Les Epigrammes d'Ausone, trouvé à la librairie Les Mots et les Choses, mars 2002..

Les Epigrammes d'Ausone, trouvé à la librairie Les Mots et les Choses, mars 2002..

Les fêtes que le Lycée nous offre, à la fin de chaque année classique, ont eu lieu lundi et mardi, 10 et 11 août avec un éclat extraordinaire.

Pour la fête du lundi soir, une tente spacieuse avait été construite dans la cour du Petit-Collége. Près de mille personnes s'y trouvaient réunies dès 7 heures 3/4 et bien que des mesures exceptionnelles eussent été prises toutes les prévisions ont été dépassées, et bon nombre d'assistants tard venus ont eu de la peine à trouver place. Cette salle improvisée avait été décorée de vertes guirlandes, de fleurs, de lanternes vénitiennes, dont les couleurs différentes produisaient à l'œil un ensemble merveilleux. Les brillantes toilettes, au reflet des lumières, complétaient le charme du tableau par leur riche et gracieuse variété.

A 8 heures, la musique, jouant l'air de la Reine Hortense a salué l'entrée dans la salle de M. l'Inspecteur d'Académie accompagné de M. le Sous-Préfet, de M. le Président du tribunal, de M. le Procureur impérial, de M. le Juge-de-Paix, tous membres du Bureau d'Administration du Lycée. Autour d'eux ont pris place sur l'estrade MM. les Adjoints, un grand nombre de Fonctionnaires, de personnages distingués, et les Professeurs de l'établissement.

Nous ne parlerons pas en détail des chœurs et des morceaux de musique exécutés par les jeunes dilettante du Lycée. Disons tout de suite qu'ils ont recueilli les applaudissements les plus flatteurs : honneur à eux de savoir mettre à profit les leçons de leurs maîtres d'agrément, aussi bien que les leçons plus sérieuses de sciences et de littérature.

Comme entr'acte de ce concert, on a fait la distribution des prix d'internat et de la classe primaire préparatoire, vraie fête des enfants, qui eux, je le crois, ne prêtaient en ce moment qu'une oreille distraite, sinon impatiente, aux accords les plus mélodieux. Je n'ose affirmer la même chose des mères, mais je crains de la penser.

Il fallait voir avec quelle joie communicative toutes ces jeunes recrues, pépinière pleine de promesses pour l'avenir du Lycée, venaient recevoir leur couronnes. Tu Marcellus eris...

Cette soirée s'est terminée vers 10 heures. La foule des invités s'est écoulée lentement et comme à regret le long des rampes, couvertes aujourd'hui de fleurs et de vertes pelouses. Au moment de la sortie, une brillante illumination éclairait les abords du Lycée.

Le lendemain de cette fête de famille, avait lieu la cérémonie plus imposante, plus officielle de la distribution des prix, qui empruntait, cette année, à la présence d'un illustre savant, une importance inaccoutumée. Le 11 Août 1868 sera, en effet, une date mémorable dans les fastes du Lycée de Coutances : elle rappellera que, pour la seconde fois depuis quinze ans, M. le Sénateur Le Verrier a été délégué par M. le Ministre de L'Instruction publique pour présider notre Fête annuelle.

A 9 heures 3/4, M. l'Inspecteur d'Académie, ayant à ses côtés M. Quesnel-Canveaux et M. le colonel du génie Regnault, membres du Bureau d'administration et du Conseil de perfectionnement de l'Enseignement spécial, et M. le Proviseur, suivi de tout le personnel du Lycée, est sorti de l'établissement pour se rendre à la halle aux grains, transformée suivant l'usage, en une vaste salle de distribution. La musique du Lycée ouvre la marche ; l'escorte est formée par les élèves. Mgr l'Evêque de Coutances et d'Avranches, qu'on retrouve toujours aux premiers rangs, quand il s'agit de donner à la jeunesse une preuve de bonté et de sympathie fait son entrée presque en même temps que le cortège. Les membres de la Magistrature et du Clergé viennent successivement occuper les places qui leur ont été réservées. Bientôt on voit arriver M. le Sous-Préfet, accompagné de MM. les Adjoints, du corps municipal et du personnel de toutes les administrations. La compagnie des sapeurs-pompiers forme la haie. Malheureusement nous avons à regretter l'absence de M. le Maire de Coutances, député au Corps législatif : il a donné jadis assez de témoignages de haut intérêt à notre Lycée, pour nous autoriser à penser que son éloignement, dans cette circonstance solennelle, a dû être pénible à son cœur.

Enfin les tambours battent aux champs et annoncent la présence du Sénateur Président. Le corps enseignant, ayant à sa tête le Bureau d'administration du Lycée, s'avance jusqu'à l'entrée de la salle pour le recevoir. Il n'est pas seul : avec lui, nous sommes heureux de reconnaître M. Levainville, préfet de la Manche, qui n'a pas voulu perdre cette occasion de se retrouver au milieu de ses jeunes amis. Des vivats chaleureux éclatent de toutes parts sur le passage de M. le Président et de M. le Préfet.

M. le Sénateur prend place au fauteuil et déclare la séance ouverte. Il donne la parole à M. Pluzanski, professeur de philosophie, qui a bien voulu se charger de suppléer M. Rebière, professeur de mathématiques, orateur désigné pour prononcer le discours d'usage, mais empêché pour service public.

Le sujet choisi par M. Rebière était l'utilité des études scientifiques, non-seulement sous le rapport de leurs applications pratiques, mais surtout au point de vue de la curiosité désintéressée et dans un but purement spéculatif. L'orateur a su exprimer dans un beau langage les idées les plus élevées sur la science, le progrès, la civilisation ; maintes fois il a provoqué les applaudissements de l'assemblée tout entière. Ajoutons, pour être juste, qu'il avait choisi, en M. Pluzanski, son collègue et son ami, un interprète bien capable de faire valoir à la fois le fond et la forme. Voici ce discours tel qu'il a été prononcé.

