Poèmes publié dans les Mémoires de l'Académie nationale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, 1885.

VARIA

Par M. Paul BLIER

Membre correspondant

I.

François d'Assise et le rossignol

Le frère des oiseaux, des agneaux et des loups,
Le fakir d'Occident au cœur large, aux yeux doux,
Que, pour prix de son zèle où la tendresse éclate,
Jésus marqua cinq fois d'un douloureux stigmate,
François, qui voyageait, n'ayant pour compagnon
Qu'un moine déjà vieux, saint, homme un peu grognon,
Arriva vers le soir dans une solitude ,
Et se mit à prier, selon son habitude.

La campagne, à ses pieds, déroulait ses grands plis
Qu'effleurent du couchant les rayons affaiblis.
Un fleuve au cours muet dans la plaine serpente.
L'eau par places reluit dans l'ombre ; et sur la pente
Des coteaux, verts gradins des blancs sommets alpins,
S'étagent des forêts de chênes et de pins.

Devant Dieu prosterné, le saint médite et prie.

Et voici que d'un bois penchant sur la prairie.
Tout proche de la grotte où l'ascète à genoux
Est en prière, un triple appel, puissant et doux,
S'élance, éclate et vibre, — et sous le ciel sans voiles
Monte un hymne aussi pur que les feux des étoiles...
A ces divins accords, se redressant du sol,
François a reconnu la voix du rossignol.
Joyeux et tout ému de l'aimable surprise :
« Frère Léon, dit-il au moine à barbe grise,
« Écoutez cet oiseau qui vous provoque ! Il faut
« Lui répliquer d'un chant en l'honneur du Très-Haut. »
— « Je suis très-enroué ; ma fatigue est extrême,
« Et je dors, fit Léon ; répliquez-lui vous-même, »
— « C'est juste, dit François » ; et lui-même entonna,
En réponse à l'oiseau, le Salve Regina.
La nuit, pour écouter, redoubla son silence ;
Et, sur le rameau frêle où son nid se balance ,
Ravi d'aise, l'oiseau se tint silencieux.
Mais, quand l' Amen final s'exhala vers les cieux,
Le rossignol reprit sa plainte ; — puis l'ascète
Répondit : puis l'oiseau continua la fête.
De nouveaux chants, aux chants à peine terminés
S'enchaînaient sans relâche, en couplets alternés :
Et d'une voix toujours plus haute et plus hardie
L'oiseau jetait aux airs sa longue mélodie ;
Et François, réveillant sa mémoire, en tirait
D'harmonieux lambeaux où tout son cœur vibrait.
Les hymnes les plus beaux du psalmiste y passèrent.
Mais du saint, le premier, les forces se lassèrent,
Et son chant s'éteignit,— tandis qu'au bord du bois
L'oiseau, toujours dispos, chantait à pleine voix.

« Puisque tu m'as vaincu, dit François, je t'invite
« A souper avec moi, mon frère ailé ; viens vite. »
Le saint tendit la main, et presque au même instant
Le rossignol s'y vint poser tout palpitant.
L'ascète alors reprit d'une voix grave et tendre,
En caressant l'oiseau qui semblait le comprendre :
« Mon frère, nous avons tous deux, sous le ciel bleu,
« Chanté de notre mieux, et fait monter vers Dieu
« L'élan de notre cœur, comme un hymne à sa gloire.
« Mais c'est toi qui sur moi remportes la victoire !
« Ton souffle infatigable a des bois et des monts
« Fatigué les échos et lassé mes poumons,
« Et tu restes des nuits le chantre et le poète.
« C'est bien, — et j'applaudis sans honte à ma défaite.
« J'avais tort d'oublier, moi que le poids du corps
« Cloue et retient au sol par des liens si forts,
« Que de mon doux rival aux chansons immortelles,
« Comme son corps léger, le chant avait des ailes. »

Et d'un panier de jonc, qu'a pris pour oreiller
Le bon moine qui dort, François, sans l'éveiller,
Tire un morceau de pain qu'il rompt, et qu'il émiette
Dans sa main, où l'oiseau le mange miette à miette...
Puis quand l'oiseau partit, craignant d'être importun,
II le bénit au nom de leur Père commun.

II

HOMMAGE A VICTOR HUGO.

Quand on a, soixante ans, épris de liberté,
Lutté pour rendre à l'art sa splendeur rajeunie ;
Quand on a, sans tarir, dans une œuvre infinie
Versé toute son âme : amour, vertu, fierté ;

Quand on a fait rougir l'ironie, et dompté
Par l'admiration la haine qui vous nie ;
Que l'exil vous sacra prophète, et qu'au génie
On joignit cette grâce auguste : la bonté ;

Quand enfin l'on pressent, comblé d'ans et de gloire,
Qu'un siècle qui fut grand va grandir dans l'histoire,
Sous votre nom sublime à jamais abrité ,
Et qu'entouré d'amis sur qui l'œil se repose,

On passe de la vie à l'immortalité :
La mort n'est plus la mort, — c'est une apothéose.