Il n'y a pas d'espérance
Et il faut travailler
Les vies encloses sont les plus denses
Tissus stéganiques
Remy de Gourmont habite au 71, rue des Saints-Pères.
(Blaise Cendrars)


carte de visite offerte par la librairie Saunier

Mes frères en religion gourmontienne ont plusieurs fois décrit la fameuse maison du 71 de la rue des Saints-Pères, l'accueil dans le laboratoire cérébral encombré de livres d'une valeur inestimable, l'attitude favorite du Maître derrière la table célèbre. On y viendra plus tard en pèlerinage demander la force et l'indépendance de la pensée. J'ai déjà pénétré avec cet état d'âme dans la maison de l'ajusteur de lunettes, Spinoza (Dr Paul Voivenel).

André Rouveyre, Souvenirs de mon commerce

Chaque fois que je passe devant le numéro 71 de la rue des Saints-Pères, et cela m'arrive fort souvent, je donne une pensée à l'écrivain qui acheva là l'étape humaine, et mon démon familier me joue chaque fois le même tour.

Une plaque scellée au mur de la maison dit que Rémy de Gourmont y vécut, et j'ajoute au texte lapidaire et je recompose ainsi l'inscription : Rémy de Gourmont vécut ici fort médiocrement, mais il y écrivit beaucoup et bien, ce qui importe seul à un écrivain français. [...] Je l'ai vu plusieurs fois dans son appartement. Il venait ouvrir lui-même la porte et les pièces où l'on entrait étaient pleines de bouquins. Il y en avait partout. Je veux dire par terre, car je n'arrive pas à me souvenir des meubles que possédait l'écrivain, à part sa table, et quelques fauteuils dont certains n'étaient même pas gainés. Il avait laissé l'étage en dessous à Mme de Courrières et je savais que ce déménagement avait été une ...ascension, la mère Courrières, comme Pierre

de Querlon, Emile Despax et moi l'appelions alors, étant une vieille dame tumultueuse et singulière. [...] Je songe à tout cela, sur le trottoir de la rue des Saints-Pères, et revois là-haut, Rémy de Gourmont travaillant près d'une croisée sans rideaux qui donnait sur les toits aux vieilles tuiles du sixième arrondissement, un homme disgracié, intelligent, malheureux, seul devant une table, couvrant des feuilles de papier de sa petite écriture claire de grand écrivain français... (Léo Larguier)


André Rouveyre, Souvenirs de mon commerce

Dans ses Souvenirs de mon commerce, André Rouveyre illustrant son livre, donne, en gravure sur bois, un plan de l'appartement de Gourmont, rue des Saints-Pères. Rouveyre mesure les espaces qu'il ne meuble point. Il a négligé de traiter au canif entamant le buis, le pot de chambre plein, ornement principal de la plus belle pièce de l'appartement. C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire. [et André Salmon de rapporter les propos de Jean Mollet disant d'Apollinaire qu'il] « ne voulut jamais aller rue des Saints-Pères où Gourmont habitait. Lorsqu'il avait une communication à lui faire, ou des manuscrits qu'il voulait lui faire lire, il m'envoyait... L'appartement était terrible, plein de poussière, avec derrière le bureau le grand homme, enveloppé d'un foulard de laine et vêtu d'une robe de chambre innommable. Il n'y avait pas moyen de rester là dix minutes. » (André Salmon)

Capharnaüm singulier de livres, de cartes postales, de vues d'optique. (Apollinaire)

L'horloge de l'Institut sonne cinq heures. Des livres sous la pèlerine de son manteau, il quitte le quai, marchant vite, la tête très droite, humant l'air. Il monte la rue des Saints-Pères, pour rentrer chez lui. La cour est ancienne : dans le petit jardin, deux jeunes arbres font de leur mieux pour grandir, troublés par l'hostilité du milieu. Au troisième, sa porte a pour cordon de sonnette une chaîne de cuivre. Elle s'ouvre, lourde de tapisseries. De vieilles étoffes frangées de dorures pendent dans le vestibule.

Il revêt sa robe de velours noir, coiffe son bonnet de feutre et s'assoit dans le grand fauteuil d'osier de son cabinet. Du plancher au plafond les livres s'alignent à l'infini, vieux et jeunes ; mais il y a place, néanmoins pour une armoire de Boule (les belles éditions et les parchemins), des fauteuils, des bibelots, des peintures et des estampes et une grande statue de bacchante que patine à souhait la poussière des vieux livres.

André Rouveyre, Souvenirs de mon commerce

Le thé fume. Il prend sa blague, une feuille de papier à cigarette dont il déchire un petit morceau, roule son tabac, fume. Il travaille ardemment et longuement, et il travaille encore quand le thé froid a jauni le fond de sa tasse et quand les bouts de cigarettes ont empli le plat à tabac (Pierre de Querlon).

