ÉCHOS

Mort de Pierre Quillard. — Mort de Hermann Bang. — A propos de la maison de Charles Lebrun, premier peintre du roi Louis XIV. — Une lettre de M. C. Bouglé. — Une lettre de M. Michel Puy. — Le Salon de la Libre Esthétique.– — Publications du Mercure de France. — Le Sottisier universel.

Mort de Pierre Quillard. — Pierre Quillard est mort le 4 février d'une crise foudroyante du cœur. Il était né à Paris le 14 juillet 1864. Il avait fait ses études au lycée Fontanes, puis il avait été élève de la Faculté des Lettres en même temps que de l'Ecole des Hautes Etudes et de l'Ecole des Chartes. En 1886, il avait fondé, avec quelques amis, la Pléiade : il y publia des poèmes et un mystère, la Fille aux mains coupées, qui, presque aussitôt, parut en plaquette, et fut représenté plus tard par le Théâtre d'Art. En 1890, Quillard donna son premier volume devers, la Gloire du Verbe. En 1897, il réimprima la Gloire du Verbe, avec de nouveaux poèmes, sous le titre : la Lyre héroïque et dolente. Depuis ce temps, il n'avait publié, à de longs intervalles, que de courts poèmes, et qui n'ont jamais été réunis en volume.

Des fortes études qu'il avait faites, Pierre Quillard avait gardé un amour profond et une science éclairée de l'hellénisme. Dès 1888, en collaboration avec son ami intime, Marcel Cottière, il avait publié une étude sur la langue des Syracusaines de Théocrite. Plus tard, il fit de belles traductions : l'Antre des Nymphes, de Porphyre (1893) ; les Lettres rustiques, d'Elien (1895) ; le Livre des Mystères, de Jamblique (1895) ; Philoktètès, de Sophocle (représenté à l'Odéon en 1896).

En 1803, il fut appelé à Constantinople, comme professeur au collège arménien de Saint-Grégoire l'Illuminateur. Il y resta jusqu'en 1896. Il connut les premiers massacres d'Arménie, et il vit l'oppression que souffraient du gouvernement d'Abdul-Hamid les peuples soumis aux Turcs. De retour en France, il prit ardemment la défense des Arméniens et des peuples opprimés. Par des conférences, par des articles de revues et de journaux, il divulgua l'état de l'empire turc. Pendant de longues années, il dirigea un petit journal hebdomadaire, Pro Armenia, qui ne disparut qu'après la révolution turque.

Quand éclata l'Affaire. Dreyfus, Quillard fut un des premiers à se lancer dans la lutte. Il fut mêlé, comme témoin, au procès Zola ; il prit part à de nombreux meetings en faveur de Dreyfus. L'Affaire terminée, it fut de ceux qui continuèrent à rechercher activement les abus et les injustices, à les dénoncer et à en poursuivre la réparation. Il avait été un des premiers adhérents de la Ligue des Droits de l'Homme depuis quelques mois, ilen était devenu le secrétaire général.

Tous ceux qui ont connu Pierre Quillard t'ont aimé. Une grande partie de son œuvre a paru dans le Mercure ; on se rappelle les études nombreuses qu'il y donna, études si variées et toujours si solides, si sagacesl'on n'oubliera pas la fermeté bienveillante avec laquelle il critiquait lesœuvres des poètes contemporains.

Pierre Quillard a été inhumé le y février dans le cimetière du Père-Lachaise son cercueil fut transporté du corbillard au caveau par huit jeunes Arméniens, à qui on avait permis de lui rendre ce suprême hommage si mérité. Des monceaux de fleurs et de couronnes avaient été envoyées. Le nombre et la qualité des personnalités littéraires et politiques présentes témoignaient d'ailleurs que Pierre Quillard avait su garder la sympathie même de ses adversaires.

Nous avons reçu les télégrammes et lettres qui suivent :

Pera, 6, 8 h. 45.

Frappés perte inattendue Pierre Quillard, vaillant directeur Pro Armenia, défenseur peuples opprimés. Envoyons vives condoléances membres collaborateurs Pro Armenia : Pressensé, Anatole France, Clemenceau, Jaurès, Bérard, Roberty, d'Estournelles, Cochin, tous ceux qui ont soutenu cause notre peuple grands jours malheureux. Sa chère mémoire vivra parmi nous dans œuvre relèvement fraternisation races orient.

DACHNAKTZOUTIUN.

6 février 1912.

Je ne connais pas la famille de sang de Pierre Quillard. Mais le Mercure était sa famille d'esprit, et c'est à vous que je dis tout de suite, en apprenant l'affreuse nouvelle, ma stupeur et mes regrets.

CHARLES MORICE.

Bruxelles.

Votre société perd irréparablement un homme charmant : Pierre Quillard nous quitte, peut-être absolument. Permettez moi de pleurer avec vous sa courtoisie alerte et sa bonne figure.

CH. CANTACUZENE.

Toulouse, 7 février.

J'apprends la mort de Pierre Quillard. Je ne l'avais pas oublié. Si nous différions totalement d'idées, je lui gardais toute ma sympathie. Je le regrette beaucoup. Voulez-vous être auprès de sa famille et de ses amis mon interprète ?

BRUCHARD.

Draguignan, 7 février.

Félix Colomb ne veut pas laisser passer l'abominable disparition qu'il vient d'apprendre sans adresser à la rédaction du Mercure et à la famille de Pierre Quillard l'expression de sa douleur, et son salut à la mémoire du délicieux poète de la Gloire du Verbe et de l'ami de toutes les nobles causes ainsi que de toute notre magnifique antiquité grecque.

Mercure de France, 16 février 1912, p. 890-892.