Gourmont, par lui-même.

1886. L'année lumière : amour fou pour Sixtine et découverte du Symbolisme.

1891. L'année terrible : révocation de la Bibliothèque nationale à cause du Joujou patriotisme et début du lupus tuberculeux, qui ravagera le visage de Gourmont et fera de lui un « reclus ».

Je n'ai jamais vu André Gide. Je souhaite de ne jamais le voir. Peut-être que sa calvitie me déplairait, je ne sais, comme m'aurait peut-être déplu la lèpre de Remy de Gourmont, le cou apoplectique de Stendhal, la saleté de Beethoven (E. Martinet).

Il a donné les chancres à la verge
Il a donné à Gourmont la Beauté
Il a donné le parfum à l'asperge
Mais à Souza il a donné – l'e muet.
(J. de Tinan, Dieu fait bien ce qu'il fait !, cité par J.-P. Goujon)

Echange de propos sans importance, on se promène quelques instants sur le quai. Le malheureux est horrible et son visage est véritablement celui d'un lépreux (L. Bloy)

Il n'était pas laid, malgré son visage ravagé. Du moins, je pense bien qu'on s'y habituait quand on le connaissait. Il avait de beaux yeux, un regard fin, brillant . La méditation se lisait sur son visage (P. Léautaud).

Certes, comme le marque Paul Léautaud, il n'était pas laid malgré son visage ravagé, et,. tout de même, quelques peintres l'ont bien fait voir. Toutefois le même Léautaud rappelle qu'une femme, voisine d'omnibus, se couvrit les yeux de son mouchoir, qu'une autre, voisine de restaurant, se leva pour changer de table... (P. de Querlon).

Remy de Gourmont, esquisse de Joseph Quesnel.

Regrettant que je n'aie pas connu les yeux de Verlaine, il me disait qu'ils étaient extraordinaires ; comme un ciel bleu où passaient des nuages clairs. Mais ceux de Gourmont lui-même ? Quel bonheur a celui se souvenant qu'ils posèrent dans les siens leur lumineuse lucidité ! La sérénité parcourait sa face malgré la dévastation du foudroiement corporel. La bleuité d'acier du regard fixait et ravissait par son étonnante spiritualité, touchant le noyau même de notre être, ou arrêtant soudain quiconque d'une épouvantable indifférence qui le jetait à néant (A. Rouveyre).

Je ne devais revoir Rémy de Gourmont que sept ans plus tard, à la veille de la guerre de 14, au Café de Flore, comme je l'ai mentionné dans la Main coupée et je lui ai alors raconté comment j'avais tué un lépreux (B. Cendrars).

Remy de Gourmont, par P.-E. Vibert.

— C'est ça. Vous y êtes... et je n'ai jamais oublié, Blaise Cendrars, l'histoire du lépreux que vous nous avez racontée...

— Je me souviens. Rémy de Gourmont était très impressionné par un article du « Temps » qui donnait la statistique des lépreux dans le monde et parlait d'une recrudescence de la lèpre en France. Alors, je lui ai raconté l'histoire du lépreux dont je m'étais débarrassé en lui faisant absorber une jatte de lait. C'est le premier homme que j'ai tué. J'étais tout gosse... (B. Cendrars)

- Oui, monsieur, vous avez devant vous un monstre, et pas seulement dans le sens latin du mot. On me juge un monstre intellectuel, car je ne m'incline pas devant les mythes courants [...]. Et je suis un monstre. Au point de vue physique : mon visage défiguré fait horreur aux belles dames et aux jolis messieurs. Vous aussi, il me semble, ne ressemblez pas à un Adonis ou à un Antinoüs. Mais consolez-vous : la laideur est très favorable à l'amour de la liberté et de la vérité (R. de Gourmont à G. Papini).

La maladie le défigure. Il semble tombé dans un four d'alchimiste. Le visage grêlé, boursouflé de scories, il devient un morceau de mâchefer ambulant (Paul Guth)

A l'arrivée du train, sur le quai, leur père les attendait. Il vit venir Jean de Gourmont, accompagné d'un autre voyageur. Il lui dit : « Eh bien, où est Remy ? Tu ne l'as donc pas amené ? » Remy de Gourmont était devant lui. Il ne le reconnaissait pas (P. Léautaud).

Remy de Gourmont, par André Rouveyre.

