Un livre qui a beaucoup compté pour moi, c'est Sixtine de Remy de Gourmont (Cendrars, répondant en 1956 à la question de Point de vue & Images du monde : Pour quel auteur avez-vous la plus vive admiration ?)

Parmi ses romans lequel acclamer pour la course au définitif ? Sixtine ? oeuvre remarquable mais surtout comme « travail symboliste » chef-d'œuvre au sens des anciennes corporations (H. Mazel).

Nous avons de lui un roman, Sixtine. C'est un poème un peu touffu qu'il a dû écrire, le haut rêveur de lettres, dans la tour d'ivoire de ses beaux songes, loin de la vie (V. Charbonnel).

Il y aura lieu, naturellement, de faire le départ entre les différentes parties de son œuvre, dont une est assez lointainement datée : celle du poète, du dramaturge et du romancier du Vieux Roi, de Théodat, des Proses moroses, des Histoires magiques et de Sixtine, dont le symbolisme et les façons de dire ont beaucoup vieilli (E. Henriot).

Son premier ouvrage important parut en 1890 : Sixtine.

C'est un « roman de la vie cérébrale » où l'intrigue amoureuse a si peu d'importance qu'elle pourrait n'être pas. Hubert d'Entragues, jeune littérateur, note quotidiennement ses émotions devant la vie, les analyse, les retourne jusqu'à ce qu'il en ait découvert le mécanisme secret. Il se regarde aimer Sixtine. Cette curiosité dissociatrice l'empêche même d'agir ; il s'arrête au seuil de l'acte. On n'agit pas dans Sixtine ; la vie y est toute en dedans.

Ce livre, rempli d'idées neuves et de paradoxes, aujourd'hui vulgarisés et devenus presque des lieux communs fut, pour les jeunes écrivains de cette génération, une révélation et une indication (P. de Querlon).

Sa richesse, mais surtout sa nouveauté. Les jeunes gens de 1890 furent à l'évidence requis par ce qui demeure, quoi qu'on veuille ou qu'on dise, le roman symboliste par excellence (H. Juin).

Il aurait été un bien autre écrivain encore s'il n'avait eu pendant longtemps l'esprit abîmé par les maniérismes de l'école « symboliste ». Sur la fin de sa vie, après l'avoir détesté dans sa jeunesse, il a confessé son admiration pour Voltaire, en la motivant. Quel chemin parcouru depuis Sixtine et depuis Merlette ! Quand je lis ses derniers écrits, je ne suis pas loin d'être assuré qu'il devait être arrivé à penser que bien écrire consiste uniquement à dire ce qu'on veut dire et à le dire clairement et simplement, et que le beau style est en réalité le plus mauvais style (P. Léautaud).

[Ses] romans me paraissent tout à fait attachants et ingénieux. Le premier en date, Sixtine, accomplit le tour de force d'être limpide, bien qu'écrit selon la mode symboliste de 1890 : et ce n'est pas seulement un récit divertissant, c'est aussi un document exact que les historiens de la littérature consulteront avec fruit. Plus d'un vieil homme de lettres y revivra sa jeunesse. C'est bien ainsi qu'on pensait et que l'on conversait entre initiés du symbolisme (P. Souday).

Déjà, dans sa très singulière et parfois très belle Sixtine, M. Remy de Gourmont mit bien de la finesse à décrire par le menu nos « états évanescents » (Ch. Maurras).

« En contemplant la cathédrale de Coutances, j'ai trouvé l'explication, il me semble, d'un détail qui m'a toujours intrigué. D'où venait ce nom de Sixtine que le Maître a employé dans un roman qui rassemble la somme puissante de sa culture juvénile, mais après en avoir revêtu un être qui a joué un grand rôle dans sa vie et dans son art ? Eh bien ! ce rappel de papauté, l'auteur des Lettres à Sixtine l'aura découvert dans la tiare qui règne sur la façade de cette admirable basilique... (Marcel Coulon)


Illustration de Kim Line Sum Suol

« Le Roman des cœurs, le roman des âmes, le roman des corps, le roman de toutes les sensibilités : — après cela il fallait le roman des esprits. » Ainsi formule son effort littéraire le héros de ce livre d'où se dégage un très pénétrant parfum de confessions. Ce n'est donc pas ici la stérile analyse d'une nature plus on moins molle raisonnant péniblement les chocs des ambiances sur son système nerveux, mais la minutieuse étude d'une vie, exclusivement cérébrale, chez un jeune homme, Hubert d'Entragues, dont la brillante activité s'est localisée dans le crâne. [...] Hubert [...] est « une âme qui veut, une âme qui sait l'inutilité de vouloir, une âme qui regarde la lutte des deux autres et en rédige l'iliade ». Néanmoins, d'une curiosité toute littéraire d'abord, une passion surgit, indéniable, encore que prisonnière du rêve et à ce point absorbée par lui qu'elle ne se réalisera pas (L. Denise.

J'ai reçu hier soir un billet exquis de M. R. de Gourmont. Mais le drôle est que je lui en avais envoyé un la veille.

Comme il ne m'en parle pas, nos billets se seraient-ils croisés ? Comme nous nous complimentons à qui le mieux, ce serait amusant.

La vérité est que je trouve son livre très-fort, et s'il pense ce qu'il m'a écrit j'en suis fort aise, car moi je pense absolument ce que j'ai dit (Lettre de J. Renard à A. Vallette).

4 novembre [1890]. Sixtine, par R. de Gourmont : un délayage bien fait. C'est plein de belles choses grises, de gens qui raisonnent et ne vivent pas. Les noms mêmes sont distingués, prétentieux. Du Barrès, avec moins d'esprit. Et puis, aussi, des souvenirs de procédés latins qui l'obligent à faire toujours suivre un mot d'une épithète quelconque. Il donne une énorme importance au cogito de Descartes, et oublie que c'est une banalité ou simplement, peut-être, un jeu de mots. C'est d'un joli pathos. Je vous dis que nous revenons à Mlle de Scudéry. Un livre tout entier dominé par l'idée kantienne. C'est un livre superbe pour le cas qu'il fait de Villiers de L'Isle-Adam.

5 novembre. Ça finit, Sixtine, par la mort d'un parapluie [...].

Ier décembre. On a la sensation, en lisant Sixtine, de tremper le bout de ses doigts dans du velours où il y aurait des épingles. Le velours, il s'étale. Les épingles, elles piquent (J. Renard, Journal).

Sixtine, « roman de la vie cérébrale », par Remy de Gourmont (Paris, Savine, 1890 ; in-12) est, en quelque sorte, le modèle du roman symboliste. Or, il vient en partie d'A Rebours de J.-K. Huysmans, et le principal personnage, Hubert d'Entragues, ne ressemble pas moins à des Esseintes que celui-ci à M. Folantin de A Vau-l'eau, qui est le type même du roman naturaliste. De la recherche des biftecks tendres à la poursuite de la femme esthète, il n'y a que la valeur d'une nuance de style( L. Deffoux & P. Dufay).

Je suis un peu souffrant, de plus très affairé et énervé par cette Sixtine, d'ailleurs très bien accueillie. J'ai plu à ceux auxquels je voulais plaire (il me reste à connaître votre impression) : les autres, je m'en f… A cette heure, vous avez dû la recevoir, cette aventurière. Je l'ai adressée à Pontorson (lettre à Emile Barbé).