Georges Spitzmuller.

A le voir souriant, cordial, empressé, curieux de tout, sensible aux biens de ce monde, nul n'aurait pensé qu'il savait sa mort. En 1916, après un rude hiver au Hohneck, le capitaine d'artillerie Georges Spitzmuller fut évacué. Les médecins découvrirent que sa forte constitution était atteinte. On lui dit : « Avec votre cœur, vous pouvez vivre encore cinq ans, si vous prenez d'infinies précautions. » Sa première précaution fut de repartir au front. Il déconcerta les prévisions de la Faculté, en doublant le délai fixé. Croyait-il vraiment au diagnostic cruel ? Il aimait trop la vie pour douter de son triomphe. Si, parfois, il songeait à la prédiction, une sérénité apparente, accentuée de. rires et de verve, dissimulait aux autres l'inquiétude secrète.

A quatre ans, il s'adaptait au monde dans Belfort assiégée. Cinquante ans plus tard, il commandait une batterie sur un sommet des Vosges. Au cours de ce demi-siècle, il consacra son activité aux lettres, sur un rythme accéléré. De brillantes études achevées par un prix de rhétorique au Concours général, un livre d'histoire sur La Conspiration de Belfort et l'affaire Caron auraient pu l'entraîner vers une carrière d'érudition et de recherches. C'était compter sans l'intervention du journalisme, dieu de la chance et de la fantaisie. Sur sa table de rédacteur en chef du Libéral de l'Est il avait écrit un roman destiné à un concours organisé par Le Petit Journal. Son manuscrit fut le seul retenu. La Providence précisait sa vocation. Sûr des dons dont il venait de tenter la mesure, il choisit Paris comme le point le plus élevé d'où il pourrait précipiter l'avalanche de romans que son imagination ébauchait déjà.

Il écrivait avec voracité, au point d'avoir été accusé un jour d'utiliser des nègres. On suspecte facilement la probité d'un auteur à l'invention agile et primesautière, qui disperse aux quatre coins de la presse des récits pathétiques, où la cape flotte au vent, où l'épée étincelle au clair de lune.

Georges Spitzmuller a contribué, pour sa part, à réhabiliter le roman populaire. Il lui plaisait de distraire un public nombreux et divers, de l'entraîner dans des aventures de tendresse et d'héroïsme, de préférer le mouvement de la phrase au fini du style, de captiver par des intrigues sans épisodes scabreux, de montrer des personnages à panache plutôt que des freluquets à veston étriqué.

Il composait dans l'allégresse, avec l'aisance que donnent la bonne humeur et le désir de séduire, sans escompter une renommée raffinée. Plusieurs de ses ouvrages révèlent des ressources d'érudition, de mesure, de goût délicat. Il aurait pu les développer, mais il mettait sa coquetterie à les suggérer simplement. La spontanéité de son imagination, la vivacité de sa plume, la souplesse de ses qualités lui ont permis d'aborder plusieurs fois le théâtre avec un certain succès. Neuf mois après sa mort, le théâtre de Mulhouse créait un opéra dont il avait écrit l'agréable livret.

La disparition de Georges Spitzmuller a affligé le grand public anonyme à qui il fournissait, chaque matin, des minutes de gaieté ou d'émotion. Elle a appauvri d'une amitié précieuse et réconfortante ceux qui le connaissaient et l'appréciaient.

Georges BERGNER.

(L'Ami du lettré. Année littéraire & artistique pour 1928, Grasset, 1928, pp. 168-170)