Le terrible dessinateur André Rouveyre l'a dit atteint de la lèpre et nous a laissé un portrait puissant : « Cette maladie d'un autre âge [...], en rongeant et en sculptant sa face y avait fixé la lèvre inférieure dans la position du dédain. En sorte que cela corrigeait, en la surmontant moralement, la lente désagrégation de tout son masque, brûlé, cicatrisé, et tumescent au voisinage des muqueuses [...] ». Rouveyre se trompe. Le mal de Remy de Gourmont n'était point la lèpre, sinon du point de vue symbolique [...]. En revanche tous les signes de lupus tuberculeux guéri. Maladie effroyable commençant souvent par le nez ou les lèvres, envahissant peu à peu la totalité des joues (Dr Paul Voivenel).

Le lupus, affection de la peau d'origine tuberculeuse localisée le plus souvent à la face, fait partie au XIXe siècle des maladies les plus redoutées et les plus frappantes pour l'imagination. Le personnage d'Elise Rouquet a sans doute eu pour modèle Marie Lemarchand, de Caen, que l'on disait guérie miraculeusement d'un lupus. C'est du moins ce qu'affirme Huysmans dans Les Foules de Lourdes. Zola avait pu la voir le 22 août 1892 à l'Hôpital Notre-Dame des Douleurs (note de J. Noiray dans son édition de Lourdes).

Au café de Flore, où il se rendit plusieurs fois avec Vibert, il ne lui cacha pas son agacement et son mépris pour la curiosité parfois si bêtement moqueuse, qu'il suscitait parmi les consommateurs. Qu'y pouvait-il s'il n'avait pas le don de leur plaire ? Tout le monde n'a pas le privilège d'être assez médiocre et banal pour passer inaperçu aux yeux des imbéciles.

C'est dans ce café de Flore qu'un jour, Vibert, qui ne goûtait guère le cubisme lorsqu'il dissociait les éléments constructifs des figures, répliqua à Remy de Gourmont qui, lui, approuvait cette dissociation comme une bizarre manifestation de l'intelligence, par un poème qu'il bâcla, sur le champ, à la manière cubiste, c'est-à-dire en rompant avec toutes les traditions et en bouleversant toutes les règles, choses point trop négligeables. Un peu désorienté, Remy de Gourmont, à la lecture de ce poème, approuva in tacitu son interlocuteur. Appliqué à la littérature, le procédé qu'il admettait en peinture, lui parut, évidemment, beaucoup moins soutenable. Et sans doute se félicita-t-il de ce que Vibert ne traita pas son effigie en usant des procédés qu'il avait un instant défendus.

Vibert fit de lui, d'abord deux dessins, puis un portrait gravé sur bois. A sa réception, Remy de Gourmont répondit par ce petit billet : [...] Cette fois le portrait me plaît, autant que peut me plaire une figure dont je ne suis pas amoureux. La ressemblance est évidente me semble-t-il. Donc je vous remercie et vous fais mon compliment.

[...] Il y a beaucoup d'amertume dans ces quelques mots. Vibert comprit qu'il avait été d'une probité un peu trop brutale peut-être. Il recommença une autre étude ; et c'est alors qu'il fit l'admirable portrait, gravé sur bois également, publié en tête des Divertissements par Georges Crès, dans la belle édition des Maîtres du Livre (E. Martinet).

Remy de Gourmont, par P.-E. Vibert.

Un jour, un mal singulier s'empara de la face de ce patient des lettres, moine roi et martyr. Cela le préoccupa.

— Pourquoi, lui dis-je, vous soucier d'une tare physique, preuve même de votre vocation ?

— Il se mit à rire doucement et, hésitant sur les syllabes comme sur un jeu de jonchets dont on ne veut déplacer, habilement, que les principales pièces :

— Je sais bien que je ne suis pas beau. Je ne tiens pas à faire peur. Moyen vulgaire.

— Qu'importe ! Vous avez le signe.

Il me regarda, d'un frais regard d'enfant amusé.

— Un signe ? Quel signe ? Rachilde, des complications d'amour en honneur chez les dames de lettres, j'ai la plus grande horreur. J'aime, j'aimerais la volupté pure, car, l'amour doit être dépouillé de sa grossière violence. Mais, voyez-vous bien qu'elles n'osent plus m'embrasser, qu'elles redoutent on ne sait trop quelle contagion ?...

Les beaux yeux s'emplissaient d'une buée [...]. Je me dressai sur les pointes, je pris sa tête à deux mains et je baisai pieusement le signe fatal de la gloire, l'étoile du front.

— Oh ! fit-il, de mauvaise humeur, vous avez fait cela parce qu'il y avait du monde ! ... (Rachilde)