MESSIEURS,

Au terme de chacune de nos années classiques, nous aimons à mêler aux joies de cette fête un dernier enseignement, et à donner à nos élèves un dernier conseil, dont votre présence accroît l'autorité. Je voudrais aujourd'hui faire comprendre à une jeunesse intelligente que si détachées que les sciences spéculatives paraissent des usages journaliers, elles ne laissent pas d'avoir leur véritable utilité ; je voudrais surtout faire sentir à une jeunesse généreuse que la science peut d'ailleurs être aimée pour elle-même, qu'elle a sa beauté propre, indépendante de l'utile. Pour traiter dignement ces deux sujets, il faudrait un savant et un philosophe ; je demande, Messieurs, pour ma modeste étude toute votre indulgence.

MES JEUNES AMIS,

Un de vos poètes a dit : « Mens agitat molem », et j'aime à traduire ainsi : L'intelligence dompte la matière. Voyez ! Du feu, de l'eau, quelques pistons et quelques roues, et le chemin de fer, le bateau à vapeur nous emportent au loin, nous et les produits de notre travail. Une liqueur dans un vase, un petit mécanisme, un fil en l'air et le télégraphe électrique fait courir notre pensée avec une vitesse qui surpasse toutes les vitesses rêvées. L'Industrie dirige ses milliers de machines, ouvriers de fer travaillant pour nous avec tant de force et tant de finesse ! L'art de l'ingénieur change la face de la terre : on bâtit le pont de Kehl, on perce le mont Cenis, on coupe enfin l'isthme de Suez pour unir par mer l'Orient et l'Occident. Naguère une exposition universelle résumait brillamment les inventions dues aux sciences, et le visiteur étonné se rappelait le mot de Biot : « Les miracles humains ! »

Admirons ces progrès modernes, admirons-les beaucoup, mais gardons-nous de conclure comme quelques-uns de nos contemporains. Les sciences, pensent-ils, ont pour but de rendre la vie matérielle douce et commode ; elles ne valent que par leurs applications : alors pourquoi les hautes théories inutiles ? Le calcul élémentaire qui permet de faire les achats du commerce et les placements financiers ; l'arpentage qui mesure et divise les champs ; la mécanique appliquée qui, nous soumettant les forces de la nature, leur fait tisser la laine, soulever les fardeaux, couper le fer; voilà des sciences pratiques et bienfaisantes. Mais le calcul infinitésimal, qui dissèque si finement le nombre ; la géométrie supérieure, qui décrit les propriétés de ces figures complexes que la main ne peut plus tracer ; la mécanique rationnelle, qui raisonne les mouvements parfaits, ces études si abstraites peuvent-elles augmenter le bien-être physique de l'humanité !

Ce jugement est superficiel, même au point de vue utilitaire exclusif. En effet les inventions utiles ont souvent leurs racines dans les sciences élevées. Beaucoup l'ignorent ou l'oublient. L'officier de marine conclut d'une observation rapide au sextant, la position du navire en mer ; mais il a fallu la plus profonde astronomie pour composer le volume de chiffres où il puise les éléments de son calcul. Si Newton n'avait pas découvert l'attraction universelle, si ses successeurs jusqu'au chef actuel de l'astronomie française, qui, par sa présence au milieu de nous, donne aujourd'hui un si puissant encouragement aux études scientifiques dans ce lycée, si ces savants n'avaient pas conclu de la grande loi avec une précision extrême les mouvements des astres, nous n'aurions pas cet immense trafic de plus de cinq milliards qui nous apporte les productions des pays lointains. Mon second exemple paraîtra peut-être singulier ; cependant je vous le donnerai, jeunes gens, qui pourrez en profiter plus tard. Combien dans notre société qui, grâce à leur travail, font vivre leur famille dans l'aisance, la laisseraient dans le besoin par leur mort prématurée ! Eh bien ! une somme relativement faible remise annuellement à une compagnie se transforme, quel que soit le moment où le père de famille succombe, en une modeste fortune pour les survivants : ces assurances sur la vie trop peu répandues encore règlent leurs conditions d'après l'algèbre et le calcul des probabilités. Lorsque M. Pasteur, aidé de la chimie la plus déliée, commença ses études sur la prétendue génération spontanée (il s'agissait de savoir si quelques êtres infimes naissent sans parents), des esprits légers pensèrent sans doute : qu'importe ces animaux infiniment petits, ces mycodermes ? Bientôt cependant M. Pasteur vient au secours d'une industrie en péril en guérissant le ver à soie attaqué par un parasite microscopique ; il surprend à l'œuvre les mycodermes qui font le vinaigre dans la cuve, et, les disciplinant pour ainsi dire, il leur fait produire abondamment et à peu de frais un vinaigre excellent.

Il est, j'en conviens, des théories qui n'ont pas d'applications immédiates, mais elles soutiennent d'autres théories qui en ont, et de très-importantes. Et même les plus simples connaissances d'usage évident ne deviennent vraiment lumineuses que par la lumière qu'elles reçoivent de plus haut. Je n'imagine pas ici pour les besoins de la cause une utilité subtile et raffinée : l'arithmétique, par exemple, ne donnera pas à celui qui n'a étudié qu'elle tout ce qu'elle peut donner.