J'ai encore à l'épiderme le courant d'air sous la voûte de la porte cochère, et je tourne le bouton de la loge vitrée de sa concierge. — Ah ! bon, il est là... Voici la petite cour, son arbre intérieur rétif à l'assassinat du terrain empierré. Un coup d'œil tout là-haut dans le flanc du mur, où est une petite fenêtre près de laquelle je sais qu'il écrit. Puis les cinq étages de son étroit escalier, où on rencontre toujours en guet Mme de Courrière, qui inspira autrefois Huysmans, et veille maintenant sur le repos d'un autre solitaire. Voici la petite porte avec, dessus, la carte jaunie là, imprimée : « Remy de Gourmont ». Je pense que je vais entrer dans le logement sombre et silencieux, hormis la douce clarté de la fenêtre du fond. Logis tout ouaté du sommeil des livres accumulés là, sur des rayons, ou pêle-mêle avec tant d'autres choses dans la demeure. Sur la cheminée, le portrait troublant et languissant de donna Paola Baroncelli.

Un coup d'œil dans la cage de l'escalier, un arrêt, un sourire de joie répandu en moi, et je tire le cordonnet qui, sans la moindre résistance, fait tinter la clochette à l'intérieur parmi le silence et la méditation (André Rouveyre).

Je gravis avec Larreta les cinq étages de Remy de Gourmont. C'est tout en haut du 71 de la rue des Saints-Pères ; on y monte par un escalier étroit, sale... ; Remy de Gourmont nous ouvre lui-même ; il est hideux, avec cette sorte de lèpre qui le ronge, ses grosses lèvres fendues, décolorées, d'où suinte une bave purulente. Mais tel quel, avec ses vêtements débraillés et sales, et cette espèce d'étoffe ceinte au cou d'une chaîne d'argent garnie d'améthystes, tel quel il est le plus bel ornement de son local. Tout de suite, en entrant, une petite table en bois blanc avec une cuvette, un savon ; cela sert aussi de cuisine, puis un couloir garni de tous les volumes dépareillés de la terre, enfin la chambre où il travaille. Partout le plus mauvais goût. Un héron de faïence flanqué de deux grosses fleurs artificielles, orne sa cheminée poussiéreuse. Un portrait de Baudelaire à cinq centimes est épinglé au mur. Avec deux photos de Manet et de Titien, des femmes nues, c'est le seul luxe de cette bibliothèque en bois blanc. De nombreux rayons sont garnis de vieilles boîtes de cirage et de bonbons ; il y en a toute collection. Dans un coin une bibliothèque vitrée contient quelques-unes de ses œuvres en grand papier et des cartes à jeux du XVIIIe siècle, qui montrent les faces coloriées de la reine et du valet (E. Champion).

Ce grand artisan des lettres françaises vivait très haut dans une maison de la rue des Saints-Pères, au numéro 71, entouré de ses outils de travail, la lampe, les plumes, le papier, les cigarettes, un fauteuil d'osier placé entre deux tables en équerre chargées de livres — les derniers qu'on vient d'écrire — et un vase plein des fleurs de la saison, giroflées cuivrées, pois de senteur, roses ou glaïeuls. Trois côtés de la muraille sont tapissés de livres, serrés les uns contre les autres du plafond jusqu'au parquet. Une croisée d'où l'on voit la perspective des toits parisiens et les lumières s'allumant aux fenêtres de la cour aux heures du soir. Il fait bon, il fait tiède, il fait loin dans la cellule de ce moine (E. de Gramont).

Préparant un volume sur les dessins d'écrivains et désirant obtenir quelque croquis de Gourmont, je me présentai donc un matin de 1913 dans cette vieille maison de la rue des Saints-Pères au rez-de-chaussée de laquelle Bernouard imprimait Schéhérazade et d'élégantes plaquettes.

Dans la cour voletait et sautillait une mouette aux ailes coupées.

Par un curieux hasard mon père était l'architecte de cet immeuble et mon propre frère devait, un peu plus tard, orner de vignettes la réédition du Latin mystique parue chez Crès (Edouard Deverin).

[Apollinaire] venait souvent au 71 de la rue des Saints-Pères, chez Remy de Gourmont. Il s'arrêtait dans la cour de cette maison où jouaient un lapin blancc et un lièvre autour d'un arbre que Pierre de Querlon a chanté (E. Zavie).

Suzanne de Gourmont

Ceux des assistants qui ont connu Gourmont ont été invités à monter chez lui, dans son appartement conservé tel quel depuis sa mort. Je suis monté en même temps que Vallette et Rachilde. Vallette et moi avons pensé tout de suite à la petite fenêtre du palier, tendue d'un rideau rouge, par laquelle Mme de Courrière espionnait tous les gens qui montaient chez Gourmont.

Le local est bien resté le même. J'ai été ému en revoyant la pièce dans laquelle recevait Gourmont, la place à laquelle je m'asseyais en face de lui, à côté de la petite horloge de campagne qui est toujours à la même place. Sur l'écritoire de Gourmont, une grande feuille de buvard, encore marquée de sa dernière écriture. Jean de Gourmont a seulement ajouté dans les coins de la pièce des moulages d'œuvres de Clésinger. Il m'a pris à part un moment pour me dire : « Tenez, voilà qui va vous faire plaisir » en me montrant la double fenêtre que Gourmont avait fait grillager, les carreaux ôtés, pour que sa chatte Mimi puisse se mettre à la fenêtre sans risquer de tomber (Léautaud).


Raoul Dufy


Pour honorer le bonze du 71

Léautaud, vieux dandy,
S'éblouit d'un pétase !
Un pétase inédit ! (Fagus)