JEAN DE GOURMONT

(Janvier 1877)


BIBLIOGRAPHIE : Jean Moréas, I vol. de critique (in-16) (collection des Célébrités d'aujourd'hui), avec portrait et autographe, Sansot, 1909 ; Henri de Régnier et son œuvre, I vol. in-16 (collection les Hommes et les Idées), avec portrait et autographe, « Mercure de France », 1908 ; la Toison d'or, roman, I vol. in-18, « Mercure de France », 1908 ; Muses d'aujourd'hui. Essai de physiologie poétique, I vol. in-18, « Mercure de France », 1910 ; l'Art et la morale, « Mercure de France », 1913.


Jean de Gourmont, né le 23 janvier 1877, au Manoir du Mesnil-Villeman (Manche). Après ses études, au collège de Saint-Lô, il vint rejoindre à Paris son frère Rémy, déjà célèbre, et se fit son disciple le plus fervent. A partir de ce moment, sa vie fut toute mêlée et associée à celle de son grand aîné. Après avoir publié quelques études de philosophie et de critique spécialement sur la poésie contemporaine, il fut chargé de la critique littéraire au « Mercure de France» où, depuis 1902, il n'a cessé de collaborer régulièrement, ainsi qu'à diverses revues françaises et étrangères.

Quand je reçois de Jean de Gourmont une lettre, j'ai l'impression que c'est encore son frère qui m'écrit, tant se ressemblent leurs écritures. Prenez-le dans les deux sens. Jean a de Rémy la fine sensibilité, le bel instinct sexuel, la philosophie amusée, la cordialité franche, aussi l'érudition. Grâce au survivant, ce noble nom normand continue d'honorer les Lettres françaises.

Ch.-Th. F.


LA FORÊT DE HÊTRES ET DE CHÊNES

Voici le doux Automne, en robe surannée
Pleine de feuilles d'or et de choses fanées.
Entrons dans la forêt des hêtres et des chênes.
Nous écrirons nos noms sur l'écorce des frênes
Comme sur une chair palpitante et qui saigne
Un germe fécondant, fleurant la sève humaine.

Nous marcherons dans les herbes folles et vagues,
Mer pleine d'odeurs, pleine d'écume et de vagues ;
Nous emplirons nos mains de pollens et de graines,
Et nous les jetterons loin, stériles et vaines,
Avec le geste du semeur. Et l'hirondelle
Effleurera les ondes blondes, de son aile ;

Les phalènes, aux yeux d'améthyste et de songe,
Mettront leur poudre d'or en tes cheveux d'or, blonde
Fleur de chair au pistil de pourpre énamourée,
Entr'ouverte aux pollens, aux sèves, aux rosées.
Entrons dans le silence qui pèse. Dénoue
La gerbe lourde de tes cheveux doux, où joue

La lumière que filtre en teintes violettes,
Le treillis des feuilles (semblables aux voilettes
Frêles des femmes qui sourient dans la tristesse
De leurs yeux, sépultures d'anciennes ivresses)
Qu'ils tombent, cascade blonde, sur mes mains pâles
Que pâlissent de froides et maudites opales.

Couche-toi sur les mousses d'or : pose ta tête
Sur cette touffe d'herbe, où de petites bêtes
Rouges, gouttes de sang tombées d'une divine
Blessure, ont d'un clavecin la voix grêle et fine.
Et puis je baiserai tout du long ta chair, tendre
Azyme, où le dieu d'Amour a daigné descendre.

Le vent soulève ta robe noire et révèle
Le sous-bois de ton corps, plein d'odeurs et de sèves
Le vent qui se parfume à te baiser les hanches
Et met ton odeur rousse aux aisselles des branches.

Maintenant tes yeux ont le calme des verrières,
Tes mains froides forment d'indolentes prières,
Ta chair a des veinures bleues comme les marbres,
Tes aisselles ont des mousses comme les arbres.

Sortons de la forêt des hêtres et des chênes
En déchirant les branches pendantes des frênes ;
Nous marcherons dans les herbes folles et vagues,
Mer pleine d'odeurs, pleine d'écume et de vagues.

Jean DE GOURMONT.