Existe-il, du reste, un caractère sûr auquel on reconnaîtrait l'absolument inapplicable ? Pouvait-on le moins du monde entrevoir les applications de certaines théories ? On découvre une vérité scientifique : ah ! laissez-la vivre, elle paiera peut-être sa rançon ! Un arbre inconnu naît devant vous : laissez-le grandir pour savoir s'il portera des fruits. Mais, dira-t-on, il s'agit d'une vieille science qui ne nous donne rien ! Attendez encore et pensez à l'aloès de la légende qui fleurit rarement, mais merveilleusement. Après tout, le savant s'aiguisera l'esprit par les études difficiles ; pouvant le plus, il pourra le moins , et il inventera mieux ensuite que le simple praticien. Archimède interrompt ses recherches abstraites pour défendre sa, ville attaquée par les Romains et il construit en se jouant les plus étonnantes machines de guerre. Pascal, se reposant un jour de ses calculs, imagine l'admirable et vulgaire brouette qui depuis soulage le manœuvre dans son dur labeur. Nos ingénieurs, qui ont reçu l'instruction mathématique de l'Ecole polytechnique, deviennent ensuite sans effort les maîtres de la science appliquée.

J'ai montré et, y montrerai encore cette influence réelle et multiple des plus savantes spéculations sur notre vie temporelle. Il convient maintenant de nous demander si l'utilité, dans le sens vulgaire du mot, est le tout de la science. Vouloir l'homme bien vêtu et bien nourri et qualifier de superflu tout ce qui n'irait pas droit à ce but ! Ah ! messieurs, laissez moi répéter alors avec le poète :

Le superflu, chose si nécessaire.

Nous mangeons comme l'animal, mais nous sentons en nous une autre faim qui ne le trouble pas : c'est la curiosité intellectuelle. Nos premiers ancêtres, nus sur la terre nue, ont à peine satisfait aux besoins criants du corps, qu'ils regardent la nature avec les yeux de l'intelligence et sentent vaguement qu'il y a là des lois de toute beauté : « Omnia in mensura et in numero et in pondere disposuisti, » dit l'Ecriture : Le monde est réglé par la géométrie, le nombre et la physique. Voilà donc un champ immense de vérités que notre esprit pourra conquérir sûrement ! il les conquerra avec joie, parce que la vérité est belle en soi, et c'est là le principe de la science, principe qui fait sa force et sa noblesse. La science des premiers âges, lumière mêlée d'ombre, cherche anxieusement ses méthodes, mais elle a déjà ce caractère qu'elle gardera : elle est désintéressée. Vous savez quel est plus tard le ravissement de Pythagore découvrant le théorème du carré de l'hypoténuse et sacrifiant une hécatombe en action de grâces. Bossuet, à cette occasion, va jusqu'à dire qu'il y a dans les opérations intellectuelles un exercice de vie éternellement heureuse. L'astronome Kepler annonçant les lois qui portent son nom, laisse déborder son enthousiasme : « J'écris mon livre ; il sera lu par l'âge présent ou par la postérité, peu importe ; il pourra attendre son lecteur : Dieu n'a-t-il pas attendu six mille ans un contemplateur de ses œuvres ? » Ce n'est pas même la gloire, c'est la pure beauté de la vérité, qui charme Kepler.

Lorsqu'on parcourt l'histoire des sciences, plus intéressante que l'histoire des batailles, on constate que les théories se développent presque toujours librement les premières, et ce fait confirme notre double assertion : l'application suppose les études spéculatives, la connaissance est cherchée d'abord pour elle-même. Les mathématiques sont déjà fortes chez les géomètres grecs ; alors isolées, elles n'influent pas sur le bien-être, et cependant Platon déclare qu'il est indigne du nom d'homme, celui qui ignore que la diagonale du carré est incommensurable avec son côté. La physique et la mécanique, qui rendent les mathématiques applicables, sont modernes ; elles ne se fondent que lorsque, succédant aux hypothèses, aux systèmes préconçus, la méthode expérimentale s'impose enfin. Quelques exemples particuliers nous montreront mieux la théorie faisant d'abord son œuvre sans le stimulant de l'utilité. Galilée voit avec sa lunette quatre petits astres tournant autour de la planète Jupiter, dont ils sont les satellites ; leurs mouvements sont mesurés, puis calculés avec minutie ; le bonhomme Chrysale aurait condamné cette curiosité oiseuse : cependant les lunes de Jupiter donnent aujourd'hui au marin sa longitude et aident ainsi la navigation plus que notre lune elle-même. Les anciens savaient que l'ambre frotté attire les corps légers ; cette petite expérience dédaignée est reprise et variée au dix-septième siècle ; on fait en détail la théorie des fluides électriques ; le public ne voit là que des étincelles amusantes : cependant ces étincelles expliqueront la foudre à Franklin qui nous apprendra à la défier. Wohler, tire de l'argile un métal de pauvre apparence, poudreux et gris ; jetez cette poudre, eussent conseillé volontiers les gens positifs ; M. Sainte-Clair Deville, mon maître, étudie, en chimiste curieux quand même, les réactions et les composés du nouveau métal, et nous montre un jour le brillant aluminium, émule de l'argent et de l'or.

La théologie nous enseigne qu'on se repent habituellement pour mériter les récompenses futures, mais qu'il y a un repentir plus beau où l'amour de Dieu occupe une plus large part. De même, on cultive la science pour le profit qu'on en retire, ou bien on la cultive surtout parce qu'elle est la vérité. Si modeste que soit notre science, cherchons à en élever ainsi le motif ; tout au moins, si la préoccupation de l'utile nous poursuit sans cesse, sachons comprendre et respecter le savant désintéressé. Ne nous mêlons pas au chœur grossier qui trouble ses méditations en criant : appliquez, appliquez ! Exigences du sauvage pressé qui coupe l'arbre pour avoir le fruit. A ceux qui l'aiment pour elle-même, la science donne tout le reste par surcroît. Ces applications dont on est avide, à son heure elle les sème à mains pleines, elle console les tristesses de ses fidèles, elle met la couronne de gloire sur leur front. Pendant la guerre de Russie, un de nos jeunes officiers de génie, prisonnier en Sibérie, apprend la lamentable retraite de ses frères d'armes, et si meurtrier que soit le climat, son âme souffre encore plus que son corps. Il appelle la science à son secours ; sans un seul livre, réduit à des souvenirs d'école, bien effacés par la guerre, il reconstruit à nouveau les vieilles mathématiques, il les étend par des découvertes originales, et lorsqu'il est enfin rendu à la France, elle le proclame grand géomètre. Je viens de vous dire l'histoire du général Poncelet, mort l'année dernière.

