Je n'ai pas la nostalgie de la terre natale.

Esprit désintéressé de tout et intéressé à tout

Il y a quelque chose de moi dans le Frédéric de l'Education sentimentale.

Quand je vois une main peinte sur un mur, indiquant une direction, je regarde instinctivement du côté opposé. Dans la rue, je remonte toujours les courants de la foule, je vais où personne ne va. La voix qui crie : Suivez le monde ! me fait peur.

Ayant naturellement l'esprit très pessimiste, il n'est aucune hypothèse néfaste qu'à certains moments je n'ai roulée dans ma tête.

Et je suis de ceux qui écrivent mieux qu'ils ne parlent.

Je ne parle que lorsqu'on m'interroge, il n'y a guère d'épanchements intimes.

Je me suis toujours, en ces dernières années, défendu contre le pessimisme et contre l'amertume de la vie. Je m'entête à la considérer comme bien faite, en ce qu'elle est, et on ne me fera pas dire que les peines y surpassent les joies et même les abolissent. Mais comment faire pour la regarder sans ironie ? On peut vaincre le dépit, on peut vaincre la disgrâce, mais l'ironie ? Comment voir, sans un sourire intérieur, s'en dérouler la perspective ? J'ai désiré et j'ai accompli mon désir. Sans doute, et après ? Il faut toujours en venir là, et cela ne manque pas d'un certain comique que tout aboutisse au néant.

Un homme qui vit enfermé ne juge pas la vie comme un homme qui se promène sans cesse. Il y a quelquefois dans la perversité, dans le dédain et dans le mépris de Remy de Gourmont quelque chose d'un moine ardent et claustré.

Il avait une grande liberté d'esprit, une grande indépendance de jugement, et il avait cette grande qualité d'accepter, peut-être même d'aimer cette liberté et cette indépendance chez les autres. On pouvait ne pas être de son avis et le lui dire (Léautaud).

La vraie tradition d'un esprit français est la liberté de l'esprit. Discuter à nouveau toutes les questions, n'en admettre aucune telle que résolue a priori, ne se rendre qu'aux meilleures raisons et considérer comme les meilleures celles qui contiennent un principe d'indépendance. Se souvenir qu'il n'est pas de tradition qui vaille contre la tradition de la liberté. Etre soi, regarder de travers ceux qui vous parlent au nom d'un dogme, mais ne pas être dupe de soi-même et ne pas vouloir imposer à autrui une liberté dont la constitution de leur cerveau les rend incapables.

J'aime à voir les choses par moi-même, habitude d'esprit irrespectueuse et peut-être fâcheuse, car la vie est courte et cela ferait gagner du temps de s'en rapporter aux autres.

J'aime la perfection, quoique j'en aie dit du mal.

II a eu un jour un mot amusant pour qui le connaissait. M. Alfred Vallette lui parlait de la timidité qui a été le propre des gens du Mercure à l'origine, timidité à laquelle ils ont dû, vivant entre eux à l'écart, sans rien demander à personne, leur hardiesse et leur liberté d'esprit. Il parut étonné, et d'un air assuré, comme s'il se défendait : « Je ne suis pas timide ! » En réalité, il l'était plus qu'aucun autre (Léautaud).

Je n'ai pas l'âme sentimentale, ni lacrymatoire ; je ne pleure pas sur l'innocence persécutée : cela ne me regarde pas ; le créateur du monde est responsable du monde et non un humble passant.

« Je n'aime que les gens qui recèlent un peu d'infini ». Jugez si j'aime beaucoup de personnes !

Je passe pour insensible et dur, et j'aime qu'on le croie, mais pas vous. J'ai tellement voulu refréner, et dominer ma sensibilité, que j'y suis parvenu, quelquefois trop bien.


Causeur, de bonne humeur, plaisantant volontiers avec les gens qu'il connaissait, qui lui plaisaient, dont il avait l'habitude. Bourru, renfrogné, désagréable, pour ne pas dire plus, avec les étrangers et les importuns. Il avait ses habitudes. Il ne fallait pas que rien vienne l'y déranger. Le fauteuil dans lequel il s'asseyait près du bureau de M. Alfred Vallette était considéré par lui comme sa propriété à partir de six heures du soir. Il ne tenait pas en place, il marquait visiblement son mécontentement, piétinant et maugréant, s'il le trouvait occupé à son arrivée. Pour un peu, il l'aurait pris, soulevé de terre et secoué pour en chasser l'occupant. Un soir, il était assis dans mon bureau. M. Victor Barrucand, de passage au Mercure, entre. Il voit Remy de Gourmont. Il s'approche, et, son chapeau à la main, s'inclinant : « Monsieur de Gourmont... Je suis M. Victor Barrucand. » Gourmont leva la tête avec cet air ébahi qu'il avait quelquefois. Il regarda M. Barrucand. « Qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse ? » dit-il. Il se leva, prit son fauteuil, lui fit faire un demi-tour et se rassit, le dos tourné au visiteur (Léautaud).


[Apollinaire] nous donnait un jour, rue des Saint-Pères, la recette pour ne pas intimider Gourmont.

— Ne le regardez pas en face, disait-il, sinon il se taira. Mais parle-lui sanbs lever les yeux, sans tourner la tête de son côté, et vous entendrez cet homme étonnant s'exprimer sans crainte, avec abondance (E. Zavie).