LA VIE ANECDOTIQUE

Léo Rouanet vient de mourir dans la force de l'âge. Ceux qui l'ont connu se souviendront toujours de son humeur parfaite et enjouée, de sa science et de son goût. Il avait consacré sa vie à l'étude des lettres espagnoles et portugaises. On lui doit la traduction des Drames religieux de Calderon, plusieurs éditions et traductions de pièces espagnoles du XVIe et du XVIIe siècle, un volume de Chansons populaires espagnoles traduites en regard du texte, une bibliographie critique du théâtre espagnol en collaboration avec M. Alfred Morel-Fatio. Léo Rouanet, qui aimait les arts, goûtait grandement les œuvres du sculpteur Aristide Maillol, dont quelques tapisseries tissées avec de la laine envoyée par la reine de Roumanie, Carmen Sylva, et teintes avec des couleurs extraites de certains végétaux par l'artiste même, ornaient sa maison. Ayant su que ses amis : MM. Elémir Bourges et Armand Point, languissaient de ne pouvoir lire les propos de Michel-Ange sur l'Art, rapportés par le Portugais Francisco de Hollanda, Léo Rouanet, afin de satisfaire cette curiosité légitime, traduisit aussitôt les Quatre dialogues sur la peinture, et cette traduction, avec l'introduction qui la précède, forme, à mon sens, un chef-d'œuvre.

Tout récemment encore, Léo Rouanet publiait un ouvrage surprenant, traduit en collaboration avec Marcel Lami qu'il est allé rejoindre au delà de la vie : Les Mémoires du Capitan Alonso de Contreras lequel de marmiton se fit commandeur de Malte. Ce récit véridique est bien un des ouvrages les plus curieux qui soient, pour la bizarrerie de la trame autant que pour l'énergie du style.

Guillaume Apollinaire, Mercure de France, 1er décembre 1911, p. 660.