Cette science qui comble de ses bienfait notre corps et notre esprit, ne fait-elle rien pour l'être moral ? Si la réponse était défavorable ou seulement douteuse, notre admiration baisserait aussitôt. On faisait l'éloge d'un savant devant un enfant : celui-ci s'écria : « Très-bien , mais était-il bon ? » Question ingénue et profonde ! Demandons-nous, comme cet enfant, si la science rend meilleur. Faust, après avoir cherché l'explication universelle, est pris d'un désespoir qui nous effraie, et il fait pacte avec le mal. Mais une science moins ambitieuse qui avance avec une sûre lenteur, élève le cœur : les moralistes constatent à l'envi

L'accord d'un beau talent et d'un beau caractère.

En effet l'idée d'un devoir inflexible plaît au savant qui connaît les lois absolues des figures et des nombres et qui entrevoit au-delà le Grand Géomètre en qui ces lois résident éternellement. Il ne se laissera pas agiter par les passions, celui qui commerce avec la vérité sur ces calmes sommets dont parle Lucrèce :

Edita doctrina sapientum templa serena.

Et si la force brutale joue encore son rôle odieux dans la vie des individus et des peuples, sera-t-elle jamais applaudie par celui qui proclame, avec Pascal, que toute la dignité de l'homme consiste en la pensée ? Le vrai et le bien se mêlent sur les hauteurs, et, on pourrait mettre cette épigraphe à l'histoire des progrès de l'esprit : Mieux savoir pour mieux vouloir !

J'aimerais à insister sur ces considérations morales que j'indique seulement. Laissez-moi rappeler encore que la science a seule pu abolir l'esclavage, cette grande iniquité, en inventant la machine pour remplacer l'esclave. Aristote avait dit quelque part qu'il y aurait des esclaves tant que la navette et le fuseau ne marcheraient pas tout seuls ; bénie soit la science qui a fait marcher tout seuls la navette et le fuseau ! Elle a substitué aux corvées atroces d'un autre âge le travail libre qui permet à l'homme de penser et de prier.

Jeunes élèves, je tiens en finissant à dégager de ce discours sa conclusion relative à votre vie de lycée. Ne doutez pas de l'utilité directe ou indirecte de toutes les parties de notre enseignement, mais que cette utilité ne vous préoccupe pas trop. Aimez l'instruction pour elle-même ; goûtez sans arrière-pensée les jouissances d'un esprit qui s'orne et qui se fortifie. Vous obtiendrez par surcroît les récompenses ordinaires : d'abord le succès à votre examen prochain, ensuite une belle position dans notre société instruite, peut-être les honneurs et la fortune. J'ai souvent observé les meilleurs d'entre vous lorsqu'ils cherchent un problème de géométrie, par exemple ; ah ! c'est bien le problème seulement qu'ils cherchent alors, ils ne pensent même pas à nos couronnes : nous allons cependant leur décerner les plus belles devant leurs mères heureuses aux applaudissements d'une assemblée choisie.

M. le Président s'est levé à son tour, et d'une voix vibrante, au milieu d'un silence attentif et respectueux, il a prononcé un remarquable discours, que nous ne pouvons, à notre grand regret, donner textuellement, mais dont nous essayons, sur nos souvenirs, une pâle reproduction.

Messieurs,

En l'an 1853, à pareil jour, dans cette même enceinte, je fus appelé à présider à l'inauguration du Lycée de Coutances. Je suis heureux d'avoir été choisi par le Ministre de l'Instruction publique pour présider la fête d'aujourd'hui, constater, devant les mêmes Autorités, après quinze ans écoulés, les progrès accomplis, et apporter mes félicitations à l'habile direction de M. l'abbé Lair, et au concours de tous ceux qui l'ont si bien secondé.

A Dieu ne plaise, jeunes élèves, que je vienne vous faire un long discours sur la nécessité du travail, et renouveler les conseils déjà donnés en si bons termes par les Daniel, les Théry, les Brohyer, les Levainville. Je n'insisterai pas non plus sur l'esprit qui dirige vos études ; la confiance des familles est à cet égard le meilleur témoignage, et la présence, à cette solennité, d'un Prélat que nous vénérons tous, montre que vous n'avez cessé de mériter le haut intérêt qu'il vous porte.

Je préfère mettre sous vos yeux l'histoire de votre passé ; il est honorable entre tous ; la ville de Coutances a le droit d'en être fière ; elle peut se rappeler avec orgueil le culte qu'elle a toujours professé pour les lettres et les sciences.

Il y a huit siècles, quand la violence et la barbarie avaient envahi les villes et les campagnes, c'est dans les monastères, c'est à l'ombre des cathédrales, qu'au moyen-âge on conserve, on copie, on étudie et l'on commente les chefs-d'œuvre du passé ; c'est là que l'on recueille les restes de la civilisation acquise, au prix de tant d'efforts, par l'antiquité.

