LA BOUTIQUE

coll. Thomas Carino

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bois de Joseph Quesnel

LA BOUTIQUE

Je songe au Bernard l'ermite qui s'est logé dans une coquille trop grosse et qui reste effaré d'avoir une si vaste maison. C'était, au temps de ma jeunesse, sinon de mon enfance, une vieille bonne femme qui tenait cette papeterie, et la papeterie n'avait que ceci de remarquable, qu'elle était une partie même de la cathédrale, qui porte en effet au soubassement d'une de ses flèches ces mots ironiquement inscrits : Librairie-Papeterie. La librairie consiste en un amas d'eucologes et de catéchismes et la papeterie n'est riche qu'en cahiers d'écoliers, en porte-plumes et en petites bouteilles d'encre et en pieux bibelots. Quand on est trois dans le "magasin", les mouvements sont difficiles, mais à la réflexion on s'arme de patience : on est encadré dans les pierres sculptées de la cathédrale. C'est là que j'achète ce qu'il me faut pour écrire : la paradoxale papeterie m'a tenté. Il y a quelques années, quand l'administration des Beaux-Arts entreprit de grands travaux dans la cathédrale, on se disait : le règne de l'esthétique va commencer, ils feront sauter la papeterie, ils nettoieront ce coin-là, ils voudront le faire tout à fait pareil à l'autre. Les Beaux-Arts, en effet, l'ont essayé, mais ils se sont heurtés à une étrange découverte. La papeterie est chez elle. Elle est propriétaire du morceau de cathédrale où sont logés la boutique et son grenier. Or, elle ne veut pas s'en aller dans les conditions ordinaires. Un morceau de cathédrale gothique n'est pas une maison comme toutes les autres maisons. C'est plus qu'une maison, c'est une curiosité, cela vaut cher et les Beaux-Arts ne sont pas assez riches. La petite boutique restera donc dans la grande et elle continuera de vendre les chapelets qu'on y égrène (La Petite Ville, suivi de Paysages, édition de 1916 et édition du P. Q. G.).

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