Gaston Leroux.


« ... Le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. » Cette phrase-là m'a beaucoup impressionné, beaucoup fait peur, et si je dis ce souvenir c'est que tous les lecteurs du Mystère de la chambre jaune le reconnaîtront pour leur. Une revue d'avant-garde, même, citait récemment la phrase de Gaston Leroux comme exprimant son goût d'une certaine angoisse, « ... La pénultième est morte », allait répétant Mallarmé « ... Le presbytère n'a rien perdu de son charme... », voilà notre « pénultième ».

Et si ces quelques mots troublent par eux-mêmes, combien puissant d'autant plus leur mystère, dans le roman, à leur place et à leur heure. La chambre jaune fut la chambre d'amour d'une génération. Là, nous avons été amoureux de mystère, — du mystère, celui qui commence par ces cris que pousse Mlle Stangerson, derrière sa porte verrouillée, une blessure à la tête. Le mystère était l'ami redouté mais adoré, le compagnon qui vous hante à la façon d'un fantôme, et pour ne pas renoncer trop vite à subir les attraits terribles de l'énigme, les voluptueux de l'esprit refermaient le livre sur un cinquième ou un sixième chapitre, impatients de ne pas connaître le mot de la fin. Ainsi j'en voulus à Rouletabille d'expliquer la phrase devenue notre prière du matin et du soir : « Le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. » Et j'ai haï le camarade qui ayant lu le livre d'un trait, l'idiot, le balourd, brusquement, d'une parole, me jeta au visage la clef de l'énigme. Les chères ténèbres s'évanouissaient, une lumière insolente et vaine faisait le vide à la place de la nuit chargée de contes, de chuchotements et de plaintes...

Si je n'ai pas parlé de Gaston Leroux, qui de reporter devint romancier, qui écrivit pour le théâtre, qui donna bien des livres à la suite du Mystère de la chambre jaune, c'est que citer ce livre-là c'est prononcer un juste éloge du maître de la peur dont une phrase longtemps caressera nos cauchemars délicieux.

Gaston PICARD.

(L'Ami du lettré. Année littéraire & artistique pour 1928, Grasset, 1928, pp. 167-168)