Que les élèves de nos jours sachent ce qu'ils doivent à ceux qui ont protégé les lettres dans ces temps reculé. Pour n'en donner qu'une preuve, (je puis bien citer Cicéron à des élèves de Cicéron) quand vous feuilletez un de ses ouvrages, ses Lettres, par exemple, qui nous dépeignent si intimement et avec tant de vérité la société romaine, bien mieux que ne le font les discours du grand orateur, retouchés, sinon composés après coup ; quand vous relisez les écrits de Jules César, qui sont en quelque sorte l'histoire de notre pays, les Commentaires de cet illustre capitaine, dont les lieutenants avaient pénétré dans notre pays des Unelliens pendant que lui-même guerroyait dans la Bretagne, vous êtes-vous jamais demandé comment étaient parvenus jusqu'à nous les histoires grecques et romaines, les écrits de tant de poètes et de philosophes de l'antiquité ? Ils avaient été conservés dans les monastères et dans les maisons épiscopales. La vie des Religieux s'écoulait souvent à tirer de ces ouvrages de précieuses copies, dont la multiplicité a sauvé de l'oubli tout ce qui reste de la civilisation antique. Là seulement on trouvait un véritable enseignement ; là se transmettaient les connaissances à l'aide desquelles s'est reconstituée la société moderne.

Pour vous, jeunes élèves de Cicéron, un exemple vous fera sentir combien a d'importance la pureté des textes pour qui veut avoir une connaissance exacte de l'histoire de l'antiquité.

Nous sommes aux Nones d'Octobre de l'année 690 de Rome. Catilina, chassé du sénat, a quitté la ville et s'est réfugié dans les montagnes. Cicéron apostrophe ses complices : « Mais fuyez donc, leur dit-il, allez rejoindre votre chef. Vous ne voyez donc pas que toutes les mesures sont prises et que vos projets sont découverts ? Fuyez, à moins que vous n'ayez peur des frimats [sic] et des neiges de l'Apennin, dans ces nuits déjà longues, his prœsertim JAM noctibus. » Arrêtons-nous à cette seule particule jam. Elle est cicéronienne, nous disent les commentateurs ; mais elle a une bien autre importance au point de vue chronologique. Si on la maintient, les nuits sont déjà longues, nous sommes aux approches de l'hiver, et tout concorde dans l'hypothèse que ces événements se passaient au mois d'Octobre. Si on la supprime, au contraire, et que l'on rapproche cette phrase du plaidoyer de Cicéron pour Sextius, nous devrions être au commencement du printemps, et alors tout se confond dans les historiens de cette époque. La réforme du calendrier par l'astronome de J. César, les détails fournis par le grand capitaine sur les préparatifs de la guerre des Helvètes ne se comprennent plus.

Dans ce travail de conservation, au moyen-âge, des monuments de l'antiquité, la ville de Coutances n'était pas restée en arrière. Dès le XIe siècle nous voyons l'illustre Evêque Geoffroy de Montbray, celui-là même à qui l'on doit la construction de la cathédrale, apporter tous ses efforts à la restauration des lettres et des sciences — Rectorem scholarum constituitMagistros scholarum largo sumptu, retinebat, largisque donationibus remunerabat. Il y avait donc alors, à Coutances, un enseignement littéraire et scientifique bien organisé. Mais le Collége [sic] de Coutances ne fut fondé qu'en 1499 par un autre Evêque, Geoffroy Herbert, dans un local donné par Jean Helye, prêtre, natif de Heugueville. L'ordonnance royale de 1560 vint ensuite donner à cette institution une organisation régulière, sous la surveillance de l'Evêque qui nommait le Principal de concert avec le Chapitre, les Maire, Echevins et Conseillers de la ville.

Tant qu'elles furent dans la période laborieuse du début, les fonctions de Principal ne donnèrent naissance à aucune difficulté. Mais dès que, le nombre des élèves augmentant et les libéralités dont il avait été l'objet ayant enrichi le Collége, la position de Principal fut devenue importante et enviable, les compétitions et les luttes commencèrent ; on se disputa les droits de présentation et d'élection. Les choses se passaient alors comme aujourd'hui : le seigneur Evêque se querellait avec son Chapitre, et le Maire, Echevins et Conseillers prétendaient, sans l'Evêque et le Chapitre, régler tout ce qui concernait le temporel et la discipline du Collége, en dépit des réclamations épiscopales contre les usurpations de ces respublicains. D'autres fois, il s'agissait de résoudre une grave question, à laquelle il n'a manqué, pour devenir célèbre, qu'un poète comme l'auteur du Lutrin : le Principal aurait-il rang de chanoine ? Pourrait-il porter la chappe, chanter l'Antienne, prérogatives qui lui étaient vivement contestées par le Chapitre ? Ces questions furent tranchées, du reste, par le seigneur Evêque, à l'avantage du Principal, malgré l'opposition des Chanoines. On ne s'étonnera pas de la hardi[e]sse de cet Evêque, lorsqu'on saura qu'il n'était autre que Claude Auvry, qui fut plus tard trésorier de la Ste-Chapelle de Paris, ce prélat terrible qu'a chanté Boileau dans le Lutrin.

Dès le début, nous voyons de nombreuses libéralités composer au Collége une riche dotation. Les bourgeois de Coutances, jaloux de voir fleurir les lettres dans la cité, achètent et affectent au Collége, en 1560 et 1567, des jardins, puis des maisons donnant sur la rue St-Nicolas. De 1575 à 1593, le sieur de Tourlaville, abbé de Hambye, lui fait des donations si importantes, qu'elles le font regarder comme le fondateur de l'Etablissement. Plus tard, Pierre Guillot lui transmet la propriété de la Croûte ; puis François Encoignard, en 1721, et de Brucourt, en 1755, lui lèguent leur bibliothèque, des instruments de physique et des rentes.

Le Collége de Coutances s'était toujours montré digne de la sollicitude dont il était entouré. Les élèves étaient nombreux, les études fortes et élevées.

