils avaient au moment de deux départs sans retour ? La plaque commémorative de Rémy de Gourmont n'aura désormais tout son sens, disions-nous à la mort de Jean, que si le nom du cadet rejoint celui de l'aîné, liés l'un à l'autre comme ils le sont dans notre mémoire.

GASTON PICARD.

(L'Ami du lettré. Année littéraire & artistique pour 1929, Les Editions de France, 1928, pp. 144-146)

« La vie littéraire. Mort de Jean de Gourmont », Comœdia, 21 février 1928, p. 5


« Sur la mort de quelqu'un », Les Primaires, décembre 1927, p. 281-282