En 1789, il comptait mille élèves. La classe de Philosophie, qui se composait de deux années, en comprenait 180. Observons, en passant, l'existence de ce double cours de philosophie : il n'était pas réduit aux études philosophiques telles que nous les comprenons aujourd'hui : il embrassait, en outre, toutes les branches de la métaphysique, ainsi que les sciences physiques et mathématiques, telles qu'elles étaient alors professées.

La tourmente révolutionnaire balaya le Collége avec tant d'autres institutions. Les immeubles furent vendus et les rentes perdues à jamais. La bibliothèque et les instruments scientifiques subsistaient encore : on les entasse pêle-mêle, dans le couvent des Capucins, dans cette salle même où nous sommes réunis en ce moment. Le citoyen Le Gérais s'adresse aux administrateurs du district et leur demande ce qu'il faut faire des différents vieux titres, papiers et livres provenant des dépouilles du fanatisme. « Qu'on les brûle » fut la réponse de ces nouveaux Omars. « Et l'on brûla, pendant trois jours, titres et livres, sur la place du Marché, dit M. Léopold Quenault, l'historien de ces temps agités (1).

Il n'est peut-être pas hors de propos de relever ici le neveu de Mahomet de l'accusation historique qui, depuis tant de siècles, pèse sur lui. Le calife n'a pas ordonné l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie. Serait-ce son lieutenant Amrou, sous le commandement duquel se faisait l'expédition d'Afrique ? Mais, c'est Amrou qui avait songé à établir un canal direct entre la Mer Rouge et la Méditerranée, entreprise grandiose, inutilement tentée par Néchao, une de vos connaissances, et momentanément entravée par Al-Mansour en 767. — C'est à un Français, vous le savez, c'est à notre siècle qu'il était réservé de reprendre l'œuvre gigantesque qui doit rapprocher les peuples de l'Europe de ceux de l'extrême Orient. — Or, Amrou, qui a conçu et favorisé ce projet civilisateur, pouvait-il sans inconséquence détruire les inappréciables monuments de la civilisation antique rassemblés à Alexandrie ?

Après la tempête de 1793, le Collége de Coutances ne tarda pas à se relever de ses ruines. Grâces [sic] aux soins de M. Duhamel, son maire, la ville réorganisa l'Ecole secondaire qui fut installée solennellement le 26 Octobre 1802. Le discours d'inauguration fut prononcé par l'Evêque, Mgr Rousseau, et l'enseignement du Collége, fortement constitué, permit à cet Etablissement de reconquérir bientôt sa vieille réputation. Le nombre des élèves augmenta rapidement : il était de 300 en 1807, de 400 en 1812, et de 500 quelques années plus tard.

Cependant la ville n'avait jamais perdu l'espoir d'obtenir un Collége royal. « Le Conseil municipal arrêta qu'un Collége, qui, au moyen de quelques augmentations ultérieures, satisferait à toutes les conditions prescrites pour un Collége royal, serait construit près du boulevart [sic] de l'Est, sur l'emplacement de l'ancien Séminaire, et qu'une rue serait ouverte, pour l'accéder, du côté de l'Eglise St-Pierre. L'intérêt du Collége domina, dans cette circonstance, tous les intérêts divers, toutes les dissidences politiques. Les Conseillers de la commune et les notables les plus haut cotisés votèrent avec une patriotique unanimité toutes les allocations nécessaires. La première pierre du nouveau Collége fut posée solennellement, le 19 Juillet 1844, par M. Quenault, maire de la ville. Ce fut un jour de fête pour la cité. » (2)

En deux années, les constructions furent terminées.

Déjà s'agitait, dans les conseils de la Couronne, la question de l'établissement d'un Collége royal dans le département de la Manche, et l'édilité Coutançaise s'empressait, par ses avances et ses sacrifices, d'attirer sur son Collége les préférences de l'Administration supérieure.

C'est alors qu'elle reçut (10 Octobre 1847) la visite d'un Ministre dont la mémoire est chère à l'Université et à tous ceux qui l'ont connu. M. de Salvandy venait inaugurer la statue que la ville élevait à Charles-François Le Brun, ancien Grand-Maître de l'Université, traducteur d'Homère et du Tasse. Dans cette circonstance, vous exerçâtes sur lui, Messieurs, la même séduction qu'il exerça sur vous. Touché de votre accueil et de l'intérêt patriotique que vous portiez à l'instruction, il proposait, quelques mois plus tard, à la signature du Roi, l'ordonnance qui devait transformer votre Collége en Collége royal, quand une nouvelle révolution emporta le Ministre avec le Gouvernement. Obligé de fuir et de gagner une terre étrangère, M. de Salvandy, tel était le souvenir que lui avait laissé votre ville, prenait la route de Normandie, traversait Coutances, et s'embarquait à Granville pour Jersey. De là, du moins il pouvait encore apercevoir la France, et contempler de loin, comme il l'écrivait alors, les flèches de votre cathédrale.

Les projets du Ministre étaient renversés ; dans les jours difficiles qui suivirent, il fallut renoncer à toute tentative nouvelle. Mais dès que l'Empereur, saisissant dans sa main puissante les rênes de l'Etat, eut rendu à nos institutions leur stabilité, aux citoyens la confiance, le premier objet de sa sollicitude fut de relever l'enseignement public, et le premier Lycée créé par Napoléon III fut le Lycée de Coutances.

C'est l'inauguration de ce grand Etablissement d'instruction que j'eus l'honneur de présider le 16 août 1853. Il est de règle qu'un orateur ne se mette pas lui-même en scène. Toutefois le souvenir de cette fête m'est trop agréable pour que je ne le rappelle pas aujourd'hui devant vous. J'en emprunterai, du reste l'expression à votre excellent Maire et Député, M. Brohyer, s'adressant à l'Inspecteur général qui, « a si efficacement contribué à l'érection du Collége en Lycée impérial. Qu'il me soit permis de lui dire, poursuit-il, que le zèle dont il nous a donné tant de preuves, que le concours qu'il nous a prêté toutes les fois qu'il s'est agi de nos grands intérêts industriels et agricoles, l'ont rendu depuis longtemps notre concitoyen et lui ont acquis droit de cité dans nos murs. » Ce droit de bourgeoisie, j'en suis fier. Messieurs ; et je me félicite d'avoir contribué pour ma part à l'établissement de votre beau Lycée, quoique vous dussiez avant tout votre succès à vous-mêmes, à vos généreux sacrifices, au zèle avec lequel vous avez toujours cherché à assurer à vos enfants tous les bienfaits d'une bonne et sérieuse éducation.

Eh bien ! Messieurs, n'avez-vous pas largement atteint votre but ? et ce Lycée naissant n'a-t-il pas tenu tout ce qu'il promettait alors ? J'ai voulu m'en assurer, en consultant les annales de ces quinze années sur le bon esprit de l'Etablissement et les résultats des études.

Sur, le point si capital de l'éducation, écoutons d'abord Mgr Daniel, l'ancien Principal, l'ancien Recteur, qui connaissait si bien le Collége : « Je connais, jeunes élèves, le mérite des professeurs et des fonctionnaires qui vous dirigent ; je connais vos bons sentiments, le bon esprit et le zèle qui vous animent. Le Collége vous offrait de grands avantages, il va vous en offrir de plus grands encore, grâce à une organisation plus forte et plus complète. Vous aimerez et honorerez le Lycée autant que vos-devanciers aimaient et honoraient le Collége. Vous y apprendrez à connaître, à aimer, à pratiquer de plus en plus la Religion dont les saintes promesses feront voire bonheur dans le présent et dans l'avenir. »

Qu'il me soit permis de rappeler aussi l'appréciation du vénéré Prélat qui a succédé à Mgr Daniel dans l'administration de ce vaste diocèse :

« Quant à vous, jeunes gens, j'ai pu, à diverses reprises, vous voir et vous connaître ; dans votre accueil et dans vos manières, j'ai compris que je n'étais pas pour vous un étranger, mais que vous vouliez voir en moi un ami de votre jeunesse tout autant qu'un Evêque pour vos âmes. Eh bien ! laissez-moi vous assurer que, de toutes les jouissances il n'en est aucune dont j'apprécie plus le prix que celle de me trouver une autre fois parmi vous, que d'être encore le témoin de vos heureuses dispositions et de vos succès, que d'avoir cette nouvelle occasion de vous dire devant vos familles, en la présence de M. le Sous-Préfet, de M. le Maire, de M. l'Inspecteur et de toute cette honorable assemblée : les élèves du Lycée de Coutances font honneur à leurs Maîtres, ils seront la couronne et la joie de leurs familles, ils seront bons citoyens et bons chrétiens ; à leur Evêque, ils donnent toute sorte de satisfactions et de grandes espérances ; ils seront dans la suite comme ils ont été par le passé, comme ils sont dans ce grand jour de la distribution des récompenses. »

Voici comment s'exprimait à son tour le digne chef de l'Etablissement, M. l'abbé Lair, lors de l'inauguration du Petit-Collége :

« Il ne suffit pas de grandir, de s'amuser, de s'instruire même ; qu'avons-nous fait, que ferons-nous pour former vos jeunes cœurs, pour sauver vos âmes ? Messieurs, ici, il ne m'appartient pas de prononcer ; mais je puis faire hautement et sans crainte ma profession de foi sur ce point : Malheur à moi, malheur à nous tous, si nous ne faisions pas tout ce qui est en notre pouvoir pour faire de ces enfants de bons chrétiens et des citoyens utiles : oui, malheur à nous ; car jamais les familles ne montreront trop de sollicitude, ne seront trop exigeantes à cet égard ; jamais elles ne demanderont trop de garanties. »

Le Lycée de Coutances, Messieurs, a-t. il répondu à toutes ces espérances, et mérité ces éloges ? Pour ma part, je ne crains pas de l'affirmer, il a hautement justifié tous ces honorables témoignages.

Et pour la force des études, jeunes gens, avez-vous tenu haut et ferme le drapeau du Lycée ? Je n'en veux pour preuve que les succès que vous obtenez chaque année dans les examens : 120 bacheliers ès lettres, plus de 100 bacheliers es sciences, en quatorze ans, témoignent assez que les traditions de travail et de talent, qui vous distinguent, se soutiennent toujours.

Mais vous ne vous bornez pas à ces victoires scolaires qui semblent le complément naturel de nos cours d'études : aux diplômes de bachelier vous savez joindre les triomphes plus désintéressés et non moins glorieux des concours académiques. La liste de vos succès, depuis dix ans, vous place dans un rang qui fait honneur au Lycée. Et cette année encore, trois premiers prix, parmi lesquels le Prix d'Honneur de Rhétorique, et six accessits, attestent votre valeur dans ce tournoi où ne figure que l'élite de la jeunesse intelligente. Et pourtant vous aviez contre vous les rigoureuses conditions de la limite d'âge qui ont écarté du concours un grand nombre des meilleurs élèves. Plusieurs d'entre vous ont, en effet, commencé trop tard leurs études et n'ont pu prendre part à la lutte. Vous avez vaincu cependant ; que serait-ce, si vous aviez pu mettre toutes vos forces en ligne ?

Courage donc, jeunes élèves : cette inégalité est destinée à disparaître bientôt, grâce à l'institution du Petit-Collége, où l'on commencera désormais les études secondaires, beaucoup plus tôt que ne l'admettaient les habitudes de notre pays. Le Petit-Collége ! c'est là qu'est l'avenir du Lycée. Aussi que de soins délicats, que de précautions pour remplacer près de vous la sollicitude maternelle ! Vous êtes l'objet, de la part de vos Maîtres, d'une touchante prédilection, d'un dévouement tout particulier. C'est pour vous que s'est réalisée cette parole de votre Proviseur : « Nous rayerons, si vous le voulez, le mot de punitions » ; et vos familles, pleines de confiance dans la douceur paternelle de la discipline ont compris que leurs jeunes enfants pouvaient grandir en paix sous une administration à la fois éclairée, chrétienne et patriotique.

Une autre institution qui favorisera aussi la prospérité du Lycée, c'est la nouvelle organisation de l'Enseignement secondaire spécial, qui est venue combler une lacune regrettable dans notre enseignement public. Plus heureux que beaucoup de Lycées, vous n'avez pas été pris au dépourvu : déjà vous connaissiez cet enseignement : il ne restait qu'à le mettre en rapport avec les nouveaux programmes, et dès les premières années plusieurs d'entre vous ont pu conquérir le diplôme.

Après avoir signalé tous ces succès classiques, j'aime à constater qu'ils ne sont pas restés stériles. Il y a quinze ans, je disais à vos devanciers : « Encore quinze années, et cette génération d'enfants, placée aujourd'hui sur les bancs de nos Colléges, remplira d'éminentes fonction dans l'Etat, occupera des postes importants, dirigera les grandes entreprises, sources de la puissance du pays. » J'ai voulu vérifier si mes prévisions avaient été pleinement réalisées : je me suis fait représenter la liste des élèves qui furent, en ce jour, le plus souvent couronnés ; je suis heureux de les retrouver aujourd'hui dans le Barreau, dans la Magistrature, dans l'Enseignement, dans l'Armée et la Marine et dans le corps de nos éminents ingénieurs.

Donc Jeunes élèves, vous avez largement répondu à l'ancienne renommée de l'Etablissement, aux vœux de vos familles et aux desseins de la société. Aussi les sympathies générales vous sont-elles acquises depuis longtemps. Votre Lycée vient d'en avoir une preuve récente. Les dépenses des Lycées sont essentiellement à la charge de l'Etat et des communes Eh bien ! le Conseil-Général, représentant le département de la Manche, a pris, sur la proposition de M. le Préfet, une résolution sans précédent. On a voté, sur les fonds du département, une subvention spéciale qui doit s'ajouter à celles de l'Etat et de la Ville. Grâce à cette marque de confiance, le Ministre de l'Instruction publique, heureux de pouvoir nous citer comme exemple, s'est empressé de vous promettre une plus forte part de crédits, et assure ainsi l'achèvement des bâtiments, que votre prospérité même a rendus nécessaires.

Mais de tous, Celui qui s'intéresse le plus à vous, à vos succès à votre avenir, jeunes gens, c'est l'Empereur ! dont la principale sollicitude a pour but l'instruction du peuple; dont tous les actes tendent à maintenir la France à la tête des nations. Sans cesse préoccupé des intérêts moraux et matériels de notre pays. Il vient encore de doter notre beau département de ces deux nouvelles voies ferrées qui, tout en assurant la sécurité du territoire, faciliteront le transport et l'écoulement des innombrables produits, des richesses immenses dont la Providence l'a doté. Rendez donc à l'Empereur, en reconnaissance et en dévouement ce qu'il fait pour nous, et répétez avec moi notre cri patriotique : VIVE L'EMPEREUR !

Ce discours, fréquemment interrompu par les bravos les plus sympathiques, s'est terminé au milieu des applaudissements de l'assistance qui a répondu avec enthousiasme aux dernières paroles de l'illustre Sénateur. Il ne nous appartient pas de juger la haute portée de cette œuvre oratoire ; mais nous ne saurions taire notre admiration pour un esprit aussi merveilleusement doué, qui sait descendre du domaine élevé de ses études ordinaires, pour traiter toutes les questions d'une façon magistrale et avec une incontestable supériorité.

L'illustre savant n'a pas voulu terminer son éloquent discours sans y ajouter un complément bien agréable pour son jeune auditoire. Profitant de la présence de M. le Préfet et de Mgr l'Evêque, il a accordé, en son nom et au nom de ces deux éminents personnages, une prolongation de trois jours de vacances. Enfin, pour n'oublier aucun acte gracieux dans cette mémorable journée, M. Le Verrier a désiré qu'un prix spécial fût décerné, en souvenir de sa visite, à chacun des deux élèves de Philosophie et de Rhétorique qui ont obtenu le premier prix d'excellence. On sait que l'un de ces élèves a remporté, en outre, au Concours Académique, le Prix d'Honneur de Rhétorique.

M. le Censeur du Lycée, sur l'invitation de M. le Président, a ensuite proclamé les vainqueurs de l'année. L'appel des noms des élèves qui ont obtenu trois premiers Prix au Concours Académique a surtout provoqué les acclamations de l'assemblée, toujours si heureuse de témoigner son intérêt à un établissement dont la ville de Coutances a le droit d'être fière.

(1) Recherches historiques, 2e édit., p. 218.

(2) Notice hist. sur le Coll. de Coutances, par M. l'abbé Daniel, Rectr de l'Acad. de Caen.

(Extrait du Journal de Coutances du 22 Août 1868.)


Rappelons que Remy de Gourmont fut interne au lycée de Coutances de 1867 à 1876. En 1868, élève de huitième, il fut cinq fois nommé : enseignement religieux, 3e accessit ; version latine, 1er prix ; orthographe et langue française, 2e accessit ; histoire et géographie, 1er prix ; musique vocale, 